Initialement publié le 21 août 2014
De tous les trucs du monde de l’entreprise qui m’ont surprise ou intriguée, le code vestimentaire se place aisément dans le top trois au palmarès des bizarreries.
Certaines professions exigent un certain standard, lorsque les employé•e•s sont en contact avec le public et qu’ils/elles doivent être identifiables immédiatement par les client-e-s, par exemple.
Dans certains cas, le code vestimentaire comporte des obligations dictées par les règles d’hygiène et de sécurité, ce qui limite les potentielles excentricités de style — citons par exemple la blouse blanche ou la charlotte en papier, tout à fait légitimes.
Dans d’autres cas, le code vestimentaire relève uniquement de la tradition, du conformisme, voire parfois du caprice.
Je comprends les règles quand elles ont un sens. Je comprends le port de l’uniforme, motivé par la volonté de projeter une certaine image. Pourquoi pas.
Mais je n’ai jamais compris l’obsession du costume-cravate, surtout quand on ne rencontre pas de clients, quand on passe sa journée vissé à son siège, scotché à son écran d’ordinateur. Pourquoi ?
Et surtout, pourquoi tant de drama autour de nos vêtements ?
Le code vestimentaire en entreprise : anatomie d’un mystère
On peut tout à fait être bien habillé sans trop en faire, et le dress code d’entreprise m’a vraiment donné le sentiment de surjouer. J’ai eu la sensation, du premier au dernier jour, de devoir « me déguiser » pour aller travailler.
Entre « Barbie chef d’entreprise » et la gamine qui pique les tailleurs de sa mère « pour rigoler », je me sentais au mieux légèrement ridicule (j’ai connu pire), au pire vraiment mal à l’aise dans un accoutrement inconfortable, inadapté à mes activités. Car visiter des sites industriels en tailleur ou en robe, devinez quoi : c’est pas pratique.
Mais hors de question de mettre un jean, surtout pas ! Lors de ces visites, on rencontrait le patron du site. Apparaître en jean devant un responsable semblait être une offense similaire à se présenter couvert devant le Roi de France.
Et que dire de l’inadéquation climatique ? Qu’il fasse -20 en hiver ou +40°C en été, ces messieurs étaient toujours en costume-cravate. L’été, il fallait donc pousser la clim’ à fond, la chaleur étant rapidement insupportable quand on porte un morceau de tissu noué autour du cou.
Plutôt monter la clim’ que tomber la cravate, évidemment. Pendant ce temps, les dames du service, en robe d’été puisque c’est la saison, ajoutaient des couches pour supporter les souffles froids.
C’est d’une logique à toute épreuve…
Le code vestimentaire en entreprise, de l’art de « se mettre en valeur »
Laissez-moi vous conter une anecdote véridique que je tiens d’une amie… Appelons-la Marie C.
Quand elle travaillait en entreprise, Marie C. avait à coeur de se couvrir le plus possible. Pourquoi ? Parce qu’elle travaillait dans un milieu très masculin, parce que le corps féminin est très sexualisé dans la société, qu’une courbure mammaire trop visible « c’est sexy », alors que des poils de torse qui dépassent d’un col de chemise entrouvert, c’est normal.
Parce qu’elle était jeune, qu’elle avait l’air jeune, et que ces deux éléments faisaient entrave à sa crédibilité. Ajoutez « sexy » à l’équation et Marie C. pouvait toujours courir pour être prise au sérieux dans une réunion de travail. Il fallait éviter cet écueil à tout prix.
Marie s’est toujours autant souciée de la mode que du cours du nickel : c’est dire que son look lui importait guère. Quand on démarre dans la vie professionnelle, on a évidemment à coeur de faire bonne impression, ; elle mettait donc le paquet au bureau, histoire de briller par ses compétences et son dynamisme.
En dépit de ses efforts, ça ne passait pas. Elle était jeune, sans expérience, la seule femme de son service, et surtout, elle était jeune. (Je vous ai précisé qu’elle était jeune ? Non parce que tout le monde le lui rappelait sans cesse. Apparemment, ce détail était primordial.)
Lors d’un échange avec son manager au sujet de ses problèmes d’intégration, celui-ci a proposé un conseil afin d’aider notre amie à mieux s’imposer dans l’open-space :
« Et si vous changiez de look ? »
Spoiler alert : le relooking de Marie C. n’a pas été financé par son manager.
Car Marie C. ne « se mettait pas assez en valeur ». Ses compétences étaient sans doute dissimulées par les trois derniers boutons de la chemise…
Le code vestimentaire en entreprise et le sexisme de la cravate
Vous savez quoi ? J’ai cédé*. J’avais à coeur de démontrer que le look n’y était pour rien dans mes problèmes. Par acquit de conscience, j’ai obéi aux sirènes de la mode et je suis allée me faire conseiller en boutique pour trouver des hauts qui « me mettent en valeur » sans pour autant « dévoiler mes atouts », dirai-je avec pudeur.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : les collègues n’ont pas manqué de remarquer mon changement de garde-robe, et ne se sont pas privés non plus pour le commenter. Abondamment. Fréquemment.
J’avais donc réussi à « me mettre valeur », mais mon estime de moi-même décroissait avec leurs commentaires. Je suis donc revenue à une garde-robe plus sobre, confirmant à leurs yeux que j’assumais de « négliger » mon apparence.
Moralité ? On ne pourra pas gagner au jeu du code vestimentaire tant que l’atout sera la cravate. Parce que j’ai bien essayé le port de la cravate, mais sur un 95D, ça fait corde de rappel… Et ça donne un côté strip-teaseuse qui casse un peu l’effet sobre et professionnel recherché au départ.
Oui, voilà, au niveau de l’agacement blasé, on est bien.
*…oui bon, j’ai grillé ma couverture.
Ces conseils à fuir concernant un code vestimentaire
Moralité bis : j’ai appris à me méfier des conseils vestimentaires en milieu professionnel. Si ce n’est pas inscrit au règlement intérieur (et que ce n’est pas une clause abusive), ce n’est pas une obligation. Je fuis désormais les bons conseils à base d’alliance entre sobriété et mise en valeur (LA BONNE BLAGUE).
Comme par exemple, les préconisations publiées le mois dernier, par la dirigeante d’un cabinet de conseil en Ressources Humaines, sur un blog hébergé par France TV infos. Attention, ça pique un peu :
« Quand il fait trop chaud, comment s’habiller au bureau ? »
Ça commence très fort avec la catégorie « si vous êtes une femme ». Spoiler alert : vous êtes mal barrée, puisque VOUS portez la responsabilité de la manière dont vos vêtements seront perçus.
Mais si, voyons ! C’est le harcèlement de rue, level corporate : dans la rue, si tu es en jupe courte, tu cherches les ennuis. Au bureau, si tu portes un décolleté, tu cherches les emmerdes.
Mesdames, en milieu professionnel, vous veillerez donc à « éviter les trois erreurs suivantes » :
1. Porter des robes ou des hauts avec des décolletés trop ouverts 2. Éviter les robes ou les jupes trop courtes 3. Porter des vêtements transparents
Le sexisme flagrant de ces « conseils » a naturellement été relevé dans les commentaires du billet :
« Quand on compare vos conseils aux femmes et aux hommes, on voit bien que les conseils donnés aux femmes consistent surtout à ne pas se montrer trop sexy, tandis que vos conseils aux hommes manquent d’intérêt. Mais pourtant, allons-y !
Pourquoi une telle différence entre les tenues des femmes et des hommes ? Pourquoi vous ne dites pas par exemple qu’il faut éviter les shorts pour les hommes car, nous les femmes-collègues, on risque d’être très très mal à l’aise en réunion à voir ces belles gambettes poilues ?
Qu’il faut éviter les chemises mouillées, car ainsi moulantes et un poil transparente, les collègues-femmes risquent de passer leur temps à mater ces beaux torses ? Pas d’exemple non plus d’un Philippe / Marc / Pablo qui aurait honteusement rangé dans son placard sa chemise moulante car il s’était senti gêné pendant toute la journée, sous les regards de ses homologues féminines ? Ben non, parce que les corps des hommes ne sont pas considérés comme ceux des femmes.
En gros, on tombe toujours dans le même cliché sexiste : une femme qui dévoile trop son corps aguiche, met mal à l’aise, attire forcément le regard des hommes, eux-mêmes victimes de son comportement. Ben oui, elle n’avait qu’à pas mettre des vêtements aussi serrés, Valérie ! Elle était toute penaude et a dû ranger dans son placard son beau chemisier.
Est-ce que le problème venait de sa tenue ou du fait que ses collègues auraient dû être remis à leur place ? Est-ce vraiment elle la fautive, ou le regard des autres et cette société rétrograde qui pèse sur la manière dont les femmes s’habillent ? »
L’auteure s’est maladroitement défendue de tout sexisme, en ajoutant une mise à jour à la fin de son billet :
« En tant que femme, mon objectif n’a jamais été d’écrire un article « sexiste » bien sûr. […] Les jugements entre collègues peuvent être désobligeants voire blessants envers ceux et celles qui ne respectent pas ce dress code : libre à chacun de le respecter ou non, encore faut-il être conscient de la possibilité d’un jugement de la part de l’entourage. Le but de cet article était de faire prendre conscience de ce sujet. »
Dites-donc, nous voilà bien avancées. Merci de « la prise de conscience », mais globalement, on est au courant, puisque nous sommes jugées environ tout le temps, que nous subissons des commentaires de validation ou de critique de notre apparence de manière récurrente.
Vous savez quoi ? Il reste un mystère dans l’histoire, non élucidé à ce jour et qui m’intrigue profondément. Si vous avez la réponse, je suis toute ouïe :
À quoi sert la cravate ?
Je veux dire, ce vêtement a-t-il un but, une utilité, quelque chose qui rachète son incofort, son prix, la galère de ses noeuds ? Je pose la question.
Et toi, es-tu soumise à un code vestimentaire explicite ou implicite sur ton lieu de travail ? As-tu déjà senti ou subi la pression de ton entourage professionnel par rapport à ta manière de t’habiller ? Viens en parler sur le forum !
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Les Commentaires
Sinon, dans le cadre pro il y des choses que je ne ferais pas, comme mettre un décolleté très plongeant ou une jupe très courte. Pour moi, ce sont des tenues pour sortir, voir mes amis... En fait, j'essaye d'être le plus neutre possible, tout en respectant mes envies. Mais ça ce sont mes choix, et ils ne concernent que moi. Les autres font bien ce qu'ils veulent.Quand je suis gênée par la tenue de quelqu'un, j'essaye de comprendre pourquoi. Du coup, ça fait réfléchir à beaucoup de choses : qu'est-ce que la vulgarité, pourquoi je n'ai pas envie de voir un bout de fesse ou de sein. La plupart du temps, c'est surtout que MOI je ne le ferai pas et que donc je projette MES envies sur les autres.
J'ai bien conscience que chacun doit pouvoir s'habiller comme il l'entend sans être jugé, qu'une fille en mini-jupe où un homme en short ne sont pas moins pros que celles et ceux en tailleur ou autres, mais parfois, je trouve ça limite. Nous ne devons pas avoir honte de notre corps, mais est-ce une raison pour l’exhiber ? Il me reste surement encore des "restes" de cette éducation sexiste et moralisatrice, mais je n'arrive visiblement pas à m'en détacher.