Trente ans après l’arrivée fulgurante du Viagra, une crème topique promettant d’améliorer l’excitation sexuelle féminine fait enfin son entrée sur le marché américain. Elle s’appelle DARE to PLAY, coûte dix dollars par utilisation et s’applique dix minutes avant un rapport. Même molécule que le Viagra, même principe d’action : augmenter le flux sanguin dans les tissus génitaux pour amplifier les sensations.
Alors pourquoi ce délai vertigineux entre la petite pilule bleue et cette version féminine ? Est-ce la science qui patinait, ou la société qui a traîné des pieds ?
La révolution Viagra n’a pas eu son équivalent féminin
Quand le Viagra a été approuvé en 1998, il a immédiatement changé la donne. Le trouble ciblé était simple à comprendre, simple à mesurer : la dysfonction érectile. Une difficulté mécanique, visible, quantifiable. La molécule, le sildénafil, agissait sur un mécanisme très précis : dilater les vaisseaux sanguins du pénis pour permettre l’érection.
Très vite, le médicament devient un succès planétaire, rapportant des milliards de dollars et installant durablement l’idée qu’un trouble sexuel masculin mérite une réponse médicale rapide, visible et rentable.
Côté femmes, les choses sont vite devenues plus floues. Les troubles sexuels féminins se déclinent en plusieurs catégories (désir, excitation, orgasme, douleurs), et toutes ne relèvent pas des mêmes causes. La recherche, faute de repères clairs et de financements équivalents à ceux mobilisés pour les hommes, a avancé plus lentement.
À cela s’ajoute un moment décisif : dans les années 2010, l’industrie a tout misé sur la flibansérine, parfois surnommée à tort « Viagra féminin ». Elle visait en réalité le désir, pas l’excitation. Son efficacité modeste, associée à des effets secondaires lourds, a refroidi durablement le secteur. Pendant plusieurs années, l’idée même d’un traitement pharmacologique pour la sexualité féminine a été rangée dans la catégorie « trop complexe ».
Pourtant, le trouble d’excitation féminine existe bel et bien
L’étude clinique publiée en 2024 dans Obstetrics & Gynecology le rappelle : certaines femmes présentent un trouble d’excitation génitale très spécifique, appelé FSAD (Female Sexual Arousal Disorder). Contrairement au désir, qui relève davantage des émotions et de la cognition, l’excitation génitale implique une réponse physiologique : afflux sanguin, lubrification, sensibilité accrue.
Ces femmes décrivent souvent la même situation : l’envie est là, mais le corps ne suit pas.
Le sildénafil a pourtant été testé chez les femmes dès le début des années 2000, sous forme orale. Les résultats ont été jugés décevants, avec des effets secondaires importants et une efficacité limitée dans des populations très hétérogènes. Ces échecs ont contribué à enterrer, temporairement, l’idée d’un « Viagra féminin ».
Ce que l’on a longtemps ignoré, c’est que la voie d’administration comptait énormément. Avaler un comprimé expose l’ensemble du corps à la molécule, avec des effets indésirables parfois mal tolérés.
En appliquant localement du sildénafil, le même actif que le Viagra, la crème augmente le flux sanguin dans les tissus vaginaux et clitoridiens, permettant une réponse plus forte lors des stimulations.
Alors… ça marche ?
Dans la grande cohorte générale, les résultats n’ont pas fait de miracle : pas de différence majeure par rapport au placebo.
Mais dans un sous-groupe très ciblé, celui des femmes souffrant uniquement d’un trouble d’excitation (sans douleurs associées, sans troubles de l’orgasme, sans désir très bas), les résultats sont prometteurs :
- augmentation de la sensation d’excitation,
- amélioration du désir,
- orgasmes plus satisfaisants,
- diminution de la détresse sexuelle.
Ce n’est pas une solution universelle, et Daré Bioscience ne le présente pas comme tel. C’est plutôt un outil pour des femmes dont les symptômes correspondent précisément à ce que la molécule peut cibler : un trouble vasculaire de l’excitation génitale.

Pourquoi alors 30 ans de retard ?
Parce que les troubles sexuels féminins sont multiples
Le Viagra a été développé pour un seul trouble très clair. Chez les femmes, la sexualité mobilise de multiples mécanismes (hormonaux, neurologiques, émotionnels, relationnels) qui se mélangent. Trouver le médicament miracle qui fonctionnerait pour tout le monde était impossible… mais cela n’aurait jamais dû empêcher d’en développer un pour une partie des femmes.
Parce que la recherche sur la sexualité féminine a été sous-financée
Cette réalité est documentée par la communauté scientifique. Peu d’essais, peu d’investissements, peu d’écoute des patientes. Les troubles sexuels masculins, eux, représentaient un marché colossal dès la fin des années 1990. Les femmes n’ont pas bénéficié du même traitement.
Parce que les critères cliniques ont longtemps été inadaptés
Pendant des années, les protocoles de recherche ont regroupé des femmes présentant des troubles très différents, rendant invisibles celles pour qui un traitement vasculaire aurait pu fonctionner. L’étude de 2024 montre que, lorsqu’on isole le bon profil, une réponse apparaît.
En somme : la science n’a pas tant échoué qu’elle a cherché au mauvais endroit.
Une arrivée tardive, mais un signal fort
DARE to PLAY n’est pas encore approuvé par la FDA. La crème est pour l’instant proposée comme médicament composé, disponible à la précommande dans dix États américains.
On est loin du lancement triomphal du Viagra. Mais politiquement, symboliquement, médicalement, cette crème compte.
Elle marque un tournant : celui où l’on commence enfin à considérer la santé sexuelle des femmes comme un sujet de recherche digne d’être financé, étudié, développé. Un sujet qui mérite mieux que des explications psychologiques rapides ou des injonctions à « se détendre ».
Et maintenant ?
La crème ne sera pas la solution pour toutes, mais elle pourrait devenir un outil supplémentaire, enfin adapté à celles qui attendent depuis longtemps une réponse concrète.
Pendant trente ans, on a répété que la sexualité féminine était trop complexe pour être traitée par un médicament. Ce n’est pas vrai. Elle est complexe, oui, mais ce n’est pas une raison pour la laisser de côté.
DARE to PLAY n’est pas la pilule bleue de 2025. C’est le premier rattrapage d’un retard historique. Et peut-être l’ouverture d’un champ de recherche qui, cette fois, ne mettra pas trois décennies à connaître ses prochains progrès.
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