En 2021, plusieurs situations d’entraves à l’allaitement dans des lieux publics ont été médiatisées, provoquant des réactions très diverses : soutien d’une part, et critiques de ces poitrines visuellement agressives d’autre part.
Dans « Mes seins, mon choix ! Pourquoi l’allaitement divise les féministes ? », paru le 19 mai chez Eyrolles, je questionne la place de l’allaitement chez les féministes, et dans la société française. Pour certains, il s’agit d’une aliénation, et pour d’autres, c’est une façon de se réapproprier son corps face à la domination patriarcale, l’ingérence médicale et les lobbies du lait infantile.
Est-ce que le regard masculin, mais aussi le regard médiatique et culturel façonne la manière dont nous considérons l’allaitement dans l’espace public ? Quel est le poids du male gaze, et des représentations de l’allaitement sur nos écrans, dans cette intolérance aux seins allaitants ?
L’homme regarde le sein
Si on vous dit sein, vous pensez à quoi ? Publicité de lingerie, couverture de magazine porno, décolleté plongeant de votre voisine, ou bien plutôt douce mère qui nourrit son enfant, symbole de la maternité ?
On en est encore là en 2022, pour certains hommes hétéros cis du moins. Le sein est excitant, il est sexuel, érotique, mais quand la femme devient mère alors là demi-tour, le sein devient sacré et nourricier. On est en plein dans la dichotomie de la mère et de la putain. Dans cette représentation manichéenne de la femme, qui a la vie dure, on est sexy ou intouchable, sans autres facettes possibles.
Pudeur ou hypocrisie ?
Qu’on choisisse d’allaiter ou non, notre choix est la plupart du temps critiqué et jugé. Les mères qui optent pour le biberon dès la naissance sont bien souvent malmenées par la société, les soignants, parfois même leurs proches. Mais les mères allaitantes rencontrent également des obstacles.
Alimenter son bébé au sein apporte l’avantage de pouvoir sortir dehors avec son bébé sans rien n’avoir à préparer ni emmener (je vous conseille quand même de prendre une couche), mais encore faut-il oser nourrir son enfant dans un lieu public malgré des regards parfois malveillants ou écœurés, des remarques, voire (rarement, heureusement) une agression verbale ou physique.
Pourquoi est-ce si gênant de voir quelqu’un nourrir son bébé ? Quand le sein n’est pas impliqué, cela ne choque visiblement personne. Quel effroi de voir un biberon ou une cuillère de purée dans un lieu public !
Oui mais voilà, ce fameux sein. S’il n’a pas de velléité à exciter on préfère encore ne pas le voir. La société s’organise pour ne surtout pas imposer la vision d’un sein allaitant (ou bien malade, ou encore une cicatrice de mastectomie) aux hommes, qui sont encore trop nombreux à être gênés de voir une femme allaiter.
Les femmes aussi, bien sûr, ce ne sont pas les dernières à critiquer le « manque de pudeur » des mères allaitantes. Mais le fait est que tout cela est bien teinté de patriarcat. Après tout, pourquoi une tête de bébé collée devant un sein serait plus gênante à regarder qu’un décolleté ? Les deux devraient être totalement normalisés et banalisés dans l’espace public : ni excitant, ni choquant.
Les codes de la MILF
Une autre invention venue tout droit de la planète patriarcat : la MILF, acronyme de Mother I’d Like to Fuck, soit « mère que j’aimerais baiser » en français. C’est l’image de la mère façonnée par le male gaze, le regard masculin, qui est le point de vue adopté dans la plupart des œuvres culturelles.
Jusqu’à peu, les rares représentations de l’allaitement en photo et publicité reprenaient les codes de la MILF : regard pénétrant, bouche entrouverte, visage maquillé… On sexualise le tableau pour désacraliser le saint sein et éviter la gêne du sein allaitant dans l’espace public.
On peut penser à cette célèbre photo de l’actrice Rachel McAdams en train de tirer son lait, ou encore une publicité pour les salles de sport américaines Equinox, qui montre la mannequin Lydia Hearst, très apprêtée, allaiter des jumeaux. Ce sont des images puissantes, mais qui adoptent les codes de la MILF.
L’allaitement à la télévision
Si le regard patriarcal a sa part de responsabilité dans le rejet de l’allaitement dans l’espace public, il infuse également dans les représentations de l’allaitement à la télévision, ou plutôt : dans les rares représentations de l’allaitement à la télévision !
Une représentation faible et problématique
L’allaitement est en effet rarement représenté dans les livres et jouets pour enfant (les poupons sont systématiquement accompagnés de leur petit biberon), et il est aussi peu montré à la télé, qu’il s’agisse de films, séries ou publicités. Mais quand il l’est, il est soumis au male gaze.
Jusqu’à il y a encore quelques années, lorsqu’un allaitement était montré dans une fiction télévisuelle, on pouvait le ranger dans au moins une de ces trois cases : un allaitement difficile et douloureux, une mère priée de ne pas allaiter dans un lieu public, ou une mère qui allaite un enfant de plusieurs années et reçoit des jugements négatifs.
Et toujours : des témoins de la scène mal à l’aise devant cet acte inhabituel et gênant que serait l’alimentation d’un bébé au sein. Un sein qu’on ne voit d’ailleurs pas à l’écran, étant quasiment toujours masqué par un lange.
L’ère post-2016
Heureusement, les choses changent ! Depuis 2016, des séries de qualité sur la maternité ont émergées, comme The Letdown et Workin’ Moms, ou encore le film Tully, ou les publicités Frida Mom et Nike.
Dans ces contenus, on voit des allaitements montrés tels qu’ils sont dans la vraie vie, sans détours, dans une palette de situations diverses : les bons moments, comme les mauvais. Mais surtout, on n’en fait pas un sujet, c’est un détail de fond comme un autre, l’allaitement est représenté comme un acte absolument normal et normalisé. Enfin !
Cette normalisation du sein à la télévision, comme dans l’espace public, va nous permettre de désexualiser les seins, d’empouvoirer le corps des femmes, de ne pas confiner les mères allaitantes à l’espace privé, et de limiter les entraves à l’allaitement. Je suis profondément pour la liberté de choix (allaiter ou donner le biberon), et pour la défense du droit à allaiter partout librement.
À lire aussi : J’ai testé l’allaitement, et j’ai détesté ça
Crédit photo image de une : Lolostock
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Les Commentaires
Bien sûr, c'est plus facile à dire qu'à faire et elles relatent aussi leurs moments difficiles, mais au final elles ont développé un fort caractère pour faire fuire les mauvaises personnes.
On peut reprocher des choses à LLL (le côté ultra-puriste de l'allaitement qui en a sûrement fait culpabiliser plus d'une), mais il y a aussi un côté très décomplexé et empouvoirant qui s'en dégage.