À travers cette tribune, nous, femmes et minorités de genre asiatiques engagées dans le courant asio-féministe, amplifions nos voix pour une société et une pensée égalitaire décoloniale*. Nous écrivons ces mots pour déverser nos indignations et montrer notre volonté d’ériger un système où les injustices sociales n’existeront plus.
Nous dénonçons la recrudescence d’actes racistes à l’encontre de certaines communautés asiatiques et nous militons également à la mémoire de nos aînées asio-américaines qui s’appelaient Xiaojie Tan, Daoyou Feng, Soon Chung Park, Suncha Kim, Hyun Jung Grant, Yong Ae Hue et qui ont été tuées mardi 16 mars 2021 à Atlanta en Georgie, aux États-Unis.
Ce drame bouleversant a libéré la parole des Américain·es asiatiques pour dénoncer racisme, sexisme et violence de classe qu’iels subissent depuis plus d’un siècle.
En tant que femmes et minorités de genre asiatiques françaises, cet événement nous touche particulièrement car depuis plusieurs années, certaines personnalités des communautés asiatiques françaises militent pour démonter ce mythe de la minorité modèle qui nous a été imposé et dénoncer la fétichisation et le racisme que nous subissons en France.
Parce que nos corps sont politiques, le projet #Asidentités a pour volonté de représenter les femmes et minorités de genre asiatiques dans toute leur splendeur et leur singularité.
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Parce que nous sommes constamment invisibilisé·es dans les espaces publics et les médias, déformé·es dans la culture et les institutions sociales, nous cassons cette représentation de monobloc homogène.
À travers ce projet, porté par Sororasie, nous avons décidé de croire en notre agentivité*, de nous revendiquer en tant que sujets politiques, de nous empouvoirer et de réoccuper l’espace.
Notre auto-organisation nous a permis de créer nos propres narrations, nos propres représentations
avec pour intention de s’émanciper du white male gaze*.
Ce sont nos voix, nos corps, nos visages qui investissent l’espace public français. Nous revendiquons nos multiples et diverses identités, riches des héritages et cultures prenant racine dans l’ensemble du continent asiatique et pas uniquement dans les pays des populations asiatiqueté·es*.
Nous ne tolérons plus d’être perçues de façon stéréotypée, d’être fétichisé·es, hypersexualisé·es et rangé·es dans le spectre de la minorité modèle. Ce mythe a été créé par les politiques coloniales et racistes et s’est ancré dans nos sociétés occidentales. Il a notamment façonné la perception des personnes asiatiques dans l’imaginaire collectif comme des individus dociles, afin de les catégoriser comme de « bonnes personnes racisées », et ainsi créer une division au sein des minorités racisées.
Il faut dissoudre ce mythe de la minorité modèle parce que les stéréotypes tuent, ils nous obligent à nous conformer, et à nous taire.
Nous dénonçons la domination blanche qui hiérarchise et catégorise les personnes en fonction de leurs origines, et qui nous oblige à nous assimiler à une culture plutôt que de proposer une réelle pluralité culturelle. Nous dénonçons l’hégémonie blanche, qui perpétue un racisme systémique et structurel au sein de la société occidentale.
Nous, femmes et minorités de genre asiatiques, subissons le racisme au quotidien. Nous en avons assez d’entendre « pakate », « poundé », « pakpak », « chintok », « chinoise », « yeux bridés », et dernièrement « Coronavirus ».
Nous en avons assez d’être invisibilisé·es, ou d’être considéré·es et perçu·es comme des êtres exotisé·es. Nous en avons assez d’être considéré·es comme des êtres interchangeables.
Nous en avons assez de l’appropriation de nos histoires, de nos cultures et coutumes à des fins mercantiles et de mode.
Nous sommes celleux qui doivent raconter nos passés et nos histoires. Nous n’accepterons pas d’être obéissant·es, soumis·es et silencieux·ses.
Nous appelons à un féminisme intersectionnel* qui situe l’injustice anti-asiatique au sein de la société patriarcale, blanche, capitaliste et hétéro-normative.
Un féminisme intersectionnel qui prend en compte les autres systèmes d’oppression tels que la transphobie, le sexisme, les rapports de classe, la psychophobie, le validisme, la grossophobie, et toutes oppressions qui s’articulent autour du racisme.
Nos revendications doivent être collectives et nécessitent une profonde réorganisation de la société. Une solidarité collective ne sera possible que lorsque l’on reconnaîtra nos différences : la diversité de nos modes de vies, de nos cultures, de nos expériences, de nos déterminismes sociaux, de nos souffrances, de nos traumatismes, de nos besoins et de nos exigences.
Il existe une pluralité de récits qui peuvent coexister et se réunir afin de créer un nouveau paradigme.
Nous appelons à l’espoir et à la solidarité. C’est ainsi que nous imaginons nos futurs. Nous voulons des futurs où nous ne serons plus fétichisé·es. Nous voulons des futurs où nous ne serons pas enfermé·es dans le mythe de la minorité modèle. Nous voulons des futurs où nous ne serons plus vu·es comme la minorité silencieuse et soumise au western gaze/regard occidental. Nous voulons des futurs où nous serons représenté·es d’une manière digne et étincelante. Nous voulons des futurs où nous pourrons être asiatiques avec fierté et force. Nous voulons des futurs où nous serons libres de rayonner dans toute notre singularité. Nous voulons des futurs où l’égalité ne soit pas qu’un espoir, mais une réalité.
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- Pensée décoloniale : pensée qui dénonce une décolonisation incomplète dans laquelle les hiérarchies raciales, économiques et de genre persistent. Elle remet en cause l’eurocentrisme et dénonce une hégémonie économique et culturelle blanche, ainsi que la maintenance des rapports de pouvoirs entre les anciennes métropoles et anciennes colonies.
- Agentivité : Faculté d’action d’un être. Sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, iel-même.
- White male gaze : le regard blanc masculin désigne le fait que la culture visuelle dominante (magazines, photographie, cinéma, publicité, jeu vidéo, bande dessinée, etc.) imposerait au public d’adopter une perspective d’homme hétérosexuel. Ce concept a été proposé par la critique de cinéma Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema publié en 1975.
- Asiatiquetage : Défini dans le glossaire du site Femin/Asie, l’asiatiquetage est un mot-valise qui correspond au fait d’être perçu.e (étiqueté.e) comme asiatique selon certains critères physiques : posséder une certaine forme d’yeux, une certaine forme de visage, avoir des cheveux noirs et lisses, etc. Dans l’inconscient collectif, être asiatiqueté.e revient également au fait d’être perçu.e comme chinois.e. Certaines personnes asiatiques en France ne sont pas « asiatiquetées » en raison de l’histoire coloniale française. Par exemple, les personnes originaires d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh et des pays d’Asie du Sud et d’Ouest ne sont pas toujours perçues comme asiatiques en France mais sont considérées Asians au Royaume-Uni.
- Féminisme intersectionnel : notion créée par la théoricienne afro-américaine Kimberlé Crenshaw.
- Western gaze : désigne la perception dominante occidentale sur l’Orient. Mis en lumière par l’universitaire Edward Saïd dans son essai L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident publié en 1978.
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