Quand je suis née, je faisais 2,7 kg. Tranquille, j’avais de la marge ! Puis rapidement, j’ai développé un rapport très conflictuel à mon corps et mon poids.
Une enfance et une adolescence conflictuelles avec mon poids
Quand j’étais au CP, à peu près à l’âge de 6 ans, j’étais un peu rondouillette, avec une super coupe au carré qui mettait bien en valeur mon visage rond et mes dents de vampire.
À cette époque mon frère passait son temps à se moquer de moi, à me dire que j’étais grosse.
Je me rappelle d’ailleurs d’une fois qui m’a plutôt traumatisée et dont je me souviens comme si c’était hier, où l’on se baladait en famille avec un couple d’amis de mes parents qui avait une fille de mon âge.
Avec mon frère et notre copine, nous avions décidé de nous donner des nouveaux prénoms. N’ayant pas d’idée j’ai demandé de l’aide à ma mère qui m’a proposé Chimène, et j’ai adoré.
Mais mon frère en avait décidé autrement puisque toute l’après-midi, il m’a appelée « la petite fille aux sucreries ». Avec notre copine, ils ont donc passé la journée à se moquer de moi.
Puis en grandissant, j’ai été très vite formée, j’ai eu mes premières règles en CM2, des seins déjà bien présents en 6ème. Je me sentais en décalage avec mes copines et c’était assez complexant, puis c’est passé.
En troisième, j’ai fait une grosse connerie. J’étais plutôt mince et sans cellulite, ma mère avait un appareil de palper rouler pour aspirer la peau et la graisse et soit disant faire disparaître la cellulite.
Je l’ai testé une après-midi avec une amie et ça m’a éclaté la peau. Je me suis retrouvée avec les cuisses pleines de vergetures, qui sont restées rouges pendant au moins un an. Rien que d’y penser, ça me fait pleurer.
Maintenant les vergetures sont blanches/transparentes, mais ça m’a laissé une peau distendue.
Ma perte de poids en grandissant
Après mon enfance et jusqu’au lycée, j’étais plutôt filiforme, avec une moyenne de 55 kg pour 1m65. Puis de mes 17 à mes 19 ans, je suis sortie avec une personne plutôt toxique.
Je vivais dans un stress permanent et on se prenait la tête quasiment tous les jours. À cette période, j’ai perdu un peu de poids. Je suis arrivée à 47 kg avec l’objectif de ne jamais dépasser les 48.
Je me pesais tous les jours, mais malgré ça je mangeais souvent au restaurant et je n’avais pas l’impression de me restreindre. Je pense que c’était le stress qui me bouffait de l’intérieur, d’ailleurs il m’arrivait de vomir de stress.
Je n’avais pas conscience de ma minceur, mais on me faisait régulièrement des remarques en me surnommant l’anorexique.
Ariane Grumbach, diététicienne se définissant « anti-régime » qui accompagne (majoritairement) des femmes dans leur relation à leur corps et à leur alimentation, met en garde sur le lien trop rapide qui est souvent fait entre perte de poids et bonne santé :
« Il est important de distinguer poids et santé.
On peut être très mince et pas spécialement en bonne santé avec notamment une alimentation pauvre nutritionnellement et à l’inverse en surpoids et en bonne santé car on a une bonne hygiène de vie (une bonne alimentation, du sport, pas trop de stress, un bon sommeil…). »
Marie Lafond, psychologue, complète :
« Une perte ou un gain de poids ne peuvent être des indicateurs de santé mentale tant chaque personne peut vivre ces changements différemment.
Là où une perte de poids peut être une réelle victoire pour quelqu’un, cela peut aussi bien être un drame pour quelqu’un d’autre. »
Une année difficile et les chiffres qui augmentent sur la balance
Après ça, j’ai repris mon poids « normal », petit à petit. Puis, à mes 22 ans, j’ai commencé une année d’alternance.
Je détestais mon boulot, je détestais mon école, je détestais un mec de ma classe qui me harcelait moralement, je détestais vivre chez moi. Je ne m’en suis pas rendu compte mais je pense que j’ai pris refuge dans la nourriture.
Je ne me pesais plus car je n’avais pas envie de savoir. Mon seul indicateur était mes jeans devenus trop petits.
J’en ai pris conscience en janvier 2017 seulement, où pour je ne sais trop quelle raison j’ai décidé de me peser : 75 kg. Le choc. Le dégoût.
Je m’étais promis de ne jamais devenir grosse et là j’étais désormais en surpoids.
À partir de ce moment-là, j’ai décidé de me reprendre en main. J’ai perdu du poids petit à petit, sans me priver, histoire de ne pas tout reprendre d’un coup.
Pendant tout ce temps, mon objectif n’était pas un poids mais plutôt une forme physique à atteindre, un bien-être à atteindre. Mais mes vieux démons m’ont rattrapée.
Ma perte de poids soudaine pendant le confinement
Trois ans plus tard, au début du confinement, je faisais environ 64 kg. Je ne saurais trop expliquer le pourquoi du comment, mais je me suis retrouvée à perdre 5 kg pendant cette période d’enfermement.
En vivant chez mes parents, il est difficile de contrôler mon poids. Mon père, avec le temps, s’est lassé de faire la cuisine — désormais c’est conserves et riz au micro-ondes.
Bien trop souvent, nous nous retrouvons à manger bien trop gras pour un repas du soir.
Pendant le confinement, j’ai donc décidé de faire comme bon me semblait et de manger uniquement des fruits et légumes le soir. Mon arrêt de consommation d’alcool et de fast-food
a aussi dû avoir son impact.
Cette nouvelle alimentation était à la fois un défi et une véritable punition pour moi.
C’est difficile à expliquer, mais cette dynamique de punition est un rituel courant chez moi quand il s’agit de mon alimentation, mais aussi de tout mon mode de vie.
Je me lance des défis et je me prive, dans le but d’atteindre un objectif mais aussi de me punir.
Marie Lafond analyse le rapport des personnes atteintes de TCA à la punition et aux régimes alimentaires restrictifs :
« Pour les personnes atteintes de TCA, le corps est le réceptacle de beaucoup de négativité, d’angoisses, de dégoût.
Mais dans le fonctionnement de beaucoup d’entre elles, il y a une contradiction centrale : je contrôle ce que je mange pour atteindre un idéal désincarné qui me rendra digne d’être aimée, mais ce processus me fait du mal et je me détruis.
La punition par des régimes rentre dans cette contradiction : c’est une course vers la perfection de la minceur qui est alimentée par le dégoût de soi et une forme d’autodestruction.
Cela correspond aussi aux injonctions de notre société : il est aujourd’hui valorisé de faire un régime si on a « du poids à perdre ».
Cela renforce cette contradiction pour les personnes atteintes de TCA puisqu’à ce moment-là, c’est comme si la société les autorisait à se faire du mal. »
À la fin du confinement, je faisais donc environ 58 kg, et en toute honnêteté, j’étais super contente d’avoir perdu du poids, ça m’a permis de remettre certains vêtements.
Mais malgré cela, quand je me regardais dans la glace, je n’avais pas l’impression d’être plus mince. Seul le poids sur ma balance m’indiquait cette perte de poids.
Le problème, c’est qu’avec ces kilos en moins est revenue mon angoisse de les reprendre. L’autre jour, ma mère m’a proposé d’aller au restaurant.
Je n’avais pas spécialement faim, mais refuser voulait aussi dire me faire à manger et j’avais un peu la flemme. Et bien la seule chose qui m’a faite me décider c’est d’aller me peser. 58 kg ? Bon alors, ça va, c’est ok pour le restau.
Avant de partir en vacances, il y a quelques jours, je me suis pesée et j’ai vu 59… Ça m’a franchement stressée et je me suis dit qu’il fallait que je recommence à faire attention.
Les remarques déplacées de mes proches sur ma perte de poids
*le prénom a été modifié
Évidemment, dès que j’ai commencé à revoir des amis à la fin du confinement, la première chose qu’on m’a dit est que j’avais maigri. D’ailleurs, quand j’ai grossi, c’était également la première chose qu’on me disait.
Je comprends que ce soit la première chose que l’on voit chez une personne, son poids, mais j’ai du mal à comprendre pourquoi les gens se sentent obligés d’en faire part.
Personnellement, je n’ai jamais demandé leur avis.
Étonnement, même si mes proches semblaient en être persuadés, non, ça ne me fait pas plaisir qu’on me dise que j’ai maigri. Car dans ces remarques, il est très souvent sous-entendu que je suis mieux maintenant.
Ma mère aussi, obsédée par le poids, n’a pas arrêté de me le faire remarquer pendant le confinement. Elle m’a dit qu’elle « me retrouvait comme avant » (sous-entendu quand j’étais en sous-poids).
À me dire :
« Tu dois te sentir mieux maintenant, tu dois flotter dans tes jeans ! »
C’est si pénible, je veux juste qu’elle me foute la paix.
Il y a quelques jours à une soirée, un ami que je n’avais pas vu depuis quelques temps m’a dit que j’étais très jolie avec ces kilos en moins et qu’il avait la sensation que j’avais plus confiance en moi, que j’étais moins timide.
Il m’a dit sans aucune retenue qu’il me trouvait plus belle ainsi. Pour lui, au-delà de l’aspect esthétique, cette perte de poids changeait carrément ma personnalité. J’ai trouvé ça hallucinant.
De la même manière, un autre ami m’a dit que j’avais fondu et qu’il me trouvait bien plus belle maintenant, et une amie m’appelle désormais « la demi-Clara* ».
Je trouve ça vraiment fou que personne ne se rende compte des mots employés et de la répercussion qu’ils peuvent avoir.
Non, je ne me sens pas mieux dans ma peau ni dans mon corps avec mes kilos en moins, et non, ma personnalité n’a pas changé parce que je rentre mieux dans certains de mes jeans.
Daria Marx, militante anti-grossophobie et cofondatrice du collectif Gras Politique, explique ce qui se cache derrière les remarques non-sollicitées sur le poids des personnes :
« Les gens se sentent pousser des ailes quand il s’agit du poids : ils sont persuadés qu’ils ou elles vont t’aider, qu’ils ou elles vont provoquer le déclic en toi, qu’ils ou elles ont le secret de la santé et de la jouvence éternelle…
Bref, tout le monde est médecin ou diététicienne, tout le monde a un avis, tout le monde veut participer à une discussion qui n’est pas sollicitée et qui ne concerne que soi.
Cela parle surtout de la grande angoisse commune que nous partageons toutes et tous : grossir.
On passe notre temps à nous fliquer les uns, unes et les autres, car grossir est vu comme un déclassement dans notre société.
C’est forcément quelque chose d’inquiétant, de dangereux, et surtout grossir, c’est devenir moche, voilà ce que ça nous renvoie. »
Marie Lafond complète :
« Lorsque l’on félicite quelqu’un pour sa perte de poids sans savoir ce qu’elle représente pour lui ou elle on lui livre seulement ce que la société attend :
« C’est super tu as perdu du poids, tu dois te sentir beaucoup mieux car tu corresponds à ce que la société attend de toi. »
Il ne s’agit pas d’un compliment ou d’un encouragement mais d’un rappel de la pression qui s’exerce déjà en permanence dans notre société.
Dans le cas de la personne qui témoigne, toutes ces félicitations la renvoient au fait que sa valeur pour les autres et le regard qu’ils et elles portent sur elle dépendent de son poids. »
Mon corps et moi, un rapport difficile peu importe mon poids
Finalement, mon rapport au corps a toujours été très difficile, je pense même qu’il n’a jamais été bon. J’ai été éduquée par une mère qui déteste la graisse, les rides, les cheveux blancs. Donc c’est assez difficile d’être bien dans sa peau.
J’essaie au mieux de m’accepter comme je suis, avec mes défauts, mais mon entourage a un gros impact sur ce chemin.
Même dans mes relations amoureuses, je n’ai pas le souvenir d’avoir été vraiment complimentée, ou alors tous les actes négatifs et toxiques à côté annulaient les mots gentils.
Daria Marx explique pourquoi faire des remarques non-sollicitées sur le poids cultive la grossophobie systémique :
« Toute remarque sur le poids est une violence quand elle n’est pas sollicitée.
On a aucune idée du parcours des personnes, de ce que leur poids indique de leur santé mentale ou physique, des efforts qu’ils ou elles font pour « améliorer » leur physique, bref, on ne sait rien des souffrances et des injonctions reçues.
C’est très violent de penser que notre apparence est sans cesse jaugée et validée par nos proches, ceux et celles qui nous aiment, même sous le prétexte de la bienveillance.
En nous rappelant sans cesse que vous monitorez notre poids, ce que nous perdons, ce que nous prenons, ce que nous mettons dans nos bouches, vous renforcez l’idée portée par la société que nous ne sommes pas assez performants, que nos corps imparfaits sont à améliorer, que nous ne pouvons pas exister hors d’une norme imposée.
Dans les cercles de femmes ou de minorités de genre, la violence existe aussi, nous sommes tellement tous toutes matrixées par un idéal corporel inatteignable que nous devenons des miroirs cruels pour les autres.
Lutter contre la grossophobie, ça commence par étudier sa propre grossophobie intériorisée : pourquoi j’ai si peur de prendre quelques kilos ? Combien de temps par jour je consacre à penser du mal de mon apparence ? À monitorer ce que je mange ?
Combien de fois par jour je me compare aux autres, à des images inaccessibles ?
C’est en faisant ce travail personnel qu’on arrête de projeter sa peur de grossir sur les autres et qu’on arrête de participer à l’essor de la grossophobie systémique. »
Quand je vois des photos de moi pendant ma période de surpoids, je me dégoûte. Je me trouve juste grosse et grasse et j’ai vraiment un sentiment de rejet. Puis quand je regarde des photos datant de mes 17 ans, je me trouve maigre.
Quand j’avais un poids normal de 55 kg, je n’aimais pas non plus mon corps. Trop petites jambes, trop gros ventre, trop de vergetures.
Mon chemin vers une relation saine à mon corps, mon poids et mon alimentation
Pour le moment je me sens encore fragile, parce que je ne comprends pas complètement cette perte de poids, je ne la vois pas, donc je ne me sens pas spécialement satisfaite.
Je n’aime pas mieux mon corps maintenant même si, a priori, tout le monde le préfère.
Je me sens peut-être un peu mieux dans ma peau, dans le sens où, si ma minceur se voit tant que ça, alors je me sens plus jolie en mettant une robe.
Je vis énormément dans le regard des autres et au travers des compliments que je reçois, et je ne crois pas être la seule. J’ai beau faire en sorte de m’aimer moi-même, de ne pas prêter attention aux avis extérieurs, ça semble difficile de faire autrement.
Bientôt, j’aimerais pouvoir consulter quelqu’un dans le domaine de la nutrition ou des addictions.
En attendant, je prends soin de moi comme je peux avec les ressources que j’ai et je sais aussi que ce sera plus facile de gérer tout ça quand je partirai de chez mes parents, ce que j’espère est pour bientôt.
À l’avenir, j’aimerais simplement écouter mon corps et mon estomac, manger quand j’ai faim et non pas parce que c’est l’heure, manger en tête-à-tête avec mon assiette sans avoir la télé qui crie dans mes oreilles, sauter un repas si je n’ai pas envie de manger sans qu’on s’inquiète tout de suite pour moi.
J’ai trop souvent tendance à ingurgiter les aliments sans me rendre compte des quantités ou des calories que ce que je mange représente. Je pense que toute mon alimentation est à revoir.
Mes souhaits pour le futur sont plutôt simples. Ce serait de manger à ma faim, ni trop ni pas assez, sans me poser de questions, d’être plus connectée à mon corps et à mon estomac.
Quels sont les signes qui peuvent alerter et doivent mener à la consultation d’un ou d’une spécialiste ? Ariane Grumbach explique :
« Il y a beaucoup de degrés de perturbation de la relation à la nourriture, sans aller forcément jusqu’au trouble du comportement alimentaire. Les indicateurs peuvent notamment être :
- la nourriture qui prend une place obsessionnelle dans la tête, qui occupe les pensées quasiment toute la journée,
- se peser non seulement tous les jours mais plusieurs fois par jour et que cela ait un impact fort sur l’humeur,
- voir son corps de façon totalement déconnectée de la réalité,
- se déconnecter complètement de ses besoins alimentaires et manger beaucoup moins ou beaucoup plus que ses besoins soit en quantité soit en type d’aliments. »
À lire aussi : Maman, merci de laisser mon poids tranquille
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Les Commentaires
Comme il s'agit de personnes âgées, je n'ai jamais vraiment eu le soutien que j'aurais dû avoir, devant ne rien dire car "elles sont âgées et ne se rendent pas compte", "elles sont de la campagne et c'est comme ça qu'on est là-bas". L'âge ou le milieu excuse-t-il le simple manque de respect ?
Il y a deux ou trois ans j'ai croisé ma grande-tante que je n'avais pas dû voir depuis presque dix ans. Première parole en s'adressant à ma grand-mère, même pas à moi directement : "ah ben... elle a l'air en forme" avec ironie. Pour souligner mon poids. Ma grande-tante doit faire elle-même 150kg. Elle ne m'a pas vue depuis 10 ans. C'est ça, sa première parole ? La première idée qui lui vient à l'esprit à la vue de ma personne ? Quand j'en ai parlé à ma famille : "mais tu sais comment elle est, ne t'arrête pas là-dessus, ce n'est pas grave..." Bah, si, en fait. C'est grave, c'est très grave. C'est ce genre de grossophobie qui entraîne des troubles psys chez les personnes concernées. Je pense que je vais éviter de la revoir pour le reste de mes jours, moi je ne pardonne pas ce genre de choses, le respect c'est à la base de l'humanité, qu'importe l'âge.
Ce qui est étrange à ce sujet, c'est qu'autant, en ce qui concerne les personnes de mon âge, j'ai bien plus eu de remarques de la part des hommes, autant quand il s'agit des personnes âgées, j'en ai bien plus bavé par les vieilles femmes. Mon expérience n'a pas valeur de représentation mais m'a appris qu'il fallait même se méfier de celles qui pourraient paraître "dans son camp".