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Source : Getty Image / MARIA DUBOVA
Féminisme

Ève, 42 ans : « Quand il m’a demandé où était le nettoyant après six mois de vie commune, j’ai pleuré »

Dans Déclic, le nouveau format de Madmoizelle, des personnes nous racontent leur prise de conscience féministe et ce que cela a changé pour elles. Après un premier mariage toxique, Ève explique aujourd’hui comment le féminisme et la sororité lui ont permis de se libérer des attentes sociales et de réévaluer ses priorités.
Rappel d’utilité publique

N’oubliez pas, dans les commentaires, que les personnes qui participent à la chronique sont susceptibles de vous lire. Merci de rester bienveillant.

  • Prénom : Ève
  • Âge : 42 ans
  • Occupation : Cadre dans la fonction publique  
  • Lieu de vie : Grande ville

Comment décririez-vous votre rapport au féminisme ?

J’ai un rapport émotionnel, presque charnel même, au féminisme. Je vis intensément les injustices et les discriminations qui concernent les personnes de mon genre, et chaque annonce de féminicide me touche beaucoup. Je ressens un sentiment d’urgence en ce moment, sans doute dû aux actualités sur le sujet, en Iran, aux États-Unis et ici en France.

À quand remonte votre déclic féministe ? 

Je dirais que je me pense féministe depuis le lycée, mais que je le suis réellement depuis 5 ou 6 ans.

A posteriori, je dirais que le réel déclencheur a été de sortir d’une relation toxique avec mon premier mari grâce à l’appui de mes amies, des femmes de ma famille, d’un grand élan de sororité…

Ensuite, il y a eu le mouvement #metoo, la BD d’Emma sur la charge mentale, les colleuses… Tout cela a contribué à mon cheminement sur le sujet.

Ce n’est que très récemment que je me suis déclarée féministe auprès de mon mari, mes fils et mon beau-fils. 

Mon mari a été surpris. Il imagine les féministes telles une horde de harpies haineuses, et pas sous les traits d’une femme qui lutte au quotidien pour l’égalité ! Mes fils, moins. Ils sont adolescents et me soutiennent volontiers.

Grâce à mon déclic féministe, j’ai pris conscience que je m’étais toujours conformée à ce que la société attendait de moi : je me suis mariée jeune, j’ai eu des enfants, et j’étais une bonne gestionnaire de foyer tout en menant une vie professionnelle trépidante. Le tout en faisant très attention à mon apparence.

Mon conjoint d’alors avait beaucoup d’exigences sur mes choix vestimentaires, la tenue de la maison, mes sorties. Il m’achetait des robes, souvent et en nombre, sans jamais me demander si elles me plaisaient. Il exigeait une maison propre et rangée à son retour du travail, malgré les deux enfants, les chats que nous avions, et mon job ! Ses chemises devaient être propres et repassées le dimanche soir, par mes soins bien sûr…

À un moment, il y a eu un point de rupture. Je ne voulais plus rentrer chez moi. Je pense que ce qui a joué, c’est de me rendre compte que j’étais plus libre au travail qu’à la maison. J’étais reconnue professionnellement, je m’entendais très bien avec mes collègues. 

La garde alternée a été libératrice. J’ai pu me recentrer sur ce que je voulais vraiment, ce que j’aimais vraiment. J’étais intellectuellement disponible pour lire sur le féminisme, via les réseaux sociaux principalement. 

Ce qui est paradoxal, c’est que petite, je m’identifiais à la sœur aînée de ma mère, célibataire, sans enfants, militante, avec une vie sociale très développée.  Je voulais la même liberté, aller au théâtre avec mes copines… Cela fait rire mes proches aujourd’hui, ils aiment me rappeler que je ne voulais pas me marier et que je me suis mariée deux fois !

Comment le féminisme infuse-t-il votre vie aujourd’hui ?

Depuis ce déclic, c’est un prisme permanent.

Le féminisme est très présent dans ma vie personnelle. Par exemple, la question de la répartition des tâches au sein du couple et de la famille est un sujet de dispute fréquent. Je ne veux pas que tout repose sur moi, seule femme de la maisonnée. Cela rentre aussi en ligne de compte dans l’éducation de mon beau-fils, adolescent, qui a trop souvent le réflexe de venir me chercher pour tout ce qui a trait au domestique. 

Quand nous avons décidé d’emménager ensemble avec mon second mari, il me paraissait évident que l’égalité serait de mise. Mais ça n’a pas été si simple que ça… Je me souviens d’un jour, au bout de six mois de vie commune, quand il m’a demandé où était rangé le produit pour nettoyer les toilettes. J’ai pleuré. 

Non seulement il n’avait pas fait le ménage depuis six mois dans les toilettes, mais, en plus, il ne s’était même pas préoccupé d’où étaient rangés les produits. Cela a occasionné des ajustements, comme faire appel à une agence pour des interventions de ménage ou de convenir d’une répartition des tâches : lui le linge, repassage compris (référence à Titiou Lecoq !) et moi les courses, ainsi que les repas.

Ce n’est pas tout à fait égalitaire, mais ça a le mérite d’être assez simple. 

Mon mari et moi occupons des postes à responsabilité équivalents, et touchons des salaires similaires. Pour autant, il est plus difficile pour lui que pour moi de faire passer la gestion du foyer avant son travail ou ses loisirs. Comme si c’était génétique… alors qu’absolument pas. Je lutte contre cette tendance ! 

Je veux donner l’exemple en tant que femme, montrer que mon temps de loisir et mon épanouissement sont tout aussi importants que ceux des autres membres de la famille. Par exemple, je n’hésite pas à dire que je préfère lire un bouquin de socio ou aller à une expo plutôt que de préparer un repas. 

Et j’ai repris des études, pour faire de la recherche en sociologie de l’éducation. Je le revendique haut et fort, je prends le temps qu’il faut. Il est certain que la garde alternée y contribue grandement. 

Dans ma vie professionnelle, mon féminisme infuse en permanence, que ce soit dans la gestion des personnels, dans leurs pratiques que j’évalue, dans ma relation avec mes collègues. Cela fait partie intégrante de l’égalité des chances et j’y travaille au quotidien. J’aide les autres à identifier ce qui relève de la construction sociale pour les inviter à y réfléchir. 

Concernant mes convictions politiques, c’est un sujet sensible. Il y a des femmes inspirantes pour moi, comme Clémentine Autain, Sophie Binet, Sandrine Rousseau. Je suis particulièrement affligée par les mises en cause de membres du gouvernement dans des affaires de violences sexistes et sexuelles. L’affaire Quatennens m’a profondément ébranlée. 

Comment se sentir en sécurité quand on est femme dans ces conditions ? Je suis le compte Instagram de Nous Toutes sur ces sujets. 

La boîte à outils féministe d’Ève
  • Le livre « Réinventer l’amour » de Mona Chollet, nécessaire. Celui-là, je l’ai pas mal prêté !
  • Le livre « La chair est triste » d’Ovidie, magistral, j’aimerais le faire lire à mon mari mais ce n’est pas gagné !
  • Le Podcast « La Matrescence »
  • Les comptes Instagram de @noustoutesorg, @taspensea et @depasseemaisheureuse, une « encourageuse » inspirante 
  • Le film « Don’t Worry Darling » d’Olivia Wilde, j’en suis sortie sidérée. 
  • La chanson « Flower » de Miley Cyrus, c’est presque un hymne, cette chanson me donne de l’énergie et de la confiance. 
  • Et puis, je suis fan de l’autrice Titiou Lecoq aussi :)

Avez-vous laissé de côté certaines habitudes, défait certaines croyances, ou posé de nouvelles limites ? 

Oh oui, plusieurs ! D’abord, nous avons revu la répartition des tâches au sein du couple et de la famille. Je milite à ce sujet au quotidien, quitte à gonfler tout le monde ! Le compte insta @taspensea y contribue grandement. 

Récemment, j’ai écouté Ilana Weizman dans le podcast de la Matrescence sur le couple hétérosexuel et j’ai pris conscience qu’en quelque sorte, j’en voulais à mon compagnon de ne pas réaliser, ou admettre, sa position de privilégié, et du coup, de ne pas suffisamment me soutenir dans ce « combat ». 

On en a un peu parlé, mais c’est compliqué pour lui de changer de fonctionnement, surtout en étant inconscient de certains schémas. Je fais aussi avec car je tiens à mon couple et à notre histoire. Donc je m’accommode.  Et puis, je ne peux pas faire porter à un seul homme des siècles de patriarcat…

Mon rapport à mon corps a aussi changé. Je me suis rendu compte que j’étais conditionnée pour me rendre désirable.

Depuis cette prise de conscience, plutôt lente d’ailleurs, je me sens comme délestée d’un poids. Fini les chaussures qui font mal aux pieds et les vêtements pas confortables sur lesquels on doit tirer.

Je privilégie des vêtements agréables à porter, qui me plaisent à moi et qui renvoient l’image qui me convient. Je ne crois pas en être moins séduisante. Ce changement a d’ailleurs assaini mes relations avec les collègues masculins. Je me sens leur égale et aucunement en position d’avoir un pouvoir de séduction sur eux ou d’attendre de leur plaire.

Le rapport au consentement a été un gros changement aussi. Ça a été une prise de conscience brutale, après #metoo. Alors que j’accompagnais des jeunes à un forum de sensibilisation aux violences intrafamiliales, j’ai assisté à une séance de théâtre forum sur le consentement.

Là, un dialogue entre les acteurs a été déclencheur pour moi : le bon moment, c’est quand on en a envie tous les deux. Je regrette vraiment de ne pas avoir eu accès à cette éducation à 13 ans comme les jeunes filles présentes dans la salle. Cela a vraiment fait évoluer la manière dont j’appréhende mes envies et mon désir : je le perçois aujourd’hui comme étant aussi important que celui de mon partenaire. Je trouve que cela ouvre des espaces de discussion au sein du couple. 

Et enfin, le dernier point, c’est celui de la sororité. Arrêtons de nous tirer dans les pattes entre femmes, c’est déjà bien assez compliqué !

Je m’interdis tout jugement sur les autres femmes et je reste vigilante vis-à-vis des remarques qui peuvent me venir à l’esprit, issues de constructions sociales. Comme par exemple de suggérer qu’une collègue est à un poste grâce à son physique.

Ève, 42 ans

Évoluez-vous aujourd’hui dans des cercles féministes ?

Du côté de mes amies, on parle beaucoup de ce sujet même si nos avis divergent. Je suis entourée de nombreuses personnes sensibles à la cause par leur métier, leur vécu. Mais je suis la seule aussi informée et concernée, donc je diffuse, je prête des livres, je partage des publications… 

Pour ma famille, je pense que je suis un peu une militante extrémiste ! Mon mari m’observe un peu déconcerté.

Au travail, c’est une autre histoire : mon métier me permet difficilement d’être vue comme militante et j’ignore si j’aurais l’énergie de faire plus.  J’ai d’ailleurs récemment dit à ma famille que j’aurais aimé être colleuse quand j’étais lycéenne. Lire leurs messages m’apporte une forme de réconfort (« Je te crois »).

Avez-vous l’impression d’être arrivée au bout de votre éveil féministe ?

Non ! Le féminisme se construit et suit l’évolution de la société.  Il y a de nouvelles luttes possibles et de nouveaux sujets de réflexion qui émergent tous les jours. 

J’avance au fur et à mesure… Le livre « Réinventer l’amour » de Mona Chollet m’a permis de mieux comprendre et analyser ce qui s’était passé dans mon premier mariage, pourquoi je m’étais laissée séduire par un manipulateur, et pourquoi j’avais du mal à le défaire de cet idéal masculin un peu Han Solo, pas sympa finalement avec Leïa. Et de cet idéal du couple. 

Mon regard sur certaines situations évolue aussi : lors de mon divorce, j’ai eu l’impression « d’abandonner » de l’argent à mon premier mari. À l’époque c’était pour mettre un terme à tout ça et me débarrasser de lui (le pauvre, j’avais osé le quitter !). Mais aujourd’hui, je le vois comme le symbole de mon pouvoir et de mon indépendance en tant que femme.

Oui, il ne m’a rien laissé, oui, j’ai galéré au départ, oui j’ai dû accepter de l’aide.  Mais ensuite, je m’en suis brillamment sortie et ma carrière est prometteuse. Je peux fièrement dire que je lui ai laissé de l’argent. 

Je garde aussi quelques contradictions assumées. Par exemple, je n’arriverai pas à ne pas m’épiler… Je suis admirative des femmes qui assument leurs poils, mais moi, je n’y parviens pas ! J’en fais aussi beaucoup plus que mon ex-conjoint pour les enfants, mais tant pis… Je ne compte pas les punir. Tant pis si je me farcis l’orthodontiste, les trajets au sport et les courses de fournitures, mes garçons s’y retrouvent, et c’est ce qui m’importe.

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Les Commentaires

5
Avatar de LisaouasiL
10 août 2023 à 10h08
LisaouasiL
Super idée de rubrique !
Je trouverais aussi intéressant de rajouter une question sur le cadre familial connu à l’enfance et les valeurs féministes ou pas transmises durant cette période ou du moins les modèles auxquels la mad avait accès plus jeune. Là par exemple il est question de sa tante mais pas de ses parents et je pense que ça influence forcément d’une manière ou d’une autre.
Voilà petite suggestion mais en tout cas super témoignage et bravo à la Mad pour tout ce parcours !
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