Le 1er octobre 2021
Si le couple hétérosexuel est pendant un temps resté un point d’ombre des théories féministes les plus en vue, le sujet est désormais au centre de toutes les attentions. En témoignent le succès du podcast Le Cœur sur la table par la journaliste Victoire Tuaillon ou le lancement spectaculaire du dernier essai de l’essayiste Mona Chollet, Réinventer l’amour : comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles.
Et au-delà de la théorie, il y a la pratique. Bon nombre de femmes refusent le modèle classique du couple hétérosexuel et sont de plus en plus nombreuses à imposer leurs conditions aux hommes qu’elles fréquentent, à repenser leurs relations ou à privilégier les romances entre femmes. Rencontres.
Des couples toxiques empreints de domination masculine
La lassitude de la vie de couple, elles sont nombreuses à l’avoir expérimentée et à estimer a posteriori qu’elle recèle plus d’inconvénients que d’avantages. Sylvaine est l’une d’elles.
Après plus de vingt années de mariage, cette bibliothécaire dans le domaine musical a décidé de se séparer de son mari qui, avec le temps, représentait plus une charge qu’un compagnon de route : « à mes amis, je blaguais en disant que j’avais trois enfants : mon fils, ma fille et mon mari ».
La blague prend un goût amer quand la cinquantenaire explique ensuite, d’un ton léger, qu’elle prenait en charge l’ensemble des tâches ménagères de la maison. Par manque de temps, elle avait été contrainte de renoncer à la plupart de ses loisirs — tandis que son mari, lui, ne manquait jamais une soirée avec ses amis, « entre hommes ».
Pour Sylvaine, qui est restée célibataire pendant plusieurs années après son divorce, retrouver un homme est une chose envisageable, mais à une condition : « j’ai envie d’être indépendante — pour autant, je veux quand même vivre une histoire d’amour » analyse-t-elle.
L’impression de subir une forme de domination au sein même de son couple, Galina affirme l’avoir ressentie, elle aussi. Du haut de ses vingt-deux ans, cette étudiante en master d’anglais a déjà vécu une relation qu’elle n’hésite plus à qualifier d’abusive :
« J’étais avec un garçon qui insistait toujours pour que l’on ait des relations sexuelles, même quand je n’en avais pas envie. Avec le temps, j’ai réalisé qu’il s’agissait de chantage affectif. »
Les mots choisis sont faibles : faire pression sur quelqu’un pour qu’il ou elle cède à une relation, c’est une violence sexuelle.

Ne plus vivre sous le même toit qu’un homme
Une autre solution, adoptée par certaines femmes, serait de ne plus franchir le pas, important au niveau de l’indépendance, d’habiter avec un homme — « Voir quelqu’un de temps en temps », résume Sylvaine.
Une relation plus épisodique où chacun aurait son espace et permettrait donc d’en finir avec la charge mentale qui échoit toujours aux femmes, tout en partageant les bons moments.
« J’aime beaucoup l’expression “sortir avec quelqu’un” » abonde Julie, quarante-quatre ans. Pour cette proviseure dans un lycée du Sud-Ouest de la France, avoir une relation qui fonctionne nécessite d’entretenir de sains rapports avec la solitude.
« J’ai souvent observé que les personnes autour de moi étaient plus enclines à accepter des relations dysfonctionnelles pour ne pas se retrouver seules. »
En conséquence, la quinqua ne partage pas son appartement avec l’homme qu’elle fréquente depuis quelques mois :
« Ça n’est pas parfait, mais au moins on se voit seulement lorsque l’on a du temps à accorder à l’autre. Je suis souvent prise par mon travail et donc peu disponible, je n’ai pas envie de faire subir ces moments à quelqu’un avec qui je vivrais. »
« Je ne m’aventure plus dans des relations longues »
Pour d’autres femmes, souvent plus jeunes et nées avec un féminisme plus présent, le couple hétérosexuel représente une impasse. Galina explique :
« Je ne sais pas de quoi demain sera fait et je ne me ferme pas la porte définitivement, mais j’ai le sentiment que les relations avec les hommes se ressemblent toutes et je n’ai pas envie de ça pour le moment. »
De l’autre côté de la table, Marie-Léa, vingt-trois ans, hoche la tête. « J’ai remarqué que j’étais toujours attirée par des garçons qui ne sont pas bien dans leur peau et que je finissais toujours par jouer les infirmières », détaille cette diplômée d’une licence en arts du spectacle.
Pour ne plus être confrontée au problème, elle privilégie les relations courtes, plus éphémères, dans lesquelles elle se sent moins obligée de se projeter :
« Ce qui est certain, c’est que je ne m’aventure plus dans des relations longues, qui ne marchent jamais. »
Pour la comédienne féministe Typhaine D, la question s’est posée autrement :
« J’ai longtemps été dans une relation avec un homme, devenue égalitaire parce que je l’ai éduqué au féminisme. Mais je ne souhaite à aucune femme de consacrer autant de temps à l’éducation d’un homme. »

À mesure qu’elle s’engage pour les causes féministes, cette militante trentenaire prend conscience de son attirance pour les femmes, qu’elle n’avait jamais envisagée auparavant, « probablement à cause du manque de représentations ».
« Je pense que tout le monde est plus ou moins bisexuel, que le prisme est plus large qu’une simple binarité entre hétéro et homosexualité. »
Typhaine se sépare finalement de son compagnon par amour pour une autre femme. Pas par « purisme », précise-t-elle, « il ne s’agit pas de nier mon expérience d’hétérosexuelle ». Mais parce qu’elle a la « chance » d’être bisexuelle, elle fait aujourd’hui le choix de ne plus avoir de relations avec des hommes.
« Par féminisme, je fais maintenant le choix de ne sortir qu’avec des femmes. Évidemment, tout n’est pas parfait, mais les relations sont souvent plus riches qu’avec les hommes — notamment parce que l’investissement émotionnel est partagé. »
Sylvaine, Galina, Marie-Léa, Julie, Typhaine font leur chemin, tout en sachant qu’il n’existe pas de solution clef-en-main pour débarrasser le couple hétérosexuel des mécaniques de domination. Il faudra pour cela le réinventer — ce que beaucoup de femmes font, chacune à sa façon.
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Crédit photo : Jazmin Quaynor / Unsplash
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Les Commentaires
Je sais très bien que les violences des hommes faites sur les femmes ont un aspect systémique, inutile de me le rappeler, le féminisme c'est un sujet qui me passionne depuis 10 ans et j'en connais les tenants et les aboutissants. Je tenais simplement à préciser que les relations sapphiques ne sont pas un bouclier face à la violence dans le couple. Rien de ce que j'ai dit n'efface la violence systémique des hommes sur les femmes. Je n'ai fait que partager mon expérience.