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Amours

Mon séjour improvisé chez cet inconnu dont j’allais tomber amoureuse

Il y a des années, Kalindi a rencontré un grand Allemand lors d’un voyage en Inde. Sur un coup de tête et sans vraiment le connaître, elle partit le rejoindre…

Le soir, si je me couche seule, je programme toujours un réveil à 4h, un à 6h et un à 7h30.

Autant d’horaires auxquels j’ai besoin de me réveiller, pour savoir où je me situe dans la nuit.

Le vertige du temps qui passe

Je suis obsédée par le temps qui passe, au point de regarder l’heure nuit et jour, de me lever plus tôt chaque matin pour grappiller quelques minutes d’éveil avant de bosser.

Je déteste les anniversaires, douloureux rappels que 365 jours sont passés en 10 minutes et que je cumulerai bientôt les cernes de ma mère, la voix de mon père et l’arthrose de ma gardienne.

La notion du temps qui passe m’obsède. D’après ma psy, c’est typique des individus qui craignent la mort.

Si je te précise ça, c’est parce que l’histoire que je vais narrer aujourd’hui a déjà presque 8 ans.

Et j’ai à la fois l’impression qu’elle date de la semaine dernière, tant le moindre détail remue encore avec vivacité dans mon esprit, et à la fois qu’elle est trop lointaine pour m’avoir appartenue.

Comme si désormais cette histoire était la propriété d’une autre femme.

Une grande brune qui me ressemble, mais dont le caractère est plus borné, dont les cheveux sont plus longs, et les hanches moins installées…

Comme si la moi très jeune et la moi d’aujourd’hui étaient deux femmes similaires mais différentes, agitées par les mêmes souvenirs, mais séparées par la temporalité.

Comme si je n’étais moi-même que dans le présent, et que chaque jour qui passe m’éloignait de la moi du présent d’avant.

La douceur des souvenirs

En 8 ans, je suis passée d’étudiante à salariée, j’ai eu au moins 5 jobs différents, j’ai vécu ma plus belle et longue histoire d’amour, j’ai voyagé dans 12 pays différents, subi deux lourdes opérations, perdu mon père, gagné des amis etc.

Le vertige.

Mais heureusement, la douleur du temps qui passe est pansée par la douceur des souvenirs.

Une galerie où il fait bon passer quelques heures de temps en temps.

Galerie que je t’ouvre aujourd’hui pour qu’on se balade ensemble dans l’un des moments les plus doux de toute ma vie.

Partir en voyage sur un coup de tête

J’avais à peine 20 ans quand je me suis débarrassée du monstre qui a grignoté mon adolescence. Après 3 ans à subir ses colères, je me suis retrouvé célibataire, libre d’être légère.

Sur un coup de tête, je pris un billet pour l’Inde et j’embarquai un copain plus jeune que moi dans un road trip d’un mois, sans un guide en poche, sans un renseignement, sans rien.

Nous avions loué un taudis un appartement pour nos 3 premiers jours de voyage, voilà tout.

Chaque jour fut alors une aventure, plus ou moins agréable, qui accéléra notre croissance, à Tom et moi, vers la vie d’adulte.

Loin de nos habitudes, nous vécûmes à 100 à l’heure pour grandir vite en un minimum de temps.

À la fin de cet éprouvant voyage, je fis une rencontre romantique sur un toit en Inde : celle de Fred, un Allemand très grand, sportif et ultra-souriant, premier homme à me plaire depuis ma rupture douloureuse.

Nous passâmes lui et moi quelques heures merveilleuses sur le rooftop de mon auberge, à Pondichéry — structure en béton qui passa donc de « lieu le plus dégueu putain » à « plus bel endroit du monde ».

Quand la nuit recouvrit complètement l’Inde, Fred dut partir choper son vol retour pour Hambourg.

Nous échangeâmes une accolade qui ne trompait pas et signait l’attente mutuelle d’une entrevue future : aucun baiser cette nuit là, mais la sensation d’être à l’aube d’une jolie histoire.

Ça parait très cliché, ultra cucul, mais j’ai le souvenir exact d’avoir eu une prémonition cette nuit-là.

Avant qu’il ne parte, je lui donnai mon adresse mail — Tom et moi avions décidé de ne pas nous servir de nos portables pendant toute la durée du voyage — et l’invitai à m’écrire vite.

Les premières discussions d’une histoire d’amour

Pendant 3 jours, j’ai été à l’Internet coffee du coin dans l’espoir de recevoir un message.

Le 4ème matin, j’avais enfin le mail tant attendu.

Fred m’y racontait son (horrible) vol retour et confiait toute sa tristesse d’avoir quitté une Inde dont il était tombé amoureux, après deux mois à la parcourir.

Je lui répondis immédiatement, et nous passâmes bien 2h à échanger des mails enthousiastes.

Dedans, des suggestions de musique, de films, des confidences sur la famille, l’amour, les études, les voyages. Bref, tout ce qu’on se dit quand on a désespérément besoin d’apprendre à se connaître.

Son dernier message évoqua l’idée un peu folle que je vienne, dès que possible, le rejoindre quelques jours en Allemagne, pour prolonger nos vacances.

Je tressautai sur ma chaise de bureau et couinai sans retenue, au beau milieu d’un café où tous les locaux jugèrent cet emportement d’un mauvais œil.

Trois jours plus tard, mon beau voyage pris fin. Mon partenaire de route, lui, avait encore une semaine de congés qu’il décida de passer à Pondichéry.

Je rentrai donc seule, éreintée par ces dernières semaines un peu folles, où nous avions déménagé tous les deux jours, cavalant après le temps.

Partir rejoindre un inconnu

Une fois arrivée dans un Paris privé de romance, qui me sembla invivable de banalité, je dis à ma mère, avec la même supplication dans le regard que lorsque je désire une paire de sneakers :

« Maman, j’ai rencontré l’homme de ma vie. Je le sais. Il faut que j’aille le voir. »

Très téméraire, ma mère, ne s’inquiéta pas le moins du monde et trouva même cette nouvelle fantaisie tout à fait amusante.

Elle me prit donc un billet pour Hambourg. Le lendemain, à 9h30, j’étais dans l’avion. 

Au décollage, je fus prise d’une angoisse terrible.

Et si nous n’avions en réalité rien à nous dire ? Et s’il ne me plaisait pas, en fin de compte ? Et s’il s’agissait d’un serial killer, d’un obsédé de la gâchette ?

À l’atterrissage, j’appelai ma mère :

« Maman, qu’est ce que je fous là putain ? Je le connais pas en vrai, bordel de merde. Pourquoi tu m’as laissée partir rejoindre un parfait inconnu ? »

Ma mère répondit :

« Écoute, tu as voulu partir, tu te démerdes maintenant. J’ai autre chose à faire. »

Avant de raccrocher pour finir sa tarte fine aux tomates et à la moutarde.

Calmée par cette attitude désinvolte, je marchai calmement vers la sortie, mon bagage cabine à l’épaule.

Au sortir du terminal, un monde fou attendait les passagers du vol Paris-Hambourg.

Mes yeux roulèrent de gauche à droite pour reconnaitre le visage ami dans la foule. Des gouttes de sueur coulaient de mes aisselles à mes hanches découvertes.

Je pris soudain peur que Fred trouve ma robe outrageuse — en tout cas trop outrageuse pour un vol Paris-Hambourg…

Des retrouvailles heureuses

Enfin je le vis, aussi souriant que sur notre rooftop, un bouquet de pivoines à la main, et mes doutes se dissipèrent. Ses joues étaient aussi vives que les fleurs, signe qu’il était tout autant (voire plus) stressé que moi.

Notre accolade pleine de sueur apaisa le stress commun.

En quelques secondes, ma peur disparu totalement, laissant place à une hilarité étonnante.

Je ris jusqu’à la voiture, surprise d’avoir osé faire confiance à mon instinct.

Fred était heureux, à l’aise, et amoureux.

Dans la voiture, il lança un son dont il m’avait parlé par mail, et me confia qu’il lui arrivait d’être DJ quand il ne donnait pas des cours de skate pour payer ses études.

Il était trop parfait pour être réel. Et lui semblait penser la même chose de moi.

Nous retrouvâmes la complicité née sur le rooftop en si peu de temps que j’oubliai même d’envoyer un message à ma mère pour lui préciser que tout se passait bien !

Fred me conduisit jusqu’à Kiel, ville portuaire collée à Hambourg, où il partageait un appartement avec deux colocs : un grincheux tatoué des pieds à la tête qui se levait la nuit pour jouer à WoW, et une petite Suédoise au nez retroussé qui parlait 6 langues.

Je devins immédiatement très pote avec les deux, bien que l’anglais du gamer soit aussi mauvais que mon allemand.

La coloc du bonheur était séparée en plusieurs pièces, toutes décorées et rangées avec soin dans un style très nordique, rompu par des dizaines de planches de skate qui servaient d’étagères à des bouquins… sur le skate !

Vivre en accéléré avec mon coup de foudre

La cuisine de la fenêtre donnait sur un toit où nous passâmes une partie de nos vacances à boire du vin en prenant le soleil.

Deux heures après mon arrivée, Chris me prépara sa pizza légendaire, qu’il me refit à peu près 100 000 fois dans les mois qui suivirent : tomates, jambon espagnol et surtout beaucoup de roquette.

Nous la mangeâmes, stressés mais pressés de passer aux étapes suivantes.

Ainsi, dans le bordel organisé de sa chambre d’ado attardé, et dans la tiédeur de la fin d’après-midi, nous échangeâmes un premier baiser qui avait un petit goût de roquette.

Le premier d’une longue série, car mon voyage s’éternisa. Les 3 jours se transformèrent en 5, puis en 8.

8 jours où nous passâmes par toutes les étapes, trottant, comme toujours, après une horloge bien cruelle.

Je rencontrai donc TOUS ses amis, ses parents, son frère ; il me fit visiter Hambourg, je fumai trop de clopes dans le club où il mixait, mangeai mille rollmops sur le port, et nous avons même vécu une engueulade dans un biergarten, par peur de « l’après ».

Et « l’après » arriva vite. Il fallut se quitter. 

Avant de partir, j’établis les règles du contrat avec Fred.

Nous étions :

  • Un couple
  • Exclusifs.

Une histoire d’amour qui continue à vivre dans mes souvenirs

Dix jours plus tard, Fred vint passer une semaine à Paris, chez ma mère.

Chacune des deux parties connaissait désormais l’autre, c’était le début d’une nouvelle vie, d’une nouvelle histoire.

Avec Fred, j’ai partagé presque deux années d’une facilité déconcertante.

Après la difficulté d’une relation avec mon ex qui habitait pourtant à 5 minutes à pieds de chez moi, je fus étonnée de constater que les histoires à distance pouvaient être simples.

Tout est simple quand une relation est saine.

Je finis bien sûr par quitter Fred, car mes sentiments s’affadirent et que je finis par tomber amoureuse d’un autre.

Je savais de toute manière, quelques semaines après cette nuit à Pondichéry, que Fred n’était pas l’homme de ma vie, comme je l’avais pourtant clamé à ma mère.

Je ne crois plus vraiment à « l’homme de la vie » de toute manière.

Je crois à la peur viscérale du temps qui passe, je crois au gouffre de l’âge qui pousse les gens à vivre vite et s’aimer fort, même un peu, même un instant. 

Depuis, j’ai eu d’autres hommes dans ma vie, que j’ai aimés avec plus de sagesse, et plus longtemps. La patience de l’âge, peut-être ?

Fred et moi ne nous écrivons presque plus. Le temps a fait son œuvre.

Sa démarche, abîmée par des chevilles qui se cognent, n’amuse plus que ma mémoire.

Mais nos 7 nuits éclairées à la bougie, sur le toit de la cuisine de la coloc de Kiel, existent encore dans la petite maison de mes souvenirs, que j’ai pris plaisir à visiter ce matin pour t’écrire cet article.

À lire aussi : Ces étudiantes à l’étranger pendant le confinement témoignent

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Les Commentaires

8
Avatar de AstridGourdon
26 juin 2020 à 22h06
AstridGourdon
Super article, très touchant, émouvant. Je ressens aussi parfois cette peur du temps qui passe !
0
Voir les 8 commentaires

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