Il y a des expériences bien banales, dont on ne se souvient que peu ensuite… et d’autres qui marquent toute une vie. Dans mon cas, celle qui va suivre a surtout impacté ma garde-robe.
Après un premier stage à succès, j’ai été embauchée à dix-neuf ans comme alternante dans un grand groupe : j’avais mon propre bureau, un poste intéressant (sur le papier) et j’étais surtout fière d’intégrer cette boîte.
À peine une personne sortait de mon open space que les langues se déliaient, et les commérages commençaient.
Je suis arrivée très motivée, mais j’ai rapidement compris que cette année allait être longue. À peine une personne sortait de mon open space que les langues se déliaient. Au programme : commérages et jugements en tout genre sur les faits et gestes du monde entier. Pas besoin d’avoir inventé l’eau tiède pour me dire que dans mon dos, ça devait également jaser.
Mais tout cela a pris une tournure encore moins sympathique quand je me suis rendu compte que ce que l’on me reprochait dans toutes ces messes basses n’était ni mes actes, ni ma présence mais bel et bien mes vêtements…
La première remarque
Pendant ma première semaine, j’ai entendu des bruits courir sur une nouvelle stagiaire « du second » qui provoquait l’hilarité générale.
Comprenez bien : elle portait des décolletés un peu trop plongeants au goût de l’équipe. Personne ne semblait cependant lui en parler directement : si elle s’en rendait compte, peut-être qu’ils n’auraient plus de quoi alimenter les moqueries ?
À lire aussi : Je veux comprendre… le slut-shaming
Je l’avoue avec honte, mais je préférais rester dans le déni tant que je ne me sentais pas mise en danger. Je cultivais un look le plus neutre possible : Converse, jean et t-shirt.
Mon excentricité la plus probante était un sweat à capuche vert dont la couleur avait passé. Je ne me disais pas que mon style vestimentaire pouvait poser problème. Et surtout, j’avais un an à tenir, alors je préférais me faire discrète sur la question.
Mais un jour, la directrice m’a croisée dans un couloir, m’a regardée des pieds à la tête et sans un bonjour, m’a lâché distinctement, dans l’hilarité générale :
« Mais c’est quoi ce jean usé ? On ne paie pas suffisamment les stagiaires pour qu’ils s’achètent des vêtements neufs ? »
Quand les remarques ont laissé place à la peur du jugement
Ça n’a été que la première d’une petite suite de remarques. Quelques jours plus tard, ma tutrice a été plus directe.
« Tu n’as pas le droit de venir habillée comme ça, ici on est chez les adultes. Arrête les t-shirts. »
D’un côté, je comprends parfaitement qu’un code vestimentaire soit demandé dans certaines boîtes. Ce que je ne saisissais pas ici, en revanche, c’est qu’un autre alternant placé sur un poste équivalent au mien et dans le même bureau que moi n’avait jamais reçu de remarques.
« Les garçons, c’est différent »
Pourtant, il venait en jean troué et portait des t-shirts de groupes de musique. Quand j’ai demandé à ma supérieure pourquoi lui n’avait jamais eu à souffrir des critiques, elle a soupiré en disant que les garçons, c’était différent.
À lire aussi : Le code vestimentaire professionnel, entre mystère et sexisme
Officiellement, il n’y avait aucune règle. Officieusement, c’était la guerre du style.
Petit à petit, j’ai fini par adopter la stratégie de tenter d’éviter au maximum les remarques et moqueries. J’avais bien compris que dans cette boîte, on jugeait les tenues trop excentriques, les taches sur les vêtements et les gens qui venaient habillés deux jours de suite de la même manière. Officiellement, aucune règle ne forçait qui que ce soit à venir vêtu•e d’une manière ou d’une autre. Officieusement, c’était la guerre du style.
C’est ainsi qu’après les nuits passées chez mon nouveau copain de l’époque, j’en étais venue à passer au supermarché m’acheter des pulls neufs à neuf heures du matin pour donner l’impression de m’être changée.
Quand je me faisais une tache en mangeant le midi, je passais l’après-midi collée à mon bureau pour ne surtout pas qu’elle soit visible. J’ai également fini par ne plus mettre de jupes : j’avais bien compris qu’ici, elles étaient soit jugées trop longues, soit trop courtes, mais jamais vues d’un bon œil.
À lire aussi : Une photo de « jupe » lance une discussion sur le slutshaming
Le déclic et la suite
Quelques semaines avant mon départ, j’ai croisé une nouvelle stagiaire en pleurs : l’open space avait passé une grosse demi-heure à se moquer de sa robe, devant elle. Bien sûr, l’argument de l’humour était toujours avancé par les médisant•es. C’est marrant qu’ils/elles ne se soient pas rendu compte que pour elle, l’expérience était tout sauf drôle.
C’était l’une de mes premières expériences, je n’osais pas m’affirmer
Ça fait maintenant trois ans aujourd’hui que ce contrat est terminé. En repensant à cette histoire, je me suis parfois sentie bête d’avoir modifié à ce point la façon dont je m’habillais pour éviter les moqueries. Pourtant, je ne suis pas dure avec moi-même : c’était l’une de mes premières expériences, je n’osais pas m’affirmer. J’en rigole beaucoup quand j’y repense et mine de rien, j’ai ainsi pu acquérir toute une collection de pulls parfaits pour aller travailler « avec sérieux ».
Je suis maintenant dans une toute autre boîte où j’ai le droit de m’habiller vraiment comme je veux… je ne sais pas si je pourrai conserver une telle liberté dans tous mes jobs, mais en attendant, j’en profite. Et je me dis que la prochaine fois que je tombe sur des gens qui ont un tel souci avec les fringues des filles… ce sera eux le problème, pas moi !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Non en vrai quand je bossais dans les labos de contrôle de cette même entreprise, c'était vraiment "fais ta life mais couvre tes jambes, l'acide c'est mauvais pour la peau". Je venais avec les ongles noirs, des smoky eyes de l'apocalypse, des T-shirts de groupe de metal, ma mèche verte au vent ... Tout le monde s'en balançait profondément parce que : je portais ma blouse ; je mettais mes lunettes de sécurité ; je mettais ms chaussures de sécurité. Bref, je respectais la procédure et dans l'industrie pharmaceutique, c'est tout ce qu'on te demande. Même le big boss des labos n'a rien dit en me voyant. Dans cette entreprise on a des mecs en costard, des nanas en tailleur, des gens en jogging, en tong (ça par contre ça passe moyen mais c'est vraiment question de sécurité), moi quand je suis du matin je suis limite en pyjama et tout le monde s'en tape.
Après effectivement je viendrais pas bosser avec mes désormais célèbres rouge à lèvres noirs ou bleus mais c'est plus parce que c'est du maquillage de fête / de shooting photo / de soirée.