- Prénom : Ed
- Âge : 38 ans
- Occupation : en reprise d’étude pour une reconversion professionnelle
- Lieu de vie : Auvergne-Rhône-Alpes
Comment décririez-vous votre rapport au féminisme ?
Je vois le féminisme comme une sorte de boussole qui me permet d’avancer dans la vie en étant aussi libre que possible. Cela peut paraître un peu « mystique », mais en grandissant intellectuellement, je me suis aperçue que le féminisme m’avait permis de mettre des mots sur des injustices que je constatais et qui me mettaient en colère, et que dans le même temps, il m’aidait à me libérer du regard d’autrui.
Avez-vous grandi dans un milieu féministe ?
J’ai grandi dans un milieu qui se considère féministe, mais féministe par rapport à la conception des années 1980-1990. Il y a souvent des incompréhensions avec mon père, qui se voit comme féministe, mais qui ne s’est pas tenu informé sur le sujet. Quant à ma mère, j’ai l’impression que je lui sers parfois un peu de porte-parole. Ce qui est amusant, car elle a été, pendant mon enfance, un modèle de femme badass (elle a été cheffe de famille pendant les années d’étude de médecine de mon père).
À quand remonte votre déclic féministe ?
J’ai commencé à me revendiquer et à me sentir féministe à l’approche de la trentaine. Avant, ce n’était pas un sujet de réflexion pour moi, car je ne parvenais pas à me définir en tant que femme : je ne me reconnaissais absolument pas dans les stéréotypes véhiculés sur les femmes, les centres d’intérêt et les préoccupations des autres filles de mon âge que je côtoyais n’étaient pas les miens et j’avais plus d’affinités avec les garçons. À partir du moment où j’ai trouvé « ma définition » de femme, je me suis sentie concernée par le féminisme.
Ce déclic s’est fait par la découverte de Madmoizelle aux alentours de 20 ans et la lecture de vos articles, d’abord. Par la lecture des deux livres de Le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, ensuite. Enfin, en comprenant, par le biais de ces deux lectures, que j’avais été victime de violences conjugales lors de ma première relation à l’adolescence.
Comment le féminisme infuse-t-il votre vie aujourd’hui ?
Le féminisme est la grille de lecture de ma vie en société. Il infuse évidemment beaucoup ma vie personnelle, par le biais de lectures sur le sujet, que ce soit des articles ou des livres. J’écoute et regarde également des podcasts et des émissions sur le sujet.
Le féminisme m’a aussi amené à vouloir me reconvertir. J’ai été professeur d’histoire-géographie jusqu’en octobre 2021, date à laquelle je suis tombée en dépression. Cette maladie m’a frappée après une procédure de dépôt de plainte contre le petit-ami qui m’a fait subir des violences conjugales, qui a été classée sans suite en mars 2021. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il ne m’était plus possible de regarder mes élèves dans les yeux en leur disant qu’ils devaient respecter les règles d’un système qui n’était ni juste ni égalitaire, et qui ne les protègeraient pas.
En termes de relations romantiques et sexuelles, ça ne me protège pas encore des relations toxiques, bien que je sois plus sensible à certains red flags, mais je m’en dégage et m’en remets bien plus vite. Cela me permet aussi d’assumer le fait que je ne veux pas d’un couple « classique », que je vois plus aujourd’hui comme une TPE que comme une relation amoureuse.
Avez-vous laissé de côté certaines habitudes, déconstruit certaines croyances, ou posé de nouvelles limites ?
J’ai abandonné mon sexisme primaire qui faisait que je me définissais comme un garçon manqué. Mes amitiés sont également plus féminines : grandir et vieillir m’a permis de rencontrer des femmes formidables, plus ou moins féministes, avec qui j’ai noué des amitiés solides. Enfin, dans ma vie sentimentale, et même s’il m’arrive encore de retomber dans le rôle de la gentille infirmière, je refuse de me prendre la tête pour une relation : si elle provoque de la souffrance, je demande des explications, et si elles ne me satisfont pas, je m’en vais. Cela me laisse bien plus de temps libre pour mes projets et mes amis, c’est incroyable !
J’aime beaucoup les épisodes de Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, ainsi que Vénus s’épilait-elle la chatte ?
J’ai aussi été beaucoup marquée par les romans Ecotopia d’Ernest Callenbach, Swastika Night de Katharine Burdekin et l’ensemble de la Ballade de Pern d’Anne McCaffrey. Le premier pour sa description d’une société féministe et écologique qui donne de l’espoir, le second parce qu’il rappelle les ambitions de l’ensemble des projets fascistes à l’égard des femmes (maison et maternité, quelle surprise !) et qu’à l’heure actuelle, ce n’est pas du luxe de le rappeler, et le dernier… Parce que c’est un univers incroyable, avec des personnages féminins auxquels on peut s’identifier et des personnages masculins qui ne se résument pas à des mascus toxiques.
Évoluez-vous aujourd’hui dans des cercles féministes ?
Je ne me considère pas comme évoluant dans des cercles féministes, du type associations par exemple. Disons que fréquenter des étudiants et des étudiantes de 20 ans de moins que moi me permet de voir comment les idées féministes ont évolué chez les jeunes adultes.
Mes participations à des activités féministes se résument pour le moment à commenter sur des réseaux sociaux (je souffre d’agoraphobie et de fatigue chronique à cause de ma dépression, et changer de vie professionnelle me demande déjà beaucoup d’énergie) et à essayer de concurrencer l’espace des commentaires sexistes.
Votre féminisme est-il parfois source de friction autour de vous ?
Lors de mes discussions familiales, parfois, mais cela reste rare. Dans mon entourage amical ou professionnel, être prof m’a permis d’apprendre à être patiente et pédagogue. C’est triste à dire, mais avec un sourire charmeur, le discours passe mieux. Pas sûr que cela produise des effets concrets derrière malheureusement.
Avez-vous l’impression d’être arrivée au bout de votre éveil féministe ?
Oh que non ! Je suis convaincue que mon féminisme évoluera jusqu’à ma mort. Et c’est ça que je trouve génial, car cela veut dire qu’il y a encore beaucoup de choses à lire, à comprendre et à construire avec ce courant de pensée.
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