On connaît Ali Wong pour plusieurs choses. Son appétence terrifiante pour les blagues relatives aux fluides corporels, sa présence physique sur scène si particulière, le fait qu’elle fasse profiter de tout cela à son public avec son ventre rebondi de femme enceinte sur scène, entre autres.
Ali Wong revient dans un troisième Netflix Special, Don Wong
Après nous avoir fait mourir de rire dans Baby Cobra et Hard Knock Wife, la comédienne désormais mère de deux enfants est de retour dans son troisième Netflix Special (un format de stand up que la plateforme payante de streaming a inventé), Don Wong.
Amatrices de subtils traits d’esprit, vous ne trouverez peut-être pas ce qu’il vous faut ici : le jeu d’Ali Wong se base sur une vulgarité sans filtre, une impression de transparence totale, et sa capacité à dire sur scène «J’ai rencontré l’intégralité du casting des Avengers, et je veux qu’ils m’éjaculent tous sur le visage » sans pression. On avait peur de s’en lasser au bout de trois opus, mais surprise : c’est toujours aussi subversif.
Ali Wong rêve de tromper son mari
Comme souvent, Ali Wong commence son show par une diatribe sur les inégalités de genre. Comme toujours, elle choisit pour ce faire un sujet complètement timbré : l’absence totale, quand on est une stand-uppeuse hétérosexuelle, de groupies masculines décentes. Cette absence la prive des joies de ses pairs masculins : le sexe avec ses fans. « L’argent, le pouvoir, et le respect », quand on est une femme, n’apportent que des DM flippants.
Et c’est un problème, explique-t-elle, parce qu’elle rêve de tromper son mari toutes les cinq minutes. Rien d’étonnant pour un homme qui aurait son argent, son pouvoir et son statut social, mais un tabou pour elle :
« Les femmes n’ont jamais le droit de se comporter de manière immorale. Mais c’est la seule chose que je veux faire ! »
Les spectacles d’Ali Wong tournaient déjà autour de son mari, ses enfants et sa vie sexuelle. Deux césariennes et quelques millions de dollars plus tard, il semblerait — elle l’annonce à l’audience avec l’air énervé — que la comédienne asio-descendante se soit transformée en un homme blanc de 50 ans. La preuve : on lui a récemment prescrit une coloscopie, et elle a envie de se taper la Terre entière. Ce sera le fil rouge de l’heure de blagues qui suivra.
Ali Wong est un homme blanc de 50 ans
Sur scène ou dans les writing rooms, l’humour américain des décennies qui nous précèdent a été dominé par ces hommes blancs d’une cinquantaine d’années. Et parmi les blagues phares dont ils ont abreuvé la pop culture se trouve le pinacle de l’humour de l’ère des boomers : le classique « I hate my wife », je déteste ma femme.
Mais si, vous savez, ce ressort comique qui consiste à dépeindre les femmes comme des personnes chiantes, râleuses, toujours sur le dos des hommes à leur demander des choses insupportables comme communiquer de manière saine, passer du temps avec elles et faire leur part des tâches domestiques. Dans Les sentiments du Prince Charles édité en France chez Rackham, la bédéiste Liv Störmquist y fait référence ainsi :
Désormais l’égale — en terme de métier et de privilège financier — de ces hommes, Ali Wong reprend leurs procédés, les secoue, et se les approprie. I hate my wife devient :
« Comme les gens célibataires, j’ai été libre un jour. Et puis, comme une abrutie, j’ai proposé à ce mec d’aller en prison ensemble, et maintenant je suis dans la cellule de la monogamie et je ne sais pas comment en sortir ! »
Mais une question se pose : si ce schéma humoristique nous a gonflées pendant des années, y a-t-il un intérêt quelconque à voir une femme le reproduire ? I hate my husband vaut-il mieux que I hate my wife ? Et surtout, est-il possible d’arrêter de nous vendre, en boucle, le même schéma hétérosexuel et dysfonctionnel ?
Il y a de quoi soupirer à entendre « les hommes » d’un côté et « les femmes » de l’autre, dans des généralités immenses où tout le monde est hétéro, en 2022. Et pourtant, la sauce prend et on rit avec Ali Wong.
C’est la magie du stand-up : l’impression que la comédienne se livre sans aucune fiction nous fait réaliser à quel point il est encore rare et subversif de voir une femme mariée et une mère raconter sa vie et déchirer en lambeau le mythe de la douceur et du sacrifice familial en criant toutes les vulgarités qu’elle aimerait faire avec Michael B. Jordan.
Ali Wong n’est pas une « bonne personne », et ça change tout
En tant qu’asio-descendante, Ali Wong démonte aussi dans chacun de ses spectacles le mythe de la « minorité modèle » qu’on impose aux personnes perçues comme asiatiques dans le monde occidental. Ce préjugé veut qu’elles soient travailleuses et discrètes, entres autres stéréotypes racistes. Dans Complex, le journaliste Kevin Wong écrit ainsi :
« Ca fait du bien de rire avec une femme asiatique qui se montre, avec ses défaut et sans besoin d’autocensure pour se rendre présentable, ou devoir d’être en phase avec les conceptions des autres de ce qu’elle devrait être. »
Présentable, Ali Wong ne l’est ni quand elle raconte comment elle a oublié de faire caca pendant 6 semaines, ni quand elle parle de se toucher devant Aquaman. Mais elle est elle-même, libre, et crie sans fards qu’elle n’est pas une bonne personne. Le spectacle se termine d’ailleurs sur une déclaration d’amour à son mari, qui lui permet d’être elle-même, et de gagner sa vie en racontant sur scène à quel point elle a envie de le tromper.
C’est drôle, c’est cringe, c’est sûrement un peu moins réussi que ses deux derniers Netflix Specials, mais c’est toujours aussi subversif : on se sent plus libre, après avoir regardé Don Wong !
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Crédit photo de Une : Netflix.
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Les Commentaires
Si le but est de dénoncer un double standard en renversant les codes (comme certains courts-métrages le font très bien pour dénoncer le harcèlement de rue par ex), pourquoi pas, mais là, pour reprendre la vanne sur le cast d'Avengers ("J’ai rencontré l’intégralité du casting des Avengers, et je veux qu’ils m’éjaculent tous sur le visage", je ne vois pas en quoi c'est moins réifiant et sexiste que si un mec avait fait la vanne dans l'autre sens.
Je n'ai rien contre l'humour trash, mais plus le temps passe et moins ce genre de vanne me fait sourire, que ça vienne d'un homme blanc de 50 ans ou une femme asiatique plus jeune. La trentaine, et on se sent vieille conne, parfois!