Il y a quelques années, alors que je traversais une phase difficile, mon psy m’a demandé de lister les choses que j’aimais chez moi.
Je n’ai pas osé lui avouer la première réponse qui m’a traversé l’esprit, même s’il est possible qu’il ait aperçu le léger sourire sardonique se dessinant sur mon visage à ce moment-là.
« J’aime ce à quoi je ressemble », me suis-je dit, non sans honte.
Être une femme et se trouver belle : un tabou
La honte, en tant que femme, de « confesser » qu’on ne se trouve pas laide, mais au contraire plutôt jolie et attirante. Comme si c’était un gros mot, comme si cela me rendait prétentieuse.
Celle, plus pesante encore, de me dire qu’il était bien triste que la chose que je préfère chez moi, ça soit des grands yeux bleus et des traits hérités de dame nature. Quel aveu d’échec ! Avais-je donc une si mauvaise estime de moi-même, étais-je donc si nulle pour préférer mon minois à ma personnalité ?
Non contente de me torturer l’esprit, j’enduisis alors le tout d’un vernis de culpabilité : qu’il était indécent de me lamenter sur le fait d’avoir gagné à la loterie génétique !
« Ma pauvre, qu’il est difficile d’être une jolie fille », me susurrait une petite voix intérieure.
Je me suis contentée de grommeler quelques vagues qualités à mon psy en évoquant, les joues roses, le fait de me trouver « pas trop dégueu physiquement » (parce qu’il faudrait pas dire « belle », quand même), mais en prenant garde à placer cette caractéristique seulement en quatrième position.
Mon enfance et mon adolescence en tant que « moche »
Pourtant, me trouver jolie n’a pas toujours été une évidence.
Pendant toute mon enfance et la majeure partie de mon adolescence, j’ai grandi avec l’idée que j’étais « moche ».
« Nez de sorcière », me lançait-on au primaire. Une fois, une camarade m’a même fait l’honneur de me dessiner à la craie sur le sol de la récré, avec un appendice nasal démesuré.
« Toi de toute façon, t’auras jamais de mec. T’es trop moche », répété par ces deux adorables garçons qui s’asseyaient tous les soirs derrière moi dans le bus de retour du collège en 4ème.
« Paul s’est foutu de la gueule de Clément parce qu’il a dit qu’il trouvait que tu avais du charme », murmuré par une copine en classe de seconde, parce que me trouver autre chose que moche dépassait apparemment l’entendement.
Pour la jeune fille que j’étais, être rangée dans la case « moche » sonnait à mes oreilles comme la pire des insultes.
J’étais intimement persuadée, même si ma raison me hurlait que c’était stupide, que je ne pourrais m’accomplir que si j’étais « belle ».
Je me regardais dans le miroir et pensais avec résignation : « Je suis moche, alors je ne pourrai jamais m’aimer et me sentir bien dans ma peau. »
Au fond de moi, j’avais intégré que ma valeur en tant que fille résidait dans mon physique. Je pensais aux « filles belles » de la cour de récré, et j’éprouvais une rancœur douloureuse en pensant à leur « chance ».
J’étais prise par un tel sentiment d’injustice et de jalousie que je leur trouvais tous les défauts du monde pour me convaincre que j’étais mieux qu’elles.
Rien n’à faire. Dans ma tête, leur beauté leur donnait une trop grande longueur d’avance impossible à rattraper, quels que soient mes atouts.
Grandir et rentrer dans les canons de beauté : la grande désillusion
Puis sont venus les premiers compliments au lycée, ainsi que le changement de regard des garçons.
Touchant du doigt un objectif qui me paraissait jusqu’ici inaccessible, et voulant prendre la revanche sur les critiques que j’avais reçues, je me suis alors lancée dans une course malsaine pour devenir la plus belle possible.
Et la plus mince possible, car il va sans dire que pour moi, à l’époque, la beauté passait par un corps à la Victoria’s Secret.
J’étais animée par une idée fixe : celle d’encore maigrir pour atteindre le corps des filles des publicités de maillots de bain. Je me trouvais trop épaisse alors que je faisais naturellement une taille 34.
J’essayais de me rassurer en me comparant aux autres filles du lycée :
« J’ai la chance, moi, d’être assez proche des physiques des magazines pour pouvoir obtenir le même si je fais assez d’efforts », me disais-je.
J’ai développé un rapport malsain avec la nourriture en comptant les calories et les heures de sport, en sautant parfois les repas et en passant un temps fou à détailler mes fesses et mes cuisses dans le miroir, à la recherche des kilos en moins.
Comment ai-je pu m’enfoncer si loin dans l’erreur, pensant – de façon plus ou moins consciente – que mon bonheur et ma réussite passaient par mon apparence ?
Au début de mes études, galvanisée par les compliments récurrents des hommes et une montée de popularité due à mon étiquette de « meuf bonne » en grande école, j’ai participé à ma propre sexualisation.
Une expérience à double-tranchant, comme tu peux le lire dans ce témoignage que j’ai écrit pour madmoiZelle.
Car il n’y avait rien de valorisant à être reconnue pour le fait d’être « bonne ». La confiance en moi vacillante à cause d’une rupture amoureuse, je me suis sentie comme une coquille vide : belle à l’extérieur, moche à l’intérieur.
Je m’étais accrochée au désir des hommes, alors qu’au fond j’étais en quête éperdue de validation de ma personne.
Tout le monde avait remarqué mon enveloppe mais personne ne m’avait vue moi, me disais-je. J’ai cru que c’était parce qu’il n’y avait peut-être rien à voir.
Se rendre compte que la beauté ne fait pas le bonheur et rejeter sa féminité
Après cette prise de conscience douloureuse, j’ai joué sur mon apparence pour ne plus être trop féminine, trop désirable.
Je voulais que les hommes me remarquent le moins possible. Physiquement, j’entends.
Par exemple, je m’autorise le rouge à lèvres, la jupe moulante ou les talons, mais jamais les trois en même temps. Quand je revêts un attribut très « féminin », je prends garde à contrebalancer avec le reste de ma tenue.
Je refuse d’accorder trop d’importance aux fringues, au maquillage, à mes cheveux, à mon épilation.
C’est pour moi une façon de militer contre les diktats qui pèsent sur les femmes, en montrant à mes copines si complexées que je peux sortir dans la rue en pyjama, démaquillée et poilue sans que la foudre ne s’abatte sur ma tête.
Mais je l’avoue, c’est aussi par peur d’en faire trop et d’être réduite à un morceau de viande, ou qu’on projette sur moi des stéréotypes : superficielle, bonne qu’à ça, stupide…
Je sais, ça n’est pas à MOI de changer pour les autres. Mais voilà, j’évite le regard des hommes, car il me met en colère.
Je suis en colère qu’en soirée ou dans la rue, on commente mon apparence avant même de connaître mon prénom. Je suis en colère qu’on me susurre des « Tu me plais » sans m’avoir parlé.
Non je ne te plais pas. Tu ne peux pas savoir si je te plais car tu ne me connais pas. Ce qui te plaît, c’est mon corps, pas moi. Et ça, ça n’est PAS valorisant pour moi.
Par-dessus tout, je suis en colère qu’être sexy ou apprêtée soit, trop souvent, interprété comme un signal signifiant « qu’on l’a cherché » et comme une autorisation à mettre des mains aux fesses, ou pire.
Les compliments sur le physique : pas forcément valorisants
J’ai mis du temps à mettre des mots sur mon malaise. Jusqu’à ce que je lise ces mots de la poétesse Rupi Kaur, qui ont résonné si fort en moi qu’ils m’ont arraché des larmes :
« Je voudrais demander pardon à toutes les femmes à qui j’ai dit qu’elles étaient « jolies » avant de leur dire qu’elles étaient intelligentes ou courageuses.
Je suis désolée de t’avoir fait croire que quelque chose avec lequel tu es née est la chose dont tu peux être le plus fière, alors que ton esprit a soulevé des montagnes.
À partir de maintenant, je dirai des choses comme tu es résiliente ou tu es extraordinaire.
Pas parce que je ne pense pas que tu es jolie.
Mais parce que tu es tellement plus que ça. »
Faire un compliment sur le physique d’une femme n’est pas forcément péjoratif. Mais pas si c’est le seul compliment que tu lui fais, et pas si c’est tout ce que tu vois en elle.
C’est là la GRANDE nuance.
Se libérer de son apparence
Je n’ai pas encore fait la paix avec le regard des autres, mais je pense avoir fait la paix avec mon corps, et éliminé (presque) tous mes complexes.
Pas parce que je me trouve parfaite physiquement, mais parce que je n’accorde plus autant d’importance à ce que j’ai longtemps considéré comme des imperfections.
Le mouvement bodypositive m’a un temps aidée, mais aujourd’hui je me demande s’il ne faudrait pas aller encore plus loin.
Aimer son corps, c’est bien. Mais si la prochaine étape, c’était de pouvoir s’en détacher ? Du moins, se détacher de son apparence physique ?
De pouvoir dire : ok je n’aime pas mon nez, mes seins ou encore mes fesses, mais… ET ALORS ?
Le sociologue David le Breton, dont j’ai lu les ouvrages sur le corps pendant mes études, a écrit une phrase qui m’a frappée et a changé mon rapport au corps. Dans Anthropologie du corps et de la modernité, il explique :
« Il n’y aura […] de « libération du corps » que lorsque le souci du corps aura disparu. Nous en sommes loin. »
Ton physique ne détermine pas ta valeur
À l’issue de ce cheminement, je me pose pas mal de questions, et j’ai un regret : celui d’avoir accordé BIEN TROP d’importance à mon apparence physique depuis mon enfance car, comme tu as pu le lire dans mon témoignage, cela m’a toujours desservie…
Pourquoi ai-je mis plus de 20 ans à commencer à apprendre à m’aimer en tant que personne plutôt qu’en tant que corps ?
Comment ai-je pu croire pendant si longtemps que la beauté était une qualité importante, sinon LA plus importante chez une femme ?
Pourquoi faut-il se battre pour qu’on te voie autrement que par le prisme de ton physique ? Pour qu’on te voie autrement qu’une meuf « bonne », « grosse », « moche », « mignonne » ou « sexy » ?
Je suis heureuse, aujourd’hui, d’avoir enfin compris que ma valeur ne résidait pas dans mon physique.
Peut-être penses-tu qu’il est facile pour moi de dire cela, alors que je rentre dans les critères de beauté du moment. Peut-être.
Mais je suis intimement persuadée que comprendre ça plus tôt m’aurait préservée de bien des souffrances enfant, alors que je m’interdisais le bonheur parce que je me trouvais moche, et adulte quand je peinais à m’aimer en dehors de mon enveloppe.
Cela m’aurait aussi évité de participer à l’esprit de compétition malsain qui existe parfois entre les femmes, nous transformant en rivales et freinant la sororité.
La focalisation sur le physique des femmes : un piège
Avec mon témoignage, j’aimerais ouvrir un débat sur le poids qui pèse sur le physique des femmes dans cette société et mettre en lumière le fait que les injonctions à la beauté sont malsaines pour TOUT LE MONDE.
J’aimerais aussi montrer à toutes les femmes remplies de complexes que s’aimer physiquement ne rend pas heureuse comme par magie, comme je l’ai longtemps cru.
Car ta valeur en tant que personne réside ailleurs. Ça paraît très bateau dit comme ça, mais ce n’est que très récemment que j’ai moi-même réussi à y croire.
J’ai conscience que mon histoire ne va pas forcément révolutionner ton rapport au corps et te faire oublier tes complexes physiques, mais j’espère qu’elle aura contribué à planter une petite graine qui t’aidera sur le chemin de l’acceptation !
À lire aussi : Ai-je le droit d’avoir des complexes si je rentre dans les canons de beauté ?
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