Bienvenue dans le Journal de la pire année de ma vie, le récit d’une madmoiZelle qui se replonge dans les mois cauchemardesques qu’elle a vécus.
Drames, violences, ruptures et harcèlement, des évènements qui se sont enchaînés jusqu’à l’attirer au fond du gouffre… avant qu’elle ne s’en relève, encore plus forte et épanouie qu’avant.
C’est une histoire douloureuse, mais elle finit bien, puisque cette jeune femme est encore là pour la raconter. En voici le premier épisode ; la suite sera publiée chaque semaine sur madmoiZelle.
Cet épisode mentionne une description graphique d’une personne se jetant par la fenêtre, attention donc si le sujet est particulièrement sensible pour toi.
Samedi soir avant la reprise des cours.
Les écouteurs dans les oreilles, j’augmente le volume de ma musique afin de faire taire les bruits de la foule bruyante et bronzée de la gare et me presse en direction de la bouche de métro pour rentrer chez moi.
Il fait encore chaud. Cependant, la chaleur est moins écrasante qu’à Marseille, d’où le train m’a ramenée. C’est agréable.
J’ai 19 ans, c’est la fin de l’été. Dans deux jours j’attaquerai ma seconde année d’études supérieures.
Je viens de passer une semaine avec mon copain, Félix, et j’ai la sensation que notre relation — qui battait un peu de l’aile ces derniers temps — a pris un nouveau tournant.
Tout va bien, je suis heureuse.
Je suis invitée à un apéro chez une fille de mon école le soir même pour fêter nos derniers instants de liberté avant le retour à la réalité. Je suis impatiente de m’y rendre.
Car je n’ai pas la moindre idée à ce moment-là que cette soirée va virer au cauchemar.
Les retrouvailles avec mes amies, et avec Thomas
Je ne connais que très peu Alya, notre hôtesse, mais je suis impatiente de me rendre chez elle pour retrouver mes amis.
Parmi lesquels il y a Thomas, un de mes très bons potes d’école. Un garçon nonchalant que j’ai longtemps vu comme un grand gamin, pitre et irresponsable, mais qui s’est révélé être aussi un ami profondément sensible et sensé ces derniers mois.
Coupée de tout contact avec lui depuis plusieurs semaines à cause d’un long voyage à l’étranger, je suis enchantée à l’idée de le retrouver.
Léna, ma meilleure amie d’école, est également de la partie. Elle ne connaît pas aussi bien les invités que moi mais partage mon enthousiasme.
Elle lève les yeux au ciel quand je lui propose de monter les trois étages qui nous sépare de l’appartement d’Alya à pied (je suis claustrophobe, pas d’ascenseur pour moi) mais finit par me suivre en plaisantant.
« J’ai si hâte de me mettre à l’envers ! »
Ça fait du bien d’être de retour.
Cette discussion que je ne veux pas
La soirée se passe bien ; rapidement, je sens l’alcool me monter à la tête.
Les mots commencent à s’emmêler dans ma bouche, mes éclats de rire se font plus forts, plus fréquents. Les gens me semblent plus drôles, les conversations plus amusantes.
Les jeux à boire s’enchaînent, les verres s’éclusent et se remplissent sans arrêt.
La dose d’alcool prend peu à peu le dessus sur les soft qui composent les boissons. Je ne bronche pas devant la quantité de vodka qu’on verse dans mon verre, alors que je viens de le vider.
L’ivresse ne semble avoir épargné personne. Thomas enchaîne les verres à une vitesse impressionnante, je ne les compte même plus.
Vers 4h30, il demande à me parler.
« Mais pas ici, pas devant tout le monde, en privé. »
Je suis prise de panique. J’ai le pressentiment que Thomas va me dire quelque chose que je ne veux pas entendre.
Cela fait quelques temps que je fais mine de rien voir, mais je crois avoir compris que Thomas nourrit des sentiments plus qu’amicaux à mon égard…
Je crains qu’il me fasse part de ces sentiments-là.
J’aime Félix, Thomas le sait et je ne veux pas qu’il évoque d’une quelconque attirance pour moi, car je ne sais pas ce que je vais pouvoir lui répondre.
Je ne veux pas lui briser le cœur. Je ne veux pas mettre fin à notre relation amicale.
Je suis bourrée, je n’arrive pas à réfléchir.
En plein milieu de la soirée, le drame
Malgré mes protestations, Thomas me traîne jusqu’à la minuscule cuisine de l’appartement.
Je ne veux pas entendre ce qu’il a à me dire, je le redoute trop. Alors je fais exprès de ne pas le regarder, de ne pas l’écouter, de parler fort… Lui tangue, bafouille — il est encore plus ivre que moi.
Je me tourne vers l’évier pour lui servir un verre d’eau tout en continuant de faire l’imbécile.
Comme je ne le regarde toujours pas, Thomas monte sur le rebord de la fenêtre pour attirer mon attention.
C’est là que je me retourne. Que je le vois.
Il passe une jambe par-dessus le rebord. Je vois son corps basculer.
Il fait ce geste avec tellement d’aisance et de naturel que pendant un instant, je crois qu’il enjambe la fenêtre pour passer sur un balcon que je n’aurais pas vu.
Mais il ne me faut qu’une fraction de seconde pour comprendre qu’il n’y a pas de balcon.
Je suis à un mètre de la fenêtre ; mon corps bondit avant que mon cerveau n’ait le temps de se remettre en marche. J’attrape un morceau de t-shirt.
Nous sommes au troisième étage, douze mètres nous séparent du sol. Thomas me glisse des doigts.
Les minutes après le drame
Je me mets à hurler. Mais pas assez fort, puisque le bruit sourd de ses os qui se brisent sur le sol résonne terriblement dans la cour de l’immeuble.
Un bruit horrible, sec, que je ne pourrais plus jamais effacer de ma mémoire.
Je hurle son prénom en boucle.
J’ai compris ce qu’il vient de se passer. J’ai compris qu’il est mort. J’ai compris que je n’ai pas été assez rapide et que je n’ai pas réussi à le sauver.
Mes copains aussi ont compris tout de suite.
En m’entendant hurler, ils se sont rués dans la cuisine ; me voyant penchée par la fenêtre, ils en ont immédiatement déduit ce qu’il s’était passé.
Léna me tire en arrière pour que j’arrête de fixer la tache de sang qui s’élargit autour du crâne de Thomas, et se précipite dans la cour, me laissant sur le sol de la cuisine.
À partir de cet instant, le temps n’a plus aucun sens.
Léna revient me chercher dans la cuisine, trente secondes ou une heure plus tard, je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est que je n’arrive plus à respirer. À ce moment-là, je ne souhaite qu’une chose. Mourir aussi.
Comment est-ce que je peux continuer ma vie alors que je viens de voir une des personnes que j’aime se tuer sous mes yeux ?
Je sais que je n’en serais pas capable, alors je veux mourir aussi. Je ne suis pas assez forte pour surmonter ça.
Léna me gifle, elle me met debout. Elle et un ami me portent jusqu’en bas.
La police et les secours arrivent
La suite est floue. Les pompiers arrivent, ils embarquent Thomas sur un brancard. Le bruit de ses os brisés se répète en boucle dans ma tête.
J’entends quelqu’un dire :
« Ça y est, il revient, il respire. »
Je comprends pourtant que ça risque de ne pas durer.
Puis les policiers arrivent à leur tour. Ils essayent de me parler, je suis absente, je ne les entends même pas.
Léna répond à quelques questions pour moi — nom, prénom, adresse — puis les policiers m’informent qu’ils vont devoir m’amener au poste pour m’interroger davantage.
À ce moment-là, je reviens à moi.
« Non, je veux aller à l’hôpital. »
« On t’y conduira après », me répondent les policiers. Je ne veux pas partir toute seule, je suis traumatisée, je suis terrorisée.
Je comprends que les flics veulent aussi poser des questions à Alya, que je ne pars pas seule.
Léna me prend dans ses bras m’expliquant qu’elle va, avec les autres, m’attendre à l’hôpital.
Je monte dans le véhicule de police à contrecœur. Alya s’installe à mes côtés et ne lâche pas ma main du trajet.
L’interrogatoire au poste de police
Nous arrivons à un poste de police ; je n’ai toujours pas retrouvé la parole. L’impact du corps de Thomas sur le sol ne quitte pas mon esprit.
Alya répond tant bien que mal, pour nous deux, aux questions posées par les policiers, mais elle se tait pour l’épisode de la chute. Elle ne sait pas ce qu’il s’est passé dans cette cuisine. Elle sait juste comment cela s’est terminé.
Les policiers me mettent un peu la pression. Je m’efforce de leur raconter mais les souvenirs sont confus. Je suis secouée par les sanglots.
« Je ne voulais pas l’écouter et Thomas est monté sur le rebord de la fenêtre et il est… il est… »
Ils me font répéter l’histoire plusieurs fois. Je m’applique, je tente de calmer les sanglots qui me secouent violemment. Je veux en finir au plus vite.
D’après un texto de Léna, Thomas est en soins intensifs, et personne n’en sait plus sur son état.
Après un certain temps, les policiers nous informent qu’Alya est libre de s’en aller. En revanche, ils souhaitent me garder encore un peu.
Avant que je n’ai le temps de comprendre quoi que ce soit, ils l’escortent hors de la pièce puis me demandent de les suivre.
« On t’amène à l’hôpital, voir ton ami. »
Je ne comprends pas pourquoi Alya n’est pas venue avec nous, mais trop heureuse d’être enfin amenée à l’endroit où se trouve Thomas, je suis les policiers docilement.
Le piège à l’hôpital
Dans la voiture, il n’y a pas de ceinture à ma place.
Je tique et m’apprête à glisser sur la banquette pour changer de place, mais les flics m’ordonnent de rester où je suis, m’assurant que le trajet ne sera pas long.
La voiture se gare sur le parking d’un hôpital où je me suis déjà rendue, mais nous ne nous dirigeons pas vers le bâtiment des urgences, qui m’est familier.
Les policiers me conduisent dans une salle d’attente, me prient de patienter. Un docteur fait irruption quelques instants plus tard et me demande de le suivre.
Je ne comprends rien à ce qu’il se passe. Il m’explique doucement qu’il va effectuer des prélèvements salivaires et sanguins.
C’est quoi ce bordel ?
Les policiers reviennent. Le médecin me parle, ses mots refusent de pénétrer dans mon cerveau. Il me demande d’entrer dans une pièce et de me déshabiller.
Et tandis qu’il se dirige vers la porte pour la fermer, un des policiers glisse son pied dans l’embrasure.
« La porte reste ouverte. »
Mon cœur s’accélère, je suis tétanisée. Je ne comprends pas à quoi rime tout ce cirque.
Je dois me mettre en sous-vêtements, je vois les policiers sur le pas de la porte, je suis morte de peur
. Mais devant le regard condescendant du médecin et celui autoritaire des policiers, je finis par m’exécuter.
Le médecin m’examine. Les larmes inondent mon visage, j’essaye de ne pas regarder en direction de la porte.
Les problèmes ne font que commencer
Une fois rhabillée, je retourne auprès des policiers. L’odeur de l’hôpital me monte à la tête, me donne la nausée.
« Quand est-ce que je vais pouvoir aller voir mon ami ? »
Ils explosent de rire. Je suis confuse.
« On y va maintenant. Ce n’était pas ici. »
Ils me tournent le dos, remplissent des documents à l’accueil, faisant mine de ne plus m’entendre.
J’en profite pour sortir mon téléphone. Des dizaines d’appels et de messages envahissent mon écran instantanément.
Ma mère est médecin, et je sais qu’elle est de garde cette nuit. Je décline un appel entrant de Léna et m’empresse de composer son numéro.
Elle répond à la deuxième sonnerie :
« Maman, Thomas est tombé par la fenêtre, je sais pas s’il est vivant ou pas. Les policiers m’ont embarquée, j’ai l’impression qu’ils pensent que je l’ai poussé, je ne sais pas où ils veulent m’amener… »
C’est tout ce que j’ai eu le temps de dire avant que l’un des deux policiers ne me prenne mon téléphone et raccroche malgré mes protestations.
Je sens ma poitrine se serrer un peu plus. Je comprends que les problèmes ne font que commencer.
Dans l’impitoyable machine de la police
Les policiers me conduisent de nouveau à la voiture, sans répondre à mes questions sur notre destination.
Je n’ai pas la moindre idée d’où ils m’amènent. Je ne sais pas si Thomas est toujours en vie. Je ne sais pas ce qu’il va m’arriver.
Ils ont mis la sirène, donc je sais juste que je suis dans la merde.
Nous arrivons devant un autre commissariat. Ils me conduisent à l’intérieur.
Une agent de police prend la relève de ses collègues ; elle me demande de vider mes poches, de retirer mes bijoux, ma ceinture, mes chaussures, mon soutien-gorge.
Elle répertorie tout ce que je pose dans la barquette en plastique qu’elle a posée devant moi puis entreprend de…. me couper les ongles.
Je me laisse faire, la gorge nouée. Je ne sais pas si j’ai le droit de protester. De refuser.
Après m’avoir blessé le bout des doigts avec son coupe-ongle, elle m’ordonne de me lever et se lance dans une fouille au corps assez brutale.
La façon dont elle touche chaque partie de mon corps me font me sentir comme un animal. Les sanglots s’échappent de ma poitrine sans que je ne puisse les contrôler.
Je suis terrifiée.
Enfermée en cellule
Une fois que la fouille est terminée, la policière me demande d’entrer dans une cellule aux murs graffés, qui sent l’urine.
J’obéis, mais je demande s’il est possible de laisser la porte ouverte. La cellule est minuscule, je n’arrive pas bien à respirer et j’ai peur de faire une véritable crise de claustrophobie.
La réponse est non.
— Est-ce que vous pouvez au moins me dire si Thomas est toujours en vie ? — On sait pas.
J’attends des heures dans cette cellule, me concentrant pour ne pas m’étouffer de panique. Dépitée, je me résous à m’assoir sur le banc de pierre en face de la porte en plastique. Le sol est jonché de crachats.
Je suis pieds nus, je meurs de froid. Je commence à délirer, je meurs de soif.
J’essaye de demander un verre d’eau en toquant contre la paroi transparente, les policiers m’ignorent royalement.
L’odeur acide de l’urine me monte à la tête.
Pendant des heures, la question tourne dans ma tête :
« Thomas est-il encore en vie ? »
Je pense à Léna à laquelle je ne réponds plus. Je pense à ma mère qui ne sait pas chez qui, ni avec qui j’étais ce soir et qui doit être hystérique.
Je me demande si Léna a pensé à appeler ma mère. Je me demande si les parents de Thomas ont été mis au courant.
J’ai l’impression de me sentir partir dès que je ferme les yeux.
L’heure de l’interrogatoire
Après plusieurs heures, qui m’ont semblé durer une éternité, une policière vient ouvrir la porte. Elle m’explique que la commissaire est arrivée et qu’elle va me recevoir pour me poser des questions.
Je suis toujours pieds nus et morte de trouille. Je suis docilement l’agent, tout en priant pour qu’on en finisse vite.
La commissaire m’accueille froidement. Elle m’informe que mon père, sûrement mis au courant de la situation par ma mère, a appelé une avocate mais que celle-ci ne se trouve pas au bon poste de police puisqu’elle s’est rendue au premier endroit où j’avais été amenée.
Elle me demande si je veux qu’on l’attende pour commencer l’interrogatoire.
« Pour l’instant, tu n’es considérée que comme témoin donc tu ne devrais pas en avoir besoin. Pour l’instant. Mais on peut appeler ton avocate si tu veux. »
Je ne veux pas qu’elle pense que je suis suspecte. Après tout, je n’ai rien à me reprocher, si ? Je veux en finir, je lui dis qu’on peut commencer sans avocate, que je n’en ai pas besoin.
Les questions sont précises, compliquées et deviennent de plus en plus personnelles et gênantes.
Ça dure une heure.
J’ai l’impression de mourir de soif. J’ai l’impression de mourir de sommeil.
Je ne sais toujours pas si Thomas est vivant.
Une fois que c’est terminé, les policiers me rendent enfin mon téléphone. Je m’empresse de rappeler ma mère, que j’imagine se faire un sang d’encre, et lui donne l’adresse pour venir me chercher.
La commissaire sort alors de son bureau et m’explique calmement que son ordinateur a planté. Il faut recommencer la déposition du début.
Je comprends qu’il s’agit sans doute d’une technique pour voir s’il y avait des incohérences dans ma version. C’est sur le point de craquer de nouveau que je me relance dans mon récit.
J’ai demandé à Maître Eolas, avocat très actif sur Twitter, de me donner ses conseils : que faire si on se retrouve dans la situation de cette madmoiZelle, gardée à vue et interrogée par la police ?
Voici sa réponse, aussi longue que savoureuse et surtout instructive.
Comment réagir quand on est en garde à vue ?
Il est facile, quand on est sobre, qu’on a les idées claires, et qu’on a même une intelligence supérieure à la moyenne (la preuve, on lit madmoiZelle), de se dire que nous, dans cette situation, nous n’aurions pas réagi pareil.
La vérité est que si, nous aurions tous réagi pareil, parce que face à un cataclysme émotionnel de cette ampleur, même sans la consommation d’alcool, nous aurions tous réagi de la seule façon rationnelle : nous aurions paniqué.
Je me propose de vous donner modestement quelques conseils dont j’espère vous n’aurez jamais besoin, et si tel devait être le cas, vous serviront de règles d’or, à respecter obstinément, même si votre instinct vous pousse à la docilité.
Car votre instinct est, en ces circonstances, de mauvais conseil.
Suis-je suspecte ou témoin ?
La première question à vous poser est celui de votre statut. Êtes-vous considéré comme un témoin, ou comme un suspect ?
Ne posez pas cette question aux policiers, ils vous répondront toujours « témoin » car le statut de suspect n’existe pas, les suspects sont entendus comme témoins de leur propre crime. C’est une vieille entourloupe inventée à la fin du XIXe siècle pour tenir les avocats éloignés. Ça a marché 114 ans !
Comment savoir alors ? Le critère est simple : si la police utilise la coercition, vous êtes suspect ou suspecte.
Quand une infraction a eu lieu ou a pu avoir lieu, la police peut interdire aux témoins de s’éloigner du lieu de l’infraction jusqu’à la clôture des opérations (c’est l’article 61 du code de procédure pénale), notamment pour recueillir, sur place, leurs témoignages.
Pendant cette attente, vous pouvez librement téléphoner, notamment avec vos proches.
Si la police souhaite recueillir votre témoignage de manière précise, elle peut vous convoquer, et vous êtes tenu de comparaître. En pratique, les policiers étant très occupés, ils donnent rendez-vous.
Prenez un livre, ils ont du mal à être ponctuels, mais allez-y.
Pour cette jeune femme, le moment où le signal d’alarme doit s’allumer est quand les policiers expliquent qu’ils vont devoir l’emmener au poste pour lui poser quelques questions.
Ça ressemble à de la coercition, et quand elle dit qu’elle veut aller à l’hôpital et qu’on lui refuse : c’en est clairement. À ce stade, elle est suspecte, et elle a des droits.
Toujours, TOUJOURS appeler un avocat
La procédure normale est qu’aussitôt la personne arrêtée, elle est en garde à vue et doit être conduite devant un policier appelé officier de police judiciaire (OPJ).
(Ce n’est pas un grade, c’est une fonction, contrairement aux officiers de police tout court (lieutenant de police, capitaine de police, commandant de police), qui sont des grades remplaçant les anciens inspecteurs. Un gardien de la paix peut être officier de police judiciaire, et un capitaine de police peut ne pas l’être. Et aucun signe distinctif ne permet de les reconnaître…)
Cet officier de police judiciaire notifie le placement en garde à vue, et les droits qui vont avec, notamment le droit à un avocat.
Là, trois hypothèses peuvent se présenter.
- Soit vous êtes coupable, et vous avez besoin d’un avocat
- Soit vous êtes innocent ou innocente, et vous avez besoin d’un avocat pour éviter une erreur judiciaire
- Soit vous n’êtes pas sûr ou sûre, et vous avez besoin d’un avocat pour vous expliquer votre situation
Vous avez compris : demandez un avocat. Toujours.
Surtout si les policiers laissent entendre que vous n’en avez pas besoin. Même s’ils vous disent que ça va prendre du temps et que ça irait plus vite sans avocat.
De manière générale, n’écoutez pas les conseils des policiers en matière de défense. Ils vous ont conduit ici contre votre volonté, parfois menottée, vous ont retiré lacets, montres, lunettes et manteau (s’il a des cordelettes), et vont vous mettre dans une cellule sale et qui pue.
Quelle preuve de plus vous faut-il que ce ne sont pas vos amis ?
Si votre famille connaît un avocat, très bien. Si cet avocat ne peut être contacté, ne peut se déplacer, ou ne le souhaite pas (il ne fait peut-être pas de droit pénal, et c’est normal qu’il décline), demandez un avocat commis d’office.
Oubliez les séries américaines où les commis d’office sont immanquablement mauvais ! Le système français est différent, ce sont des avocats de plein exercice qui accomplissent ces missions.
Ils sauront de quoi ils parlent et surtout, ils seront à vos côtés à chaque interrogatoire. Vous aurez un allié dans la place, prêt à tenir tête aux policiers s’ils franchissent des lignes jaunes.
Il ne faut pas répondre aux questions de la police
Ensuite, ne pas faire de déclaration. C’est le plus difficile, car vous aurez envie de vous expliquer. Vous espérerez qu’une bonne discussion franche règlera le problème et que tout rentrera dans l’ordre.
Rappelez vous ce que j’ai dit ci-dessus. Menottes. Cellule qui pue. Fouille humiliante. Les policiers ne sont pas vos amis. Ce sont des professionnels qui font leur travail, et leur travail n’est pas de vous aider mais de boucler un dossier.
Or vos déclarations, surtout faites sous le coup d’un choc émotionnel, peuvent, sans que vous le vouliez, sans que vous n’ayez rien fait, vous accabler. Dire que vous êtes désolée de ce qui s’est passé peut sonner comme un aveu.
Et à ce stade, votre avocat n’a pas accès au dossier, ne peut vous dire ce qu’il y a contre vous, ne peut vous empêcher de tenir des propos qui vous feront paraître suspecte même si vous n’avez rien fait.
Vous vous dites probablement qu’il est plus simple de s’expliquer, que si on n’a rien fait, on n’a rien à craindre, que refuser de parler vous fait paraître suspecte. C’est du bon sens !
Sauf que le bon sens est votre pire ennemi dans cette situation.
« Vous avez le droit de garder le silence »
Le silence est un droit, qu’on vous notifie dès le début. On ne peut vous reprocher l’exercice d’un droit, et les juges le comprennent très bien (on leur a longuement expliqué depuis le temps).
Cela dit, voyez comment on vous le notifie. Vous dit-on « vous avez le droit de garder le silence » comme aux États-Unis ou en Espagne ? Non.
On vous notifie une tartine indigeste où le seul droit important est noyé à la fin :
« Vous avez le droit, après avoir décliné votre identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui vous seront posées, ou de vous taire ».
Le droit de répondre aux questions posées, sérieusement ? Si on le planque au bout d’une phrase de deux lignes, que personne ne vous lira mais qui figure sur un papier de deux pages qu’on vous demandera de signer sans le lire, c’est qu’il doit bien y avoir une raison, non ? Peut-être qu’on ne veut pas que vous en fassiez usage ?
C’est donc qu’il doit être rudement efficace, ce droit au silence… Et il l’est.
Bref, les deux seules phrases qui doivent franchir votre bouche sont « Je veux un avocat » et « Je ne répondrai pas à vos questions ». Il sera toujours temps de parler par la suite.
Et si un juge mal embouché vous demande pourquoi diable vous avez gardé le silence alors que vous n’aviez rien fait, dites-lui que vous l’avez lu sur madmoiZelle.
Pourquoi ces prélèvements en garde à vue ?
J’ai eu l’impression, en lisant le témoignage de cette madmoiZelle, qu’elle n’a jamais été mise au courant de sa garde à vue. Je me suis aussi interrogée sur ces prélèvements effectués à l’hôpital.
Voici ce que me répond Maître Eolas :
Dire qu’on ne lui a pas notifié sa garde à vue, c’est aller loin dans les déductions. Elle était ivre morte au début, épuisée, stressée, elle a dû signer tout ce qu’on lui présentait sans même relire…
Je pense qu’on lui a notifié, mais en loucedé. Et ils ont profité de son état d’ivresse, incompatible avec la notification, pour lui faire faire des tests sans lui avoir notifié quoi que ce soit.
Ces prélèvements sont prévus par la loi et s’y opposer est susceptible d’être un délit. Un tel prélèvement est une preuve qu’elle était en garde à vue.
Mais c’était une enquête criminelle, pour tentative d’homicide… C’est effarant.
« Et Thomas ? »
Il est 14h30 quand la police me laisse enfin partir. Ça fait 10 heures que Thomas a sauté par la fenêtre.
Ma mère m’attend sur le trottoir, elle se jette dans mes bras. Les jambes tremblantes, je me laisse aller à son étreinte.
« Et Thomas ? »
Il est vivant. Il est stable. Il va s’en sortir.
J’ai l’impression de respirer pour la première fois après des heures d’apnée. Les larmes jaillissent de mes yeux.
Ma mère me fait comprendre cependant que rien n’est gagné : Thomas est encore en soins intensifs. Est-ce qu’il va pouvoir reparler, remarcher ? Nul ne le sait.
Je ne pipe pas mot du trajet qui nous sépare de notre appartement.
Je suis épuisée, sonnée, complètement perdue.
Je ne suis plus que l’ombre de moi-même
Ma mère me ramène à la maison, me donne des somnifères pour que je puisse dormir. Tout ce temps, je le dis avec le recul, elle a été parfaite.
Les cachets ne fonctionnent que pendant une heure. Dès que je ferme les yeux, je vois Thomas basculer. Dès qu’il y a le silence, j’entends ses os qui se brisent.
Je dors par demi-heure, mal. Je vais vomir entre chaque « sieste ».
Mes amis appellent, veulent passer me voir. Je n’en ai pas envie. Je ne m’en sens pas capable. Félix veut venir dormir avec moi. Je peux pas, je ne supporte l’idée d’une autre présence dans ma chambre, je tolère à peine ma mère.
Comment vivre alors que le monde s’est arrêté ?
Dans les jours qui suivent, je n’ai pas le droit de me rendre à l’hôpital. Les policiers ont expliqué à mes parents que je ne suis pas autorisée à m’approcher de Thomas tant qu’il ne se serait pas réveillé.
Ils ont besoin de « lui poser quelques questions avant de clarifier ma situation ».
Apparemment, une voisine d’Alya a raconté aux policiers avoir entendu une voix hurler « Arrête, Thomas ! » juste avant qu’il ne bascule.
Je ne me souviens pas avoir dit ça. Mais je comprends que ça rajoute un doute dans l’esprit des policiers quant à mon implication dans la chute de mon ami.
Je vais en cours, du moins j’essaye. Mes amis présents à la soirée ont fait tourner le mot, et s’assurent que personne ne vienne me parler.
Je veux être n’importe où sauf en classe. Je n’ai toujours pas dormi, je n’arrive pas à manger, je vomis plusieurs fois par heure. Je veux voir Thomas.
On n’a toujours pas de vraies nouvelles de lui. Il est toujours dans le coma.
La première visite à l’hôpital
Ça dure comme ça pendant trois jours. Je vais à l’école, plus pour ne pas rester toute seule chez moi que pour suivre les cours, et j’attends des nouvelles.
Le mercredi, le père de Thomas m’appelle et me dit que je vais enfin pouvoir venir le voir à l’hôpital. Il s’est réveillé la veille, les flics sont venus lui poser des questions dans la matinée.
Il a confirmé ma version, même s’il ne se souvient de rien.
« Bien sûr que oui, je suis sûr qu’elle ne m’a pas poussé. »
Je me rends donc à l’hôpital ce mercredi-là, puis tous les deux jours pendant toutes les semaines qui suivent. Et il y en a beaucoup : Thomas y reste longtemps.
Ses fractures se comptent par dizaines, plusieurs de ses dents ont sauté, il a du mal à bouger, à s’exprimer.
Mais il parle tant bien que mal, il n’a pas perdu la mémoire. Il va bien. Je suis tellement heureuse d’aller le voir, c’est la seule chose qui me fait du bien.
Les seuls moment où je vais « bien ».
Je pense normalement quand je suis avec lui, je ne suis plus triste, j’arrive parfois même à rire. Je sais que ce cauchemar est terminé et que tout va aller pour le mieux désormais.
Je ne sais pas à ce moment-là à quel point j’ai tort.
Si vous avez, ou que l’un de vos proches a des pensées suicidaires, tournez-vous vers les numéros d’écoute comme :
- Le standard du Fil Santé Jeunes : 0800 235 236
- La page gouvernementale Que faire et à qui s’adresser face à une crise suicidaire ?
- Suicide écoute : 01 45 39 40 00 (7j/7, 24h/24)
- SOS suicide phénix : 01 40 44 46 45 (7j/7, de 13h à 23h, prix d’un appel local.
Vous pouvez avoir accès à des professionnels dans des centres médico-psychologiques, trouvez le plus proche de chez vous sur Internet.
Pour lire la suite, c’est par ici :
À lire aussi : Mon mec m’a trompée, et ça a été une déflagration – Carnet de Rupture #1
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Les Commentaires
Même si il est vrai la privation d'eau et le mensonge n'est pas un procédé défendable.
Sinon, je n'ai pas lu la suite mais pour moi cette chute est du à un manque de discernment liée à une alcoolisation trop importante, un rappel sur la consommation raisonnée et les risques de l'alcoolisation/l'alcoolisme ne serait pas inutile.
Je suis triste du nombre de vie détruite par l'alcool.