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En immersion dans la Maison des femmes, ce lieu qui aide tant de survivantes

À l’occasion de la sortie de la bande dessinée La Maison des femmes aux éditions Delcourt, Madmoizelle s’est rendue sur le lieu du même nom. Et on vous y emmène avec nous !

L’ouvrage La Maison des femmes n’est pas une simple bande dessinée. C’est un reportage complet mené par Nicolas Wild, auteur et illustrateur qui a pris le temps de rencontrer chacune des personnes qui font de La Maison des femmes un modèle à exporter.

Paru le 29 septembre aux éditions Delcourt, une maison spécialisée en bande dessinée, ce projet a demandé pas moins de quatre ans à son auteur ! Il est construit comme des mini-fresques sur les salariées et bénévoles venant en aide à des femmes de tous milieux sociaux, âges et origines.

Le livre laisse également la place aux personnes victimes de violences qui viennent chercher de l’aide à la Maison des femmes. Plusieurs d’entre elles ont accepté de témoigner pour partager leurs histoires — des récits qui marquent et frappent en plein cœur.

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La Maison des femmes par Nicolas Wild

La Maison des femmes, un lieu unique

C’est à côté du centre hospitalier de Saint-Denis, que La Maison des femmes a élu domicile, en véritable unité de soins. Pour en savoir plus, Violette Perrotte, ancienne bénévole et surtout première chargée de projet de la Maison des femmes, aujourd’hui cheffe de cabinet du maire de Saint-Denis a répondu à quelques questions.

Madmoizelle : d’où vient le projet de la Maison des femmes ?

Violette Perrotte : Le projet de la Maison des femmes est venu d’un constat de la docteure Ghada Athem, à l’époque cheffe de la maternité de l’hôpital de Lafontaine. Elle rencontrait des patientes qui venaient la voir pour des raisons qui dépassaient le cercle médical. Ces femmes utilisaient le soin comme porte d’entrée pour parler d’autres problèmes

Ghada Athem a compris que la santé avait une pertinence particulière pour aider les femmes, et que tout ce qu’elle pouvait faire en tant que médecin, c’était de les rediriger vers d’autres structures. Mais finalement, elle avait rarement des nouvelles, elle n’était jamais sûre qu’il y ait un suivi…

Ghada Athem a donc voulu créer un lieu ayant le soin comme porte d’entrée, qui apporterait également des soins mentaux, sociaux, émotionnels et psychologiques. Le but est de rassembler dans un même lieu tous les besoins possibles (sauf l’hébergement) avec un guichet unique.

Aujourd’hui les trois unités proposées sont le Planning familial, l’unité violence et l’unité de prise en charge des mutilations sexuelles.

Pour en savoir plus sur Nicolas Wild et son immersion à la Maison des femmes c’est par ici

Comment avez-vous réussi à convaincre les professionnelles de santé à vous joindre dans cette aventure ?

Les professionnelles hors catégories de soins (le Planning familial, l’unité violence et l’unité de prise en charge des mutilations sexuelles), qui sont assistante sociale, avocate ou policière, ne se sentaient pas directement concernées. Lorsqu’on allait voir des médecins, ils nous répondaient « votre lieu, c’est du social » — et vice-versa. Nous avons dû expliquer aux gens que ces spécialités pouvaient se regrouper pour construire un lieu qui proposait les deux. C’était assez avant-gardiste !

En revanche, certaines professionnelles comme les policières étaient très demandeuses de ce genre d’endroit. L’une d’entre elles a entendu Ghada Athem parler lors d’une conférence, et par la suite elle a demandé à son supérieur si elle pouvait apporter son aide deux heures par semaine pour renseigner les femmes sur le dépôt de plainte et sur leur droit.

Ensuite ses collègues en ont entendu parler, et ont trouvé ça génial. Aujourd’hui, vous pouvez venir porter plainte directement à La Maison des femmes !

Le processus s’est fait de la même manière pour les avocats, les assistantes sociales et les ostéopathes. Les professionnels voient la pertinence de travailler dans un même lieu avec d’autres métiers qui sont reliés au parcours d’une même personne. Ils sont tous rassemblés ici sous le secret médical partagé, et peuvent se partager les dossiers d’une patiente, ce qui permet beaucoup plus de fluidité dans le parcours de soins.

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Entrée de La Maison des femmes de Saint-Denis

Comment avez-vous réussi à financer cet endroit ?

En 2015, ce projet était encore beaucoup trop abstrait, le côté transversal n’était pas encore au goût du jour. Maintenant que la Maison des femmes est devenue ce qu’elle est, ça serait impensable pour le gouvernement de ne pas nous soutenir, ça le mettrait du mauvais côté de l’Histoire.

C’est vraiment grâce aux fondations privées que cet endroit a vu le jour. Il a fallu que des fondations comme celles de Kering, Elle ou Sanofi embrayent le pas, en disant que le projet était pertinent.

Ce sont ces structures qui ont financé la construction et qui payent les professionnels : la machine tourne toujours grâce à elles. Nous avons construit avec elle des partenariats de confiance, où le côté décisionnel est beaucoup plus rapide que dans le public.

La notoriété de la Maison des femmes grandit : vous devez recevoir de plus en plus de personnes ?

Ah oui, surtout après les confinements successifs. Il y a une grande augmentation du nombre de patientes, même si le lieu est resté ouvert. Cela a amené tout son lot de problématiques comme des grossesses négligées, des violences conjugales ou intrafamiliales, et le flux ne décroît pas…

Comparé à quand j’y travaillais, aujourd’hui la Maison des femmes est très connue. Dès qu’un politique a une sortie à faire dans la région, il nous rend visite. Ghada Athem, le visage du lieu, bénéficie aussi d’une certaine notoriété : lorsqu’il y a des questions autour de la gynécologie ou de la santé des femmes, elle est très sollicitée dans les médias. 

Quant aux patientes, le bouche-à-oreille est vraiment énorme, et l’hôpital Delafontaine est extrêmement fréquenté. Je pense que les femmes passent plus facilement la porte d’un hôpital que celle d’une association pour personnes victimes de violences. 

La Maison des femmes est un entre-deux. Nous passons par l’hôpital : cela rassure énormément de patientes de voir des médecins en blouse. Elles savent qu’il y aura un secret médical et les policiers sont en civil, ce qui rééquilibre le rapport aux institutions.

Donc que ce soit au niveau de la notoriété ou de la levée de fond, la machine est lancée maintenant, nous n’avons plus de difficultés.

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Existe-t-il plusieurs maisons des femmes en France et ailleurs ?

Oui ! Après l’ouverture en juillet 2016 de celle de Saint-Denis, une deuxième a ouvert à Bruxelles, basée entièrement sur notre modèle.

Il y en a cinq ou six en France — à Reims, Tours ou Bordeaux — et une autre va prochainement ouvrir ses portes à Marseille. Beaucoup de villes se sont emparées de notre charte, car nous avons un modèle de fonctionnement assez flexible pour que les professionnels puissent s’adapter aux problématiques locales.

Par exemple, l’alcoolisme n’est pas un problème très répandu en Seine-Saint-Denis et plus largement en Île-de-France. En revanche, ce sera une problématique plus importante dans certaines villes du nord de la France. L’excision est un autre sujet qui ne se retrouve pas de la même façon sur tous les territoires.

Chaque maison à des spécialités différentes, mais toutes ont un Planning familial, une prise en charge des violences, et un côté pluridisciplinaire. Il faut qu’il y ait un lien entre la police, la justice et l’hôpital.

Aujourd’hui, La Maison des femmes et sa structure dirigeante ont créé un réseau qui s’appelle Restart dont Elizabeth Moreno (ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances) est la marraine. Nous essayons de créer une certaine unité — toutes les maisons ont le même logo par exemple — et nous nous réunissons de temps en temps.

C’est un réseau qui grandit ! La semaine dernière, Ghada s’est rendue à Marseille pour une prise de parole et près de 25 personnes venues de toute la France lui ont fait savoir qu’elles étaient intéressées. Il s’agissait principalement de médecins, mais la demande peut aussi venir de villes ou de personnes qui travaillent dans des service de protection des femmes.

Maintenant que je travaille à la mairie je me rends compte de la pertinence d’un tel lieu au niveau d’une ville.

Pour en savoir plus sur Nicolas Wild et son immersion à la Maison des femmes c’est par ici

Quelles sont les difficultés que peut rencontrer la maison des femmes aujourd’hui ?

Jusqu’à il y a trois mois, le plus gros problème de l’endroit a été le manque de place… Personnellement j’ai travaillé deux ans avec mon ordinateur sur les genoux, en partage de connexion, sur des chaises pour enfants au milieu de la salle d’attente ! Alors que maintenant qu’il a eu une extension, j’ai des frissons quand je viens. Avant nous n’avions pas de salle, la gynécologue passait après le policier (rires).

Le plus gros challenge auquel fait face la Maison des femmes aujourd’hui, c’est de synchroniser son fonctionnement au niveau national avec le réseau qui s’agrandit. 

On aimerait aussi avoir une reconnaissance gouvernementale, et que le fait d’avoir une Maison des femmes à côté d’un hôpital devienne systématique. Parce que les services de cancérologie, de psychiatrie… sont hyper contents de pouvoir rediriger les femmes ici. Il faudrait qu’il existe un service comme celui-ci dans chaque département et que cela soit financé par le gouvernement.

À Saint-Denis, nous sommes vraiment pour le partage d’informations. Dès que quelqu’un vient nous voir pour en savoir plus sur notre modèle, on lui donne toute la documentation possible et nous lui expliquons toutes les erreurs qu’on a pu faire.

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Extention de La Maison des femmes

Quelles sont les choses que vous auriez faites autrement si c’était possible ?

Nous aurions fait un espace 18 fois plus grand (rires). À un moment donné aussi, nous acceptions beaucoup de dons — de vêtements ou autre. J’ai découvert que ça demandait une vraie logistique et qu’on n’avait pas la place de tout stocker. Il a fallu trouver une association avec laquelle travailler pour les rediriger. Mais c’est aussi parce que ce modèle nous a vraiment dépassées. 

À l’origine, Ghada avait en tête un centre de santé où il y aurait psychologue et assistante sociale. Puis des avocates ont commencé à venir en se portant bénévole pour aider certaines femmes à porter plainte, et la machine était lancée

En tant que médecin, Ghada savait que c’était de cette manière que ses patientes iraient vraiment mieux, et pas seulement en réalisant une IVG ou en ayant une séance avec une psychologue. Nous avons dû faire des erreurs, puis on s’est rendu compte qu’il y avait un besoin autant du côté des professionnelles que des patientes.

« Je ne suis pas un homme, ni une femme, je suis un auteur de BD »

Cela peut surprendre comme choix d’auteur, cependant il n’a pas été fait dans la précipitation. Lorsque ce projet est venu dans les mains de Nicolas Wild, il a longuement hésité, car ce sujet était « loin de sa zone de confort » :

Pourquoi avoir choisi un homme pour parler de la maison des femmes ?

Nicolas Wild : Comme Ghada le dit, « Je ne suis pas un homme, je ne suis pas une femme, je suis un médecin ». Eh bien moi, « Je ne suis pas un homme, ni une femme, je suis un auteur de BD ». Évidemment une femme aurait pu faire un livre tout aussi bien ou mieux ! Je ne sais pas si la façon de raconter un récit change vraiment en fonction du genre, cela dit. Il y a certainement des études qui ont été faites sur le sujet.

Violette Perrotte : Il y a peut-être certains sujets pour lesquels tu as dû tomber de haut, alors qu’en tant que femme ça ne nous parait pas surprenant (rires). Je trouve que c’est une bonne chose. Et heureusement qu’il n’y a pas que des femmes qui peuvent écrire sur La Maison des femmes !

Nicolas Wild : Je me suis beaucoup posé cette question au départ. Ensuite j’ai rencontré des femmes qui ont témoigné. J’ai fait une première version des ces témoignages en storyboard, je l’ai envoyée à celle que j’avais toujours en contact et j’ai eu de supers retours.

Violette Perrotte : Je pense que lorsque c’est mal raconté ou mal retranscrit, qu’on ignore une partie de la vérité ou qu’on n’écoute pas les personnes que l’on interroge c’est un problème. Mais Ghada n’aurait pas accepté que n’importe qui, et n’importe quel homme surtout construise une bande dessinée. Il fallait qu’il passe du temps à la Maison des femmes avec des patientes, qu’il écoute certaines consultations…

C’est aussi un choix de personne, pas de genre. C’est Nicolas qui a été accepté pour faire ce travail, pas n’importe qui. On s’est toutes dit qu’il allait avoir la sensibilité pour comprendre la subtilité de toutes les histoires, en plus il a su être discret.

Ghada a bien sur été plus vigilante que si c’était une femme qui nous demandait « est-ce que je peux interviewer une patiente ? » ou « est-ce que je peux venir en consultation ? » — quand il s’agit d’un homme, les femmes ont plus de réticences, donc on veut que ça soit quelqu’un qui ait cette capacité d’échanger, de comprendre, qui sait être empathique pour pouvoir gagner leur confiance.

Justement, avez-vous eu des difficultés pour recueillir des témoignages ?

Nicolas Wild : Au départ j’étais dans un coin, j’essayais de ne pas faire trop de bruit, et puis petit à petit la glace s’est brisée.

Un protocole s’est mis en place tout seul : j’ai commencé par interroger tout le personnel soignant, et ensuite je leur demandais si il connaissait une femme qui avait vécu une histoire. Une fois qu’un membre du personnel expliquait qui j’étais, la patiente était plus en confiance.

Quel est le grand projet qui verra bientôt le jour à La Maison des femmes ?

Violette Perrotte : Il y a un projet nommé « Mon palier », construit en collaboration avec une autre association spécialisée dans l’hébergement. Le but sera d’y accueillir les patientes de La Maison des femmes.

Un reportage illustré nécessaire

Au-delà de la pertinence dont parle Violette Perrotte, La Maison des femmes devient une nécessité, une bouffée d’air frais et un refuge. La chance de pouvoir envisager la vie sous un autre jour pour tant de personnes victimes de violences.

Ce roman graphique est un choc, ou plutôt une prise de conscience sur le degré de violences que l’on peut infliger aux femmes mais également ce qu’elles peuvent encaisser avant de chercher de l’aide. La maison d’édition Delcourt édite pour la première fois une bande dessinée de Nicolas Wild, et c’est une totale réussite.

Trente fresques retracent les destins de femmes qui s’entraident, et qui essayent de se reconstruire pour aller de l’avant. La leçon de ce reportage, c’est qu’il n’y a pas de douleur plus grande qu’une autre : chacune mérite d’être entendue.

La Maison des femmes finit très justement sur une citation de Simone de Beauvoir, qu’il semble bon de rappeler :

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes votre vie durant. »

Pour en savoir plus sur Nicolas Wild et son immersion à la Maison des femmes c’est par ici

À lire aussi : « Nous faisions ça en cachette » : 3 femmes de générations différentes nous parlent de leur couple

Violences conjugales : les ressources

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :

Les Commentaires

2
Avatar de Sophie Castelain-Youssouf
4 novembre 2021 à 17h11
Sophie Castelain-Youssouf
Merci pour la découverte @Sophie Castelain-Youssouf !
En plus on peut les soutenir financièrement <3 (la maison des femmes, je veux dire)
Je suis ravie qu'il t'ait plu J'avoue que j'ai adoré le livre, découvrir l'endroit et écrire sur le sujet ensuite !
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