Julie et moi sommes ensemble depuis plus de dix ans, nous nous sommes mariées en 2020 et je crois que notre désir d’enfant est né au fur et à mesure qu’a grandi notre couple. De mon côté j’ai toujours voulu devenir mère alors que pour Julie ça n’était pas si évident, jusqu’à ce qu’elle franchisse la trentaine… Cliché, me direz-vous !
Nous nous sommes donc lancées dans une PMA au printemps 2022. Ce qui a été déterminant pour nous, c’est notre déménagement, car après avoir vécu plus de dix ans à Paris, nous avons acheté une maison dans le sud de la France. Pour Julie, ce déménagement conditionnait l’agrandissement de notre famille car elle n’avait pas envie que nous nous lancions dans des démarches alors qu’on ne disposait pas encore d’un espace suffisant et que sa famille était éloignée…
Nous avons commencé nos démarches administratives par la recherche d’une clinique. Notre choix s’est porté sur le Danemark, car nous souhaitions avoir la possibilité de sélectionner notre donneur sur une banque de sperme internationale, ce qui n’est par exemple pas le cas en France ou en Espagne. Nous avons commencé par acheter des paillettes [Ndlr: petits tubes fins dans lesquels sont conservés les spermes congelés des banques de sperme], avant de prendre contact avec la clinique au mois de mai. Nous avons également dû trouver un gynécologue en France pour assurer le suivi de notre FIV (fécondation in vitro). Nous avons eu la chance de trouver rapidement un praticien qui était LGBTQ+-friendly et qui avait déjà suivi ce genre de protocoles.
Après une stimulation ovarienne, nous nous sommes rendues à Copenhague pour réaliser la ponction des follicules. Le transfert d’embryons se fait généralement dans la foulée, mais Julie a fait une hyperstimulation des ovaires (qui découlait du traitement pris en amont pour la stimulation). Nous sommes donc reparties sans transfert, mais avec 5 embryons bien développés congelés. Nous avons laissé passer un cycle pour que la douleur passe, puis nous sommes retournées à la clinique mi-novembre pour l’implémentation et le transfert a pris immédiatement.
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Un manque de ressources
C’est avant la grossesse de Julie que nous avons découvert ce qu’était la lactation induite, en écoutant un épisode du podcast Bliss stories. Dans cet épisode, une maman racontait avoir réussi à nourrir son bébé alors que sa compagne l’avait porté. Avant même que Julie ne tombe enceinte, j’étais donc décidée à suivre également ce chemin car c’était un moyen de m’engager moi aussi corporellement dans cette aventure en allaitant et en créant un lien charnel avec ce bébé que je n’avais pas porté.
Depuis la naissance de Paloma, nous nous sommes rendu compte que la séparation de la charge du nourrissement était non négligeable. Au-delà du lien avec mon enfant, la lactation induite nous a aussi permis de tenir le coup, car après une césarienne en urgence, il fallait aussi qu’elle ait la possibilité et le temps de se réparer. Il y a donc eu une vraie répartition de l’allaitement.
Le problème, quand on se lance dans l’aventure de la lactation induite et du co-allaitement entre deux mamans, c’est qu’il existe actuellement très peu de ressources. Nous avons trouvé quelques informations sur le site de de la Leche League au sujet de la lactation induite, qui promeut le protocole de Newman. Nous avons été aidées par notre gynécologue de Montpellier pour la mise en place (il avait notamment déjà supervisé des lactations auprès de personnes en transition de genre). En revanche, pour le co-allaitement, il n’existe pas de règles et ni notre sage-femme libérale, ni la conseillère en lactation de la clinique n’avaient auparavant vu ce genre de cas.
Nous avons donc appris sur le tas, en écoutant les besoins de Paloma et nos propres corps.
Un protocole étroitement surveillé
La lactation induite se prépare longtemps à l’avance avec un traitement précis appelé « protocole de Newman », qui a été encadré par notre gynécologue.
Pour commencer, à 4 mois de grossesse, j’ai pris une pilule contraceptive en continu pour stopper mes cycles de règles. Cette technique permet de « duper » le cerveau pour lui faire croire à une grossesse. Il faut ensuite la coupler avec une prise de Domperidone. Ce médicament, qui est initialement prescrit pour soulager les nausées et les vomissements, permet, lorsqu’il est pris à haute dose, d’augmenter la prolactine, l’hormone qui intervient dans la lactation.
J’ai commencé avec une prise de 30 mg et j’ai augmenté progressivement une fois par mois, jusqu’à 90 mg. Pris à haute dose comme ici, la Domperidone peut provoquer des effets secondaires chez certaines femmes (des troubles du rythme cardiaque et des dépressions notamment). De mon côté, tout s’est bien passé grâce à un prise très progressive.
Ensuite, six semaines avant le terme annoncé de la grossesse, j’ai arrêté la pilule et commencé des tirages réguliers au tire-lait pour stimuler la lactation. J’ai donc pompé toutes les 3 à 4 heures (uniquement la journée), ainsi, avant même la naissance de notre fille, j’arrivais à tirer environ 100 ml de lait par jour.
Ma poitrine a grossi légèrement, les mamelons ont foncé, pour autant, je n’ai pas eu de « montée de lait » comme peut avoir une femme qui a accouché.
« Code rouge »
Paloma est née le 12 août après un accouchement un peu chaotique. Nous nous étions préparées à un accouchement physiologique, sans péridurale, en salle nature. Quand Julie a commencé à avoir ses premières contractions, elle les a d’abord gérées à la maison, à l’aide de son ballon. Après une nuit et une matinée, nous avons fini par aller à la clinique. Le premier monitoring était bon, mais Julie n’était dilatée qu’à 1cm. Sur les conseils de la sage-femme, nous sommes parties faire une promenade autour de la clinique, puis nous sommes revenues au bout d’une heure et demie. Mais là encore le col n’était dilaté qu’à 1cm. La sage-femme a alors proposé à Julie une injection de nubain (un dérivé de la morphine) pour qu’elle puisse dormir un peu, car elle était épuisée, et ainsi lui laisser une chance de reprendre un travail physiologique un peu plus tard. Mais après l’injection, notre bébé a fait une bradycardie in utero assez longue et nous avons été contraintes de laisser le personnel soignant réaliser une césarienne en urgence, dite « code rouge ».
Paloma est née sans séquelles de cette chute cardiaque. Aussi, après les premiers soins et pendant que les médecins s’occupaient de Julie, j’ai pu faire du peau à peau. Elle pleurait beaucoup et je voyais qu’elle cherchait instinctivement mon sein. Je n’ai pas osé lui donner avant que Julie ne revienne en salle de réveil, car c’est elle qui devait lui donner la tétée d’accueil pour que Paloma puisse recevoir le colostrum, mais aussi pour encourager sa montée de lait. Très fatiguée par l’opération, elle m’a finalement incitée à lui donner sa première tétée. C’était fou, Paloma a bu tout de suite, hyper facilement. Je sentais qu’elle était vraiment bien.
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Co-allaiter, un vrai plaisir
La suite du co-allaitement s’est mise en place tout aussi facilement. Nous avons décidé d’alterner directement, de jour comme de nuit. Quand l’une allaite, l’autre tire son lait. L’objectif est que nous ayons chacune environ 8 tétées et/ou tirages de lait par jour pour stabiliser notre lactation. On s’est rendu compte que ça fonctionnait bien grâce à la prise de poids progressive de Paloma.
Seulement une semaine après être rentrée à la maison, j’ai connu une baisse de lactation assez significative, surtout sur les tirages, où je n’avais quasiment pas de lait. J’ai donc repris la Domperidone, que j’avais arrêté après l’accouchement sur les conseils de mon gynécologue. J’ai recommencé à 30 mg et augmenté de 10 mg tous les trois ou quatre jours. C’était très frustrant de ne quasiment rien avoir au tire-lait, mais ce qui m’a rassurée, c’est que Paloma a continué à prendre mon sein. Je produis tout de même bien moins que Julie, aussi, quand les besoins de Paloma sont importants, je ne suis malheureusement pas à même de pouvoir la satisfaire totalement.
Allaiter est un vrai plaisir. C’est d’autant plus agréable que Paloma n’a pas de problème de succion et va de l’une de nous à l’autre sans problème. La nuit, c’est aussi super de pouvoir se relayer pour dormir et de bénéficier de vrais cycles de sommeil. On sait aussi ce que chacune vit, on s’apporte donc beaucoup de soutien d’un point de vue technique ! On a des discussions qui n’existent sans doute pas au sein d’un couple hétéro, mais qui existent peut-être entre sœurs ou entre copines, mais les avoir ensemble, c’est encore plus réconfortant.
On ne peut que recommander le co-allaitement et le fait d’induire une lactation : pour le co-parent, pour la maman, mais aussi pour le lien incroyable que l’on développe avec son bébé. Si l’expérience vous tente, il ne faut pas hésiter à faire le tour des gynécologues pour trouver le bon, qui saura vous accompagner et vous conseiller. Ne vous laissez pas non plus décourager par des professionnel·les de santé qui, parce qu’ils n’y connaissent rien ou qu’ils ont peur, vont tenter de vous dissuader. Nous ne sommes pas les premières à nous être lancées dans un co-allaitement et nous ne serons pas les dernières !
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Les Commentaires
J'aimerais justement que par "multifactoriel", on mette en avant le facteur"inégale répartition des tâches". Même s'il y en a d'autres.