Le chômage est une maladie honteuse. Une ignominie qui ne peut arriver qu’aux autres, à ceux et celles qui n’ont pas compris comment ça fonctionnait et qui n’ont pas su se préparer en conséquence. Un truc pour les faibles et les parias. C’est bon pour ceux qui n’ont pas les épaules, qui ont oublié d’être combatifs, qui ne savent pas s’y prendre. Ce n’est définitivement pas pour moi.
« C’est la crise, on doit faire des économies »
Ça, c’est ce que je croyais il n’y a pas si longtemps. J’y croyais même dur comme fer. C’est beau la naïveté, pas vrai ? En même temps, je vois pas comment j’aurais pu penser autre chose : j’avais un job. J’en avais même eu plusieurs depuis la fin de mes études. Certes, je n’ai jamais réussi à faire exactement ce que je voulais pour gagner ma vie, mais je m’assumais. Je ne m’étais jamais retrouvée sans emploi plus de 24 heures. J’étais indépendante. Je gagnais ma croûte. C’est bien la preuve que j’avais raison, et que le chômage, c’était certain, ne passerait jamais par moi. Je me répétais cette phrase comme un mantra le matin en me barbouillant allègrement de terracotta dans ma salle de bains trop sombre. Apparemment, j’avais réussi à me convaincre, vu que j’y croyais encore quand la directrice m’a convoquée dans son bureau pour m’annoncer solennellement qu’elle ne pouvait pas me garder.
– « C’est pas toi, Almira. C’est la société, la crise. On doit faire des économies. Tu comprends ? Mais ne t’inquiète pas, tu t’en sortiras, j’en suis sûre », m’a-t-elle dit avant de claquer la porte de son bureau sur mon nez interloqué.
Merde alors, je venais de me faire lourder comme une vieille chaussette par le monde du travail ! Moi ! Ça ne pouvait être qu’une erreur. Comme je l’ai dit, le chômage, cette infamie, c’était bon pour les autres, pas pour moi. Moi j’avais des diplômes, des expériences, des compétences. J’avais un CV bien rempli, j’avais fait mes preuves. Tout ça ne serait qu’une histoire de quelques jours, que dis-je : de quelques heures !
Le chômage ? Ce ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir, voyons
C’est donc le coeur léger que j’entrepris d’escalader le mont Pôle Emploi, et d’affronter les épreuves des dossiers incomplets puis perdus, des conseillers qui éclatent d’un rire nerveux au simple énoncé de mes diplômes et de l’atelier de rédaction de lettres de motivation. Après tout, ces mines grises et déconfites, je ne ferai que les croiser. Demain, tout irait mieux.
Je décidai même de m’offrir le luxe de sélectionner soigneusement les offres auxquelles je répondrais, et de passer plusieurs heures sur chaque candidature. J’avais décidé de me rendre hyper désirable. Je voulais que les employeurs se pâment devant moi et qu’ils se bousculent à mon portillon. Je valais au moins ça. Le monde du travail ne tarderait pas à s’en apercevoir…
Sauf que les choses ne se passent jamais comme on l’espère, et évidemment, devant mon portillon, à part un formulaire d’adhésion au Front National, une relance d’EDF et un tract des témoins de Jéhovah, on ne trouvait pas grand-chose. Au mieux, je recevais de temps en temps une lettre de refus aussi type que laconique, et je me retrouvais en entretien à me vendre à un recruteur qui avait l’air de se foutre comme d’une guigne de ce que je pouvais avoir à lui offrir. Maigre butin. Je décidai alors d’être moins sélective, et d’augmenter encore un peu mon rendement. Mais les lois de la recherche d’emploi étant ce qu’elles sont, plus je m’activais, moins j’avais de retours et plus l’ombre de la précarité assombrissait mon avenir.
L’unique objectif : une embauche à tout prix
C’est à ce moment que la panique s’empara de moi. Le chômage était finalement bel et bien passé par moi. Il avait fait même plus que passer : il s’était bien confortablement installé, avait sorti le seau de popcorn et se délectait de ma situation. Ce n’était plus cette chose sale réservée aux paumé-e-s ; j’avais les deux pieds dedans, et plus je me remuais, plus j’avais l’impression de m’enfoncer. J’étais prise à la gorge, il fallait que je sorte de là, et à tout prix. Je ne pouvais plus pinailler, ni même choisir ou prendre le temps de réfléchir. Sinon, je deviendrais aussi triste que ces âmes en peine que je croisais dans la file d’attente du Pôle Emploi, et ça j’étais pas prête à m’y résigner.
Alors, avec l’énergie du désespoir, je me mis à envoyer des CV comme une forcenée, sans même prendre le temps de réfléchir à ce que j’envoyais ni au destinataire. Je ne faisais que ça. Je répondais à tout et n’importe quoi. J’envoyais des candidatures spontanées à toutes les Pages Jaunes, c’était n’importe quoi : vendeuse, caissière, chauffeur poids lourd, élagueur de platanes, traductrice sino-russe, mannequin cabine, ouvrière en abattoir, ingénieur du BTP, webmaster. Je ne savais même plus ce que je faisais, je savais juste qu’il fallait que je le fasse.
Et un jour, enfin, mon téléphone sonna. Une entreprise, à laquelle je ne me rappelais même plus avoir envoyé un CV, cherchait une secrétaire comptable à mi-temps et voulait savoir si j’étais disponible pour un entretien. Tant pis si je m’y connais à peu près autant en secrétariat qu’en maçonnerie. Tant pis si la vue d’un tableur Excel me file la nausée. Tant pis si je ne suis pas fichue de faire la différence entre le crédit et le débit. Évidemment que j’étais disponible pour un entretien !
– Suite au prochain épisode de notre série La petite vie (pro) d’Almira !
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Les Commentaires
je galère entre le CSP contrat de sécurisation professionnelle ou comment sortir de la précarité! et le pôle emploi qui me vire l'indemnité pour un jour mais qui me redemande de justifier le mois d'après après des papiers qu'ils ont déjà pendant que moi j'attends mon "indemnité" comme je l'ai fait depuis un an avec mes salaires...
J'ai l'impression que j'en verrai pas le bout et çà fait seulement un mois... c'est grave?!