« Madame la Présidente, si le mis en cause bénéficie de la présomption d’innocence, il faut que le parent protecteur y ait droit aussi. » Ces mots, ce sont ceux de Sophie Abida, prononcés lors d’une audience le 16 août dernier. Elle risquait son autorité parentale. « Aujourd’hui, je suis incriminée, taxée de parent aliénant ou manipulateur, accusée de faire de fausses allégations d’agression, d’instrumentaliser mes enfants… Sans aucune preuve. »
Les paroles de Sophie Abida font écho à ce que plusieurs autres mères, qui ont contacté Madmoizelle pendant cette enquête, racontent avoir vécu dans les salles d’audience. Suspectées de mal s’occuper de leur enfant, celles-ci sont, dès lors qu’elles relatent à la justice les faits d’inceste qui leur ont été confiés, soupçonnées de manipuler la parole de leurs enfants pour nuire à leur ex-compagnon. Ce biais, qui fait des mères protectrices les coupables aux yeux de la justice porte un nom : le « syndrome d’aliénation parentale » (SAP).
Le SAP, « arme redoutable » dans la main des pères incestueux
Comme le rappelle le sociologue Pierre-Guillaume Prigent, qui travaille sur les usages sociaux de l’aliénation parentale en France, cette notion controversée a été théorisée dans les années 1980 par le psychiatre américain Richard Alan Gardner dans un contexte particulier, « celui de l’émergence de la parole de femmes victimes de violences conjugales et d’enfants ». « Il a développé l’idée qu’en contexte de séparation, il y a beaucoup plus d’accusations qui se révèlent fausses. Mais ça ne tient pas la route. On sait au contraire que la séparation est un contexte favorable à la dénonciation des violences, comme d’autres études l’ont montré depuis. » Les fausses allégations de violences sexuelles sont d’ailleurs rares : entre 3 et 8 % selon les études. En 2005, une recherche canadienne analysant les fausses allégations de violences sexuelles commises sur des enfants les évaluait à 4 %. Ces dernières ne sont pas le fait des enfants eux-mêmes, mais surtout de proches voisins et de parents qui n’ont pas la garde de l’enfant.
En France et en Belgique, le « syndrome d’aliénation parentale » a aussi fait son chemin, d’abord « auprès de collectifs de pères divorcés au milieu des années 90 », détaille la doctorante en sociologie Gwenola Sueur, avant d’infiltrer les cours de justice, notamment par le biais de psychologues ou de psychiatres investis lors d’expertises judiciaires comme Hubert Van Gijseghem et Paul Bensussan. « Dans sa conception, le ‘syndrome d’aliénation parentale’ a été construit sur l’image d’une mère qui manipule son enfant. C’est donc une arme redoutable dans la main des violents conjugaux ou des pères incestueux », souligne Édouard Durand, juge des enfants et co-président de la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants).
Dès le début pourtant, le SAP a fait l’objet de critiques car il ne se base sur aucun fondement scientifique. En 2019, le ministère de la Justice a émis une note interne pour informer du caractère « controversé et non reconnu » de cette notion et en 2020, il a été officiellement retiré de la Classification internationale des maladies (CIM-11), le registre américain de référence sur les troubles mentaux.
Ce qui n’empêche pas les défenseurs du « syndrome d’aliénation parentale » de continuer à le mobiliser en défaveur des mères. « Il n’est plus nommé comme tel mais il est utilisé sous d’autres termes : ‘manipulatrice’, ‘possessive’, ‘fusionnelle’… Il irrigue les décisions de justice, les expertises et les comptes rendus de l’Aide sociale à l’enfance », constate Pauline Rongier, avocate de Pauline Bourgoin* et Sophie Abida.
Le phénomène est tel que le 13 avril 2023, Reem Alsalem, la rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles à l’ONU, a mis en garde la France « sur l’utilisation abusive de la notion d’‘aliénation parentale’ et de pseudo-concepts similaires ».
Des expertises judiciaires complaisantes ou mal réalisées
Pour autant, le SAP et ses formes dérivées prospèrent dans les cours de justice, portés par des expertises judiciaires aux méthodes controversées. C’est ce que démontrait en septembre dernier une enquête du média d’investigation Mediapart.
Si aujourd’hui, les expertises psychologiques ou psychiatriques sont obligatoires pour toute personne poursuivie pour viol, elles sont, en théorie, facultatives pour les plaignant·es. Mais, comme le révèlent nos confrères de Mediapart, depuis une dizaine d’années, la pratique se systématise pour celles et ceux qui dénoncent des violences sexuelles. « Sur le papier, il s’agit de déterminer si le ou la plaignante présente des troubles psychiatriques ou une insuffisance intellectuelle, et d’évaluer l’éventuel retentissement psychologique causé par les faits. Dans la pratique, ces expertises servent souvent aussi à vérifier si la personne est ‘crédible’. »
Seulement, ces expertises, qui aiguillent en grande partie la prise de décision des juges, sont souvent mal réalisées. Selon Flavia Remo, psychanalyste spécialiste du psychotraumatisme chez les enfants, sollicitée pour réaliser des expertises privées et judiciaires, plusieurs facteurs expliquent cela. « D’abord le manque de formation spécifique de ces professionnels judiciaires. Mais aussi la peur de prendre des responsabilités face aux situations de violences intrafamiliales et sur les enfants. » L’experte identifie là un réflexe de défense inconscient qui aboutit à un déni professionnel de ces maltraitances : « Tout ce qui est traumatique n’est pas si facilement accepté par ces professionnel·les, qui ne sont pas forcément prêt·es à recevoir de tels récits, ou à visionner des vidéos qui montrent des enfants très jeunes subir des gestes sexualisés ». Ce déni peut s’accompagner aussi d’un mécanisme de projection. « Soupçonnée d’inventer, la mère est perçue comme aliénante, manipulatrice. Elle est accusée de projeter ses fantasmes, ses angoisses sur son propre enfant. Résultat, toutes les déclarations de l’enfant, automatiquement, sont bafouées. »
Sophie Abida estime avoir fait les frais d’une de ces expertises biaisées ne prenant pas en compte les soupçons de violences sexuelles pesant sur l’une des parties. À l’été 2022, alors qu’une plainte pour viol a déjà été déposée à l’encontre de son ex-conjoint, Sophie Abida est contactée par une psychologue mandatée par le tribunal de Chartres pour se plier, ainsi que ses enfants, à une expertise psychologique. Résidant désormais en Bourgogne, et sans véhicule, elle décline dans un premier temps la demande de rencontre en visu faite par l’experte, et lui demande de réaliser les entretiens par visio. Ces derniers n’auront pas lieu. Dans sa réponse à Madmoizelle, l’avocat du père évoque des « mensonges » de Sophie Abida à l’experte pour tenter de se soustraire à l’expertise.
Dans son rapport d’expertise de sept pages auquel Madmoizelle a eu accès, qui se base sur un unique entretien avec le père, réalisé en octobre dans ses bureaux à Versailles et « complété par des entretiens téléphoniques », l’experte conclut à une « instrumentalisation des enfants au profit du conflit qui oppose les deux parents ». Elle suppute par ailleurs que Sophie Abida projetterait en réalité « ses fragilités » sur ses enfants tandis que son ex-conjoint est présenté comme un « père attentif et soucieux du bien-être de ses enfants, investi dans leur vie depuis leur plus jeune âge ». Elle préconise un transfert de résidence des enfants au domicile de leur père – avis que la juge aux affaires familiales va suivre en janvier 2023. Depuis, Sophie Abida a déposé une plainte contre la psychologue à l’origine de l’expertise, notamment pour « escroquerie au jugement » et « falsification d’expertise ».
De son côté, Pauline Bourgoin a accepté, en octobre 2022, de rencontrer le psychiatre Roland Coutanceau, mandaté par la cour d’Orléans après sa plainte pour viol contre sa fille. Dans une enquête publiée sur Franceinfo, la mère dénonce un rapport « expéditif », réalisé « sans avoir lu le dossier ni aucun rapport que je lui ai proposés ». Son rapport, suivi par le juge des enfants, préconise « un droit de garde à la mère et un droit de visite au père ».
Les expertises privées, contrepoids essentiel pour les mères protectrices
Face à ces expertises qu’elles estiment bâclées, les mères qui en ont les moyens se tournent parfois vers des experts privés, sans la garantie que leur contre-analyse ne soit pour autant prise en compte dans les salles d’audience. Un parcours coûteux, aussi bien psychologiquement que financièrement. « Entrer dans l’univers de l’enfant, ça n’est pas une petite chose, détaille Flavia Remo. Il faut savoir recueillir la parole de cet enfant, avant tout prendre le temps de le mettre en confiance. » La psychanalyste fait partie des quelques experts formés à « la psychopathologie des maltraitances », un domaine clinique encore trop méconnu selon elle.
Son travail consiste à mettre en lumière les conséquences physiques et psychiques des violences, qui ne prennent pas toujours la forme à laquelle on pourrait s’attendre. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un enfant est arraché à sa figure d’attachement pour être placé chez son parent soupçonné de violences ou à l’ASE (Aide sociale à l’enfance). « On ne peut pas éloigner un petit enfant de sa première figure d’attachement, sauf si le parent manifeste des troubles de la parentalité avérés, martèle l’experte. C’est un traumatisme qui s’ajoute aux violences qu’il subit déjà. »
Ce traumatisme supplémentaire peut engendrer un comportement déroutant chez l’enfant, ajoute Flavia Remo : « On voit très clairement que, quand l’enfant revoit son parent protecteur, par exemple lors de visites médiatisées, il peut ressentir une manifestation de colère. »
Des signaux qu’il est essentiel de savoir déceler dans des affaires aussi sensibles, mais qui donnent trop souvent lieu à de mauvaises interprétations, poursuit l’experte : « Cela peut être très mal compris par les éducateurs et les psychologues, qui voient un comportement agressif vis-à-vis du parent protecteur. » Pour Flavia Remo, la relation entre l’enfant et son parent agresseur doit être mieux comprise, en particulier la distinction qui s’opère psychiquement chez le petit « entre le père qui peut être incestueux et le ‘papa’ qui ne peut pas l’être ».
« Ce n’est pas parce que l’enfant dit : ‘moi, je veux revoir papa’, et qu’il peut présenter de moments de jeux, de complicité et même de câlins que cela signifie que l’enfant n’est pas victime de maltraitance et même d’inceste. Il faut comprendre son ambivalence et ses clivages qui lui permettent d’avoir de tels comportements ‘quasi normaux’ ». De plus, lors des visites médiatisées, l’enfant peut exprimer sa joie de voir son père. « Car à ces moments-là, l’enfant est protégé, dans un lieu sécurisé. Le père incestueux, le père maltraitant n’est pas là, il ne peut pas agir. Donc l’enfant peut profiter de ‘son papa’, de l’image idéalisée dont il a besoin. »
Des violences intrafamiliales déguisées en « conflit parental »
Comprendre ces mécanismes subtils prend du temps, et une bonne expertise ne peut se faire à la va-vite. « Les parents protecteurs arrivent avec un dossier gigantesque comprenant des expertises judiciaires, des rapports des services socio-judiciaires… Je dois évaluer et contre-expertiser, si nécessaire, des rapports défaillants. Le travail d’une expertise privée est immense, cela prend 50 heures minimum. Ce n’est pas parce qu’on me demande une expertise que je fais une expertise en faveur du parent qui la réclame. Il faut être absolument objectif, impartial », affirme Flavia Remo.
Ce travail titanesque ne fait pas toujours le poids face aux expertises moins rigoureuses et partiales qui ont toute puissance dans les tribunaux. « La justice fonctionne sur un modèle d’expertise psychologique où on attribue tout pouvoir à l’expert pour désigner la vérité ou la non-vérité de la situation », atteste le sociologue Pierre-Guillaume Prigent. Dès lors que la parole des mères n’est pas prise en compte, et que leurs contre-expertises sont balayées, l’engrenage judiciaire se referme sur elles. Comme dans l’affaire de Sophie Abida, où les magistrats ont plus tendance à croire à la manipulation et au « conflit parental » qu’à un potentiel cas d’inceste : « C’est systématique, même dans les bonnes décisions, il y a le mot conflit ou ‘contexte de séparation’. Aujourd’hui, le conflit parental remplace le syndrome d’aliénation parentale », affirme l’avocate Pauline Rongier, qui défend plusieurs mères protectrices.
En cause, un déni social de l’inceste, profondément enraciné. « C’est beaucoup plus facile d’imaginer qu’une mère invente des histoires, en vertu des préjugés misogynes qui subsistent dans notre société sur les femmes vengeresses et jalouses qui veulent récupérer l’enfant pour elles seules… Plutôt que d’imaginer une seule seconde des actes pédocriminels d’un père sur son enfant », affirme Delphine M., de l’association Protéger l’Enfant.
Et qui dit conflit, dit effort de résolution, avec, en creux, la menace de sanctionner le parent qui refuserait de se soumettre à cet impératif. « Le problème est que la société fait injonction aux parents de s’entendre au moment où c’est impossible : le moment où ils se séparent. Elle met donc en œuvre tout un tas de techniques pour contraindre les parents à s’entendre, au mépris de la réalité », analyse le juge Édouard Durand, qui déplore une absence de « distinction entre le conflit et la violence ». Résultat de cet amalgame : le « risque d’utiliser les outils qui sont appropriés à la résolution d’un conflit » pour « traiter d’une situation de violence, qu’elle soit incestueuse ou conjugale. En faisant cette confusion, on cautionne la stratégie de l’agresseur », résume le co-président de la CIIVISE.
Il n’est pas rare que l’agresseur utilise ce prétexte de conflit pour continuer à exercer un contrôle sur son enfant, et par ricochet, sur le parent protecteur. Le maintien de la co-autorité parentale y contribue. « Tout ce qui est de l’ordre de la médiation, y compris pendant une audience, y compris pendant une réunion parents-prof, dans une situation de violence, est une victimation institutionnelle parce qu’elle met sur le même plan l’agresseur et la victime en écartant la réalité ou l’hypothèse des violences. Et donc, parce qu’elle empêche le parent victime d’être sujet de droit et qu’elle autorise le parent agresseur à perpétuer l’emprise », poursuit le juge Durand.
À cela s’ajoute un problème de compilation au niveau des décisions judiciaires, abonde l’avocate Pauline Rongier : une même affaire peut être traitée par trois à quatre juridictions différentes. « On pourrait s’attendre à ce que cela apporte de la pluralité, mais c’est tout l’inverse. Une fois qu’il y a une première décision, tous les magistrats vont s’aligner dessus. » Un magma de décisions « d’apparence solide et cohérente, mais en réalité complètement déconnecté de la gravité des faits » qui, lorsqu’elles sont défavorables au parent protecteur, deviennent un argument puissant pour la défense. « Très souvent à l’audience, le père va faire valoir que X juges lui ont donné raison et que, forcément, la mère continue à mentir… »
Pour Me Rongier, cette pluralité de juridictions a des conséquences d’autant plus dramatiques qu’elle s’accompagne d’incohérences au niveau des temps procéduraux, entre une instruction au pénal qui peut prendre plusieurs années et un jugement des affaires familiales, qui intervient au sujet de la garde des enfants dans un délai bien plus court. Cette diversité de juridictions et de juges est donc contre-productive, selon l’avocate : « Les magistrats peuvent avoir tendance à reprendre systématiquement les décisions précédentes, si bien que si la première décision est mauvaise, cela devient un édifice très difficile à renverser. Par ailleurs, cela peut conduire les juges à se renvoyer la balle pour ce qui est de la protection des enfants. Cela nuit à la cohérence du traitement judiciaire des violences intrafamiliales. »
Une justice organisée autour du pouvoir des pères
Pourtant, les préconisations de la CIIVISE sont claires : il faut croire et protéger les enfants. Mais dans la majorité des cas, ils ne reçoivent pas de soutien social positif : si sept confident·es sur dix croient l’enfant, près d’une victime sur deux « n’est pas mis[e] en sécurité et ne bénéficie pas de soins ». La commission estime même que seules 8 % des victimes obtiennent un soutien social à la hauteur. Or, rappelle la CIIVISE, « un enfant qui révèle des violences et qui perçoit dans une parole, un regard ou une attitude qu’il n’est pas cru, risque un effondrement psychique », et peut se murer dans le silence. Aujourd’hui, le juge Durand est catégorique : la parole de l’enfant est insuffisamment prise au sérieux.
« Avant, c’était l’omerta familiale. Maintenant c’est l’omerta judiciaire », soutient Pauline Rongier. Une vision que partage Delphine M. de l’association Protéger l’Enfant, pour qui les défaillances de la justice sont d’origine structurelle : « Le système judiciaire n’a jamais été pensé pour s’adapter aux violences intrafamiliales. Il y a vraiment une manière de penser la justice qui est organisée par rapport aux violences dans l’espace public, plus visibles. » Mais les violences faites aux femmes et aux enfants sont davantage perpétrées à l’intérieur des foyers, et donc sans témoin direct. À cela s’ajoutent peut-être des logiques de pouvoir archaïques qui infusent toujours notre système judiciaire, selon elle : « La structure de la justice est organisée par rapport au pouvoir des pères. La puissance paternelle, c’est aussi la puissance maritale. On est dans une continuité parfaite. »
Une misogynie systémique qui imprègne encore une fois le traitement très différent réservé aux parents dans les cours de justice. Par exemple, un homme condamné pour violences conjugales au tribunal correctionnel va être encouragé à retrouver un lien avec l’enfant, tandis qu’une mère accusée d’aliénation parentale en paiera les conséquences pendant plusieurs années, selon les sociologues spécialistes du SAP Pierre-Guillaume Prigent et Gwenola Sueur : « Quand l’accusation a été retenue par un magistrat, le père va l’utiliser à chaque jugement, même si la mère a été étiquetée à partir d’une notion sans fondement scientifique. »
« La justice torture ces femmes »
Dès le 27 octobre 2021, près d’un mois seulement après son premier appel à témoignage, la CIIVISE publiait déjà un avis intitulé À propos des mères en lutte qui alertait sur le piège judiciaire et social dans lequel sont prises les mères qui portent la parole de leurs enfants victimes d’inceste. Elles font face à un dilemme impossible : « ne pas alerter les institutions de protection et être accusées de négligence ou de complicité » ou « les alerter en déposant plainte, en saisissant le juge aux affaires familiales, en écrivant aux services sociaux, et être accusées de mensonges et de manipulation. » Quoiqu’elles fassent, elles sont donc perdantes, selon la commission. Pauline Bourgoin et Sophie Abida ont choisi la deuxième option et en subissent aujourd’hui encore les conséquences.
Pauline Bourgoin a obtenu un placement de Louise à son domicile, mais le père de cette dernière conserve un droit de visite et d’hébergement. Face au désarroi de sa fille à chaque retour de week-end chez son père, Pauline a pris la décision de ne plus la lui remettre depuis la fin du mois de juin. En situation de non-représentation d’enfant, elle risque à nouveau de perdre sa garde et de voir sa fille confiée à l’Aide sociale à l’enfance, voire de se retrouver condamnée à de la prison.
Condamnée en avril en première instance à dix mois de prison avec sursis après avoir passé trois semaines en détention provisoire pour « soustraction d’enfant », Sophie Abida refusait jusqu’ici de remettre Iris à son père. Le 19 septembre « six gendarmes casqués (…) sont venus défoncer la porte de son domicile », selon le communiqué de son avocate. La petite de deux ans et demi a rejoint ses frères et sœur aîné·es chez leur père, qu’elle ne connaît pas puisqu’elle est née après la séparation de ses parents. Sophie Abida a depuis entamé une grève de la faim pour protester contre cette décision. Mercredi 11 octobre a eu lieu à Versailles l’appel de la décision du tribunal correctionnel de Chartres. Le verdict sera rendu le 29 novembre 2023.
Dans un communiqué daté d’octobre 2023, l’avocat de l’ex-conjoint de Sophie Abida, Me Bertrand Lebailly, dénonce de son côté « une campagne de haine » dont serait victime son client, et qui aurait « redoublé de violence depuis le 19 septembre 2023, lorsqu’Iris, la dernière enfant du couple, a été retrouvée par les militaires de la Gendarmerie au domicile de sa mère où, par chance, elle se trouvait ».
Ces deux mères sont loin d’être les seules dans cette situation intenable. Priscilla Majani en est un autre cas emblématique. En janvier 2023, cette femme de 48 ans a été condamnée en appel à deux ans et neuf mois de prison ferme pour avoir caché sa fille durant onze ans. Celle-ci avait révélé à plusieurs reprises les violences sexuelles que lui aurait fait subir son père. Le verdict avait donné lieu à une immense vague de soutien sur les réseaux sociaux sous le hashtag #JauraisFaitCommeElle. Depuis, trois rapporteurs spéciaux de l’ONU ont interpellé la France sur son cas, ainsi que sur celui de Sophie Abida et d’une autre mère désenfantée, Hanna Dam-Stockholm.
Moins connues mais tout autant combatives, des dizaines tentent aussi de porter leur voix, notamment sur les réseaux sociaux et en particulier Instagram. « Il faut parler, il faut médiatiser. Pour que ça change, il faut que ça se sache », martèle Pauline Rongier. Aujourd’hui, aucun recensement exhaustif ne permet de quantifier le nombre de parents protecteurs, mais les associations de protection de l’enfance disent crouler sous les appels à l’aide.
« Pour moi, la justice torture ces femmes », tranche l’avocate. Et ce, malgré des préconisations très claires de la part de la CIIVISE, qui appelle à renforcer la chaîne de protection toute entière. Suspendre l’exercice de l’autorité parentale et le droit de visite et d’hébergement du parent faisant l’objet de poursuites pénales, suspendre les poursuites en cas de non-représentation d’enfant à l’encontre du parent protecteur, appliquer le principe de précaution… Telles sont certaines des pistes prônées par la commission dont le futur reste, à ce jour, incertain. Bien qu’elle réponde à un besoin vital. Le 20 novembre, la CIIVISE rendra un ultime rapport, avant d’être fixée sur son sort.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande de la témoignante pour préserver son anonymat et celui de son enfant.
Rappel : en l’absence de condamnation, chacun·e bénéficie de la présomption d’innocence.
L’une des témoignantes, Pauline Bourgoin*, a requis l’anonymat pour préserver sa vie professionnelle et privée, et pour préserver la vie privée de sa fille Louise*. Elle a relu ses propos et les a confirmés par écrit avant publication. Pauline Bourgoin* médiatise depuis mai 2022 son affaire via son compte Instagram @maman_désenfantée.
Sophie Abida apparaît dans l’enquête sous son nom propre. Elle a relu et confirmé par écrit ses propos avant publication. Elle médiatise depuis février 2023 son affaire via son compte Instagram @justicepourmes4enfants.
Chacun·e des autres intervenant·es dans l’enquête a également relu et confirmé par écrit ses propos avant publication.
Initialement, une troisième mère protectrice devait figurer dans l’enquête, et nous avait confié son histoire lors de plusieurs entretiens réalisés entre avril et septembre 2023. Après l’avoir contactée par mail le 18 octobre pour lui faire relire et valider ses propos avant publication de l’enquête, elle nous a informées le 24 octobre par téléphone ne plus souhaiter y figurer « par crainte des représailles de la partie adverse ». Nous avons donc supprimé les éléments la concernant.
Durant notre enquête, plusieurs mères protectrices nous ont contactées. Nous avons néanmoins choisi de nous concentrer sur le parcours de trois d’entre elles afin d’avoir un suivi rigoureux et approfondi de leurs histoires.
Nous avons sollicité par mail via son avocate l’ex-conjoint de Pauline Bourgoin* le 27 octobre pour lui poser des questions et ainsi faire respecter le principe du contradictoire. Son avocate nous a répondu le 30 octobre qu’il « ne [donnerait] pas suite à [notre] demande dans la mesure où le débat ne doit être que devant la Justice et non dans les médias » et qu’il contestait « fermement les accusations formées à son encontre ».
Nous avons sollicité par mail via son avocat l’ex-conjoint de Sophie Abida le 27 octobre pour leur poser des questions et ainsi faire respecter le principe du contradictoire. Me Bertrand Lebailly nous a répondu le 2 novembre et nous avons intégré des extraits de sa réponse dans les deux parties de notre enquête.
Nous avons également sollicité par mail le 27 octobre l’association ayant mandaté la psychologue chargée de l’expertise psychologique de Sophie Abida, de son ex-conjoint et de leurs enfants, afin de lui poser des questions et faire respecter le principe du contradictoire. Nous avons relancé l’association par mail le 2 novembre et par téléphone le 3 novembre, sans réponse positive de sa part.
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