Vous êtes-vous déjà rendue en institut pour un soin du visage ou un massage ? Pour des questions de budget et/ou par peur d’être jugées parce qu’elles présenteraient un corps qui ne correspondrait pas aux normes de beauté dominantes, beaucoup de personnes répondront « non » : elles ne vont jamais dans des instituts esthétiques.
Cela peut être le cas par exemple si l’on est de forte corpulence, une femme qui ne s’épile pas, ou encore une personne trans : recevoir des remarques désobligeantes peut tout gâcher, voire s’avérer traumatisant. Mais encore faut-il pouvoir arriver jusque là, puisqu’on peut aussi être refoulée dès l’entrée…
Comme s’il fallait déjà être belle, ni trop grosse, ni trop poilue, ni trop marquée, ni trop masculine pour avoir le droit à un soin, qu’on paye pourtant, auprès de ces lieux construits comme autant de machines à conformer à la vision blanche, mince, cishétéronormative de LA beauté. Et à complexer celles et ceux qui y échappent.
Maison Bergamote, un institut inclusif de bien-être à l’opposé du marché de la beauté
C’est notamment contre ces raisons que Yann, qui se présente plus volontiers comme « Tata Bergamote, la pédale à la main douce et à la poigne ferme », a lancé son propre espace, comme il l’explique dans une vidéo de présentation :
« C’est un institut de massage et d’esthétique inclusif et politisé. Je vais à contre-courant de ce qui est pratiqué dans le domaine du bien-être.
Ce milieu s’adresse principalement à une clientèle aisée répondant aux stéréotypes de la femme “féminine” cisgenre blanche, sans poils, sans graisse, sans cicatrices. Les personnes qui ne répondent pas à ces critères sont souvent mal accueillies ou refusées.
Politisé, car je milite pour ouvrir ce secteur aux personnes qui en sont exclues. Je propose un espace le plus libre possible des systèmes d’oppression que sont le sexisme, l’homophobie, la transphobie, le racisme, le validisme et la grossophobie. »
Chez Maison Bergamote, des soins humains, personnalisés, jamais intrusifs
Après avoir travaillé dans des milieux très normés que peuvent être les ressources humaines et la banque, Yann a fait une reconversion professionnelle en esthétique et massage, et bossé dans un spa, puis un salon. À force de constater à quel point ce domaine peut être une excluante machine à conformer, il a mûri l’idée de lancer son propre espace, bienveillant et inclusif, à Paris.
Après avoir ouvert une page Instagram où il recensait tout ce qu’il n’allait pas et pouvait être évité ou amélioré dans le domaine, il a d’abord rodé son concept en se déplaçant lui-même chez les personnes qui lui réservaient une prestation. Et depuis début 2021, il loue un appartement dans le 18e arrondissement de Paris qu’il a changé en chaleureuse Maison Bergamote.
Via Instagram idéalement (voire Messenger, téléphone, ou e-mail si besoin impérieux) on peut donc facilement choisir une à deux prestations, toutes à tarif libre (qu’on paiera après les soins). On reçoit alors un mini-questionnaire pour connaître le minimum afin que tout se passe bien : nos pronoms, nos allergies, et les éventuelles zones du corps à ne pas toucher.
Comment se déroule un soin chez Maison Bergamote, l’institut inclusif de bien-être ?
Le jour J, Yann vous accueille avec un thé, un café, ou de l’eau, vous explique tranquillement sur le canapé comment le soin va se dérouler, puis vous laisse vous changer et vous installer sur la table de massage sans vous regarder.
Celle-ci s’avère beaucoup plus large (plus de 90 cm) que la moyenne et supporte jusqu’à 1250 kg, sans grincer.
Yann s’occupe alors de vous avec des huiles végétales, des eaux florales, et argiles cultivés et produits exclusivement en France, et même bio pour la plupart. Ces ingrédients sont choisis et mélangés en fonction des besoins de votre peau, et d’une odeur qui vous convient bien.
Personnellement, j’ai choisi « Dimanche Descente » : un soin du visage, suivi d’un massage des mains ou des pieds, puis un massage du dos, pour une durée totale d’une heure.
En tant que survivant, j’ai longtemps été réticent à l’idée d’être massé par quelqu’un — surtout une personne inconnue, a fortiori un homme. Mais j’ai particulièrement apprécié que Tata Bergamote prenne le temps de décrire comment tout allait se passer, ce qu’il allait toucher et ne pas toucher, pour qu’il n’y ait aucun malentendu, aucune (mauvaise) surprise.
Prendre soin des exclus des instituts esthétiques conventionnels
Tata Bergamote m’a alors expliqué l’importance d’autant de pédagogie :
« Dans les instituts conventionnels où je travaillais avant, ça m’est déjà arrivé d’avoir des personnes qui ne voulaient pas être massées par un homme. Mais les personnes qui viennent me voir n’ont pas de réticences particulières quant à mon genre. Car elles me voient peut-être moins comme un homme que comme un “pédé”.
Beaucoup des personnes qui viennent me voir font partie de la communauté LGBTI+. Les ¾ des personnes que je masse ne l’ont jamais été de leur vie. Elles se sentaient exclues du monde de l’esthétique traditionnelle. Alors je fais mon maximum pour que leur première fois se passe au mieux. Et c’est sûrement pour cela qu’elles reviennent souvent, ensuite. »
J’ai également été agréablement surpris de constater que le gros quart d’heure d’explications préalables n’a pas été décompté de l’heure de soin programmée (et non, ce n’est pas parce que j’étais journaliste : les plages horaires de rendez-vous sont voulues ainsi, donc prévoyez peut-être d’y rester une quinzaine de minutes en plus du créneau booké).
Ainsi, puisque Tata Bergamote avait pris le temps de me mettre à l’aise avant le début officiel de la prestation, ça n’a fait qu’en décupler mon bien-être. Après quoi, j’ai pu me rhabiller en toute intimité, puis payer ce que je pouvais et voulais (en espèces, Lydia, chèques, ou virements bancaires). Cette politique du prix libre permet même aux personnes les plus précaires d’accéder à ce type de parenthèse esthétique pouvant tant apporter à l’estime de soi.
Bientôt un collectif de masseuses et masseurs esthétiques engagés ?
C’est donc une belle initiative qui mériterait d’être rendue accessible ailleurs qu’en Île-de-France. Tata Bergamote le pense également :
« J’adorerais pouvoir ouvrir le premier spa LGBTI+, mais ça nécessiterait d’avoir une équipe et donc de ne plus pouvoir pratiquer le tarif libre afin de pouvoir rétribuer tout le monde de manière juste et régulière.
En revanche, ce qui peut être plus facile à mettre en place, ce serait de former une sorte de collectif avec d’autres masseuses et masseurs esthétiques engagés. Comme une coopérative où chacune et chacun serait à son compte, mais respecterait des principes communs d’inclusion, pour que dans une plus large partie de la France ou plus, on puisse faire vivre l’expérience Bergamote. Prendre soin de vraiment tout le monde, tous les corps. »
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Crédit photo de Une : pexels-daria-liudnaya-8166408
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