Idéal Standard m’avait touchée comme jamais une bande dessinée ne l’avait fait. Dans cet album d’Aude Picault paru en 2017, une infirmière en néo-nat, coincée en couple avec un gros beauf, devait renoncer sur le tard à un projet de maternité qui lui tenait pourtant à cœur. Grosses larmes en prévision, si vous avez un cœur tendre.
Dans un tout autre style, j’avais beaucoup aimé ses œuvres dans la collection « BD Cul » des Requins marteaux — Comtesse en 2010 et Déesse en 2019. Tout un programme !
J’attendais donc beaucoup d’Amalia, la nouvelle bande dessinée d’Aude Picault. Et je n’ai pas été déçue.
Amalia, l’histoire d’une mère à bout
Dans ce dernier opus, les problématiques sont plus sérieuses. Amalia est mère, épouse, salariée… et tous les efforts intenses que cela nécessite vont finir par l’amener à sa perte.
Elle doit en effet tout gérer : à la fois un travail où on lui demande sans cesse plus sans le dire clairement, alors qu’on l’a gratifiée du titre de « team leadeur », sous prétexte d’agilité et de flexibilité ; une maison où elle gère les crises de larmes l’éducation de sa fille, la crise d’ado de sa belle-fille et un compagnon qui ne comprend pas qu’elle soit trop fatiguée après tout ça pour faire l’amour…
De plus, Amalia, très préoccupée par la crise environnementale, est éco-anxieuse, ou plutôt très consciente des dangers que nous faisons courir à la planète. Elle en vient même à faire le tri dans les poubelles de ses voisins (on n’a pas tous le même degré d’implication visiblement).
Bref, c’est la galère.
Charge mentale et course effrénée au rendement
Amalia passe sa vie à courir. Après quoi ? On ne sait pas très bien. C’est elle qui organise et gère tout. Elle passe du temps à crier sur sa fille, qui n’en fait qu’à sa tête… normal, c’est une enfant !
On force Amalia, dans tous les domaines, à une productivité qui l’épuise. La pression à la performance est omniprésente. Dans tous les domaines, elle se sent évaluée. Elle doit faire face au langage bullshit d’une entreprise qui demande toujours plus — un plan social devient alors un plan « agilité des compétences »…
À force de se plier en quatre pour tout le monde, Amalia va craquer. Son corps commence à la lâcher, entre maux de ventre et évanouissement en réunion. Elle comprend que quelque chose cloche et doit changer sa façon de vivre.
Un monde qui ne tourne plus très rond
La dénonciation du monde du travail, à l’aide d’un trait léger, presque innocent, est efficace. Ce milieu professionnel, qui souvent pressurise à outrance, broie… à l’aide de techniques de management qui paraissent nouvelles, cool et bienveillantes.
Mais ce n’est pas tout. Aude Picault s’en prend aussi aux entreprises et au gouvernement, sourds au dérèglement climatique — dans la BD, le président de la République reproche aux poissons de n’avoir pas su s’adapter à la marche du monde.
Une critique en règle est aussi faite sur les réseaux sociaux et ses influenceuses toutes- puissantes, qui peuvent détruire l’estime d’elles-mêmes des adolescentes. La belle-fille d’Amalia en fait les frais : la lycéenne va déchanter en rencontrant son idole, et en comprenant que ses vidéos suintent en fait un marketing puant.
Ça fait un peu boomer comme point de vue — « ha, c’était mieux avant les réseaux sociaux, les pesticides… » — mais ces préoccupations sont très importantes chez les jeunes générations : ce sont eux qui portent bien souvent seuls les combats écologistes actuels ! Qui se préoccupe plus de notre avenir que celles et ceux qui le vivront ? Ce sera sans doute eux la solution (oui, je ne me mets plus dedans, depuis quelque temps).
Dans la bande dessinée, Nora, la belle-fille d’Amalia s’interroge :
« Mais quand on est petit, tout est beau, joyeux et tout. Et quand on grandit, ça s’inverse. Sérieux, entre-temps, kesskisspass ? »
Amalia a en tout cas compris, grâce à des prises de conscience salvatrices, qu’on devrait toutes avoir la possibilité d’écouter son corps, ralentir le rythme, moins crier sur les enfants.
Cette bande dessinée est belle et douce, mais aussi acide : elle dénonce une société qui étouffe et épuise les femmes. Un beau mélange des genres, à mettre entre toutes les mains.
Pour se procurer Amalia, d’Aude Picault, 19,99 euros, c’est par ici
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Image en une, Amalia : © Dargaud/Aude Picault
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Attention: "la mener" pas "l'amener". (Prof un jour... )
Ça donne très envie! Et si vous aimez Picault, y'a ses petites BDs "Fanfare" et "Transat" (oui, fan des débuts) qui sont époustouflantes!