Je me sens enfin capable de parler de quelque chose qui a complètement changé ma vie, qui l’a vraiment remise en question du début à la fin.
C’est un accident que j’ai eu en septembre 2017 et dans lequel j’aurais bien pu mourir.
Le jour où j’ai failli mourir
Je pratique l’équitation depuis que j’ai 5 ans. C’est ma passion, dans laquelle j’ai entraîné mon père qui en avait marre de tenir mon poney.
Je fais de l’équitation western et des randonnées équestres depuis plus de quinze ans, et j’ai la chance d’avoir mon cheval, mon loulou.
Une belle ballade à cheval
Ce dimanche de septembre 2017, on était un groupe de dix personnes, et on est partis en randonnée pour la journée avec nos chevaux.
Je me souviens que c’était une journée particulièrement belle, j’étais avec des amis, mon père, mon cheval, et j’étais bien.
Au moment de rentrer, nous devons traverser une petite portion de route.
Ce n’était pas la première fois que nous le faisions, et je sais que certains automobilistes ne sont pas patients avec nous, parce que, disent-ils :
« Les cavaliers c’est fait pour aller dans les champs pas sur la route. »
Que certains intelligents nous klaxonnent, nous insultent…
Mais étant donné qu’on a que quelques pas à faire pour passer d’un côté à l’autre, le calvaire est de courte durée. Nous descendons de cheval pour traverser à pieds, je tiens les rênes de mon loulou dans ma main droite, il est derrière moi.
Je suis la quatrième personne de la file. Ma monitrice regarde des deux côtés, puis elle s’engage et nous fait passer, en file ininterrompue.
L’accident
Je mets un pied sur la route et je vois une voiture qui arrive. Vite. Je lève le bras gauche pour lui faire de ralentir. Elle continue. Je crie :
« Elle s’arrête pas ! »
Et je vois la voiture qui accélère. Je sens les rênes glisser de ma main droite. J’entends un hurlement. Et puis plus rien. Trou noir.
Quand je reprends mes esprits, je suis de l’autre côté de la route, ma monitrice à côté de moi. Et mon loulou ? Je l’ai laissé derrière moi.
Je suis persuadée qu’il est mort, que la voiture l’a tamponné, que je vais me retourner et le voir étendu dans une mare de sang.
Et puis, je me dis quand même que ça aurait fait du bruit. Alors je me retourne. La voiture est arrêtée bien après l’endroit où je me suis engagée. La jeune fille qui était derrière moi est en pleurs, elle hurle.
Moi, je ne vois pas mon loulou, nulle part, mais je vois cette automobiliste, cette femme dans sa bagnole, alors instinctivement, je me mets à hurler et à courir vers elle.
À ce moment-là, plus rien ne me retient.
Elle démarre et reprend sa route, comme si de rien n’était. D’autres automobilistes, témoins de la scène, notent sa plaque et viennent aux nouvelles.
Et là, sorti de nulle part, je vois mon loulou qui arrive vers moi. Il pose sa tête sur mon épaule et lâche un énorme soupir. Je le serre comme jamais je ne l’avais serré auparavant.
On est en vie sans savoir comment on a fait.
Porter plainte en plein stress post-traumatique
Et puis après, il y a eu le stress post-traumatique. La première nuit, je n’ai pas dormi. J’entendais les voitures et j’avais l’impression qu’elles fonçaient toutes sur moi.
Quand je fermais les yeux, je revoyais la voiture m’arriver dessus et je sentais encore les rênes me glisser des mains. Je tremblais. Tout le temps. Je n’avais pas froid : j’avais peur.
Quand j’ai déposé plainte à la gendarmerie, ils me l’ont joué « good cop/bad cop ».
Le gendarme chargé de mon dossier a été d’une gentillesse infinie et d’un professionnalisme extraordinaire, je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu’il a fait.
L’autre gendarme qui était présent me regardait avec les sourcils froncés, me demandait de répéter, ponctuait mes phrases avec des :
« Vous êtes sûre ? »
Je me suis mise à trembler, j’étais à deux doigts de la crise de panique.
Mon stress post-traumatique : la peur de la mort
Quand mon médecin m’a demandé comment je m’étais sauvée la vie, j’ai répondu que je n’en savais rien.
J’avais extrêmement mal au dos, et mes jambes étaient couvertes de bleus. Arrêt de travail, kiné… Mais surtout, psychologue
.
À cette époque, j’étais déjà en psychothérapie depuis un an, et avant l’accident, je me sentais mieux.
Là, tout était à refaire. Avec le recul, je me demande si ma psychothérapie n’a pas vraiment commencée à ce moment-là.
Plus envie de manger. Plus aucune envie. Juste la peur. Partout, tout le temps. La peur de traverser à un passage piéton. La peur de conduire, avec laquelle même en étant passagère je hurle parce que j’ai peur.
La peur de la mort. Sans arrêt. La mort. Celle qui m’a foncée dessus en voiture. Celle que j’ai évitée de justesse.
Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce qui me serait arrivé si je ne m’étais pas enlevée du milieu ? Je serais morte sur le coup, ou à l’hôpital ?
Percutée à 80 km/h, je ne me fais pas d’illusion, mon corps, aussi costaud soit-il, n’aurait pas résisté… On m’aurait autopsiée ? Et après ? Qu’est-ce qu’il y a après ?
Un havre de paix et d’amour, ou rien du tout ?
Est-ce qu’on ressent quelque chose quand on est mort ? Et mes proches, mes parents, mon frère ? Il aurait dû expliquer à sa fille que sa tante est morte à 25 ans ?
Mon stress post-traumatique : l’insomnie, les cauchemars et la peur du sang
Impossible de trouver le sommeil. À chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais la voiture. Puis l’épuisement m’a faite sombrer dans un sommeil de cauchemars…
Pendant mes études médicales, j’ai dû assister à trois autopsies. Après l’accident, je faisais ce cauchemar récurrent : j’entrais dans la salle d’autopsie et un corps était allongé sous un drap sur la table.
Le prof disait qu’on allait commencer, il enlevait le drap, et c’était moi sur la table. J’assistais à ma propre autopsie. Je me réveillais en sursaut couverte de sueur et je pleurais. Tout le restant de la nuit.
Le stress post-traumatique, certains le comparent à une traversée du désert. En ce qui me concerne, j’ai eu l’impression d’être dans un sous-marin de septembre 2017 à janvier 2019.
Certaines personnes me disaient :
« Oh ça va, t’as rien eu, ton cheval non plus, alors c’est bon. »
Non, c’est pas bon. J’ai eu de la chance, lui aussi, mais c’est pas bon.
De l’extérieur, je suis entière, à l’intérieur, je suis un puzzle. Le genre de puzzle 3000 pièces où tu sais jamais par quel bout commencer, ni si tu le finiras un jour.
J’avais beaucoup de colère. Une colère mélangée à la tristesse, mais je n’arrivais pas à pleurer alors ça me mettait encore plus en colère. Cercle vicieux, histoire sans fin.
Et puis j’ai commencé à avoir des comportements à risques. J’avais frôlé la mort et je me mettais volontairement en danger, sans comprendre pourquoi mais sans pouvoir m’en empêcher.
J’avais perdu plus de cinq kilos, développé une attirance pour le rhum qui me faisait rapidement oublier la peur et la mort.
Je conduisais seule sur des routes de montagne en affolant mon compteur, et la nuit, je me voyais toujours ouverte sur une table d’autopsie…
Quand j’ai pris le temps de me pencher sur ce cauchemar avec mon psy, j’ai dû retourner dans mes souvenirs et revivre ces autopsies auxquelles j’avais assisté.
C’est depuis ça que j’ai peur du sang.
La deuxième avait été particulièrement sanglante, suite à une mauvaise manip, le cœur de la personne avait explosé et du sang avait giclé partout.
Depuis, je ne peux plus regarder un film ou lire un livre où du sang est exposé à un moment ou un autre. Quand je vois quelqu’un saigner en face de moi, je tombe dans les pommes.
Ma guérison et mes prises de conscience sur ma vie
Grâce à la psychothérapie EMDR, j’ai pu traiter mon traumatisme qui n’était que la partie émergée de l’iceberg.
L’EMDR (Eye Movement Desentitization and Reprocessing) est une technique thérapeutique apparue à la fin des années 80 — indiquée généralement en cas de traumatisme et stress post-traumatique.
L’objectif de l’EMDR est de diminuer la « charge émotionnelle » liée à un souvenir traumatique, et donc, par ricochet, d’aider les patients et patientes à améliorer leur quotidien.
Au cours des séances, et après un entretien, le ou la thérapeute propose au patient de se remémorer un souvenir traumatique, associé à une émotion difficile, et applique une stimulation sensorielle par moments.
Par exemple, déplacer rapidement ses doigts devant les yeux de la personne, ou diffuser des sons de chaque côté de la tête.
Cette stimulation permettrait de restructurer l’information dans notre cerveau et de « recoder » le souvenir. Pour en savoir plus sur le processus de la thérapie, une explication est disponible sur le site de l’American Psychological Association.
Cette technique est parfois controversée dans le milieu scientifique, et certaines études s’interrogent sur les fondements scientifiques de la méthode (si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire plus d’informations en suivant ce lien).
J’ai compris que jusqu’à cet accident, je n’étais pas en vie. J’ai toujours fait ce qu’on me demandait de faire comme un bon petit soldat.
J’ai accepté sans broncher que ma famille me force à faire du médical, alors que je n’en avais pas envie.
« Il faut bien un scientifique dans la famille, la science c’est le prestige ! »
Je voulais être comédienne. Je voulais faire du théâtre, de la musique. Étudier la littérature anglaise, la poésie. Au lieu de ça, j’ai dû aller en filière scientifique alors que j’ai toujours eu horreur de ça.
J’étais passive, je faisais ce qu’on me disait de faire pour ne pas faire de vagues, pour ne pas qu’on parle de moi, pour qu’on m’oublie et qu’on ne me voit plus.
Je m’étais oubliée dans ce que les autres attendaient de moi. Je faisais du fitness à haut niveau pour que les autres apprécient mon corps, mes muscles, qu’ils se disent :
« Elle est sportive, elle ne se laisse pas aller. »
Mais l’accident a tout remis en question. Si j’étais morte ce dimanche de septembre 2017, j’aurais tout raté jusqu’à ma mort. J’ai eu une deuxième chance, et je ne compte pas la laisser filer.
Je ne sais pas si on peut dire que je suis sortie du stress post-traumatique, disons qu’il est moins présent. J’ai arrêté le rhum. Je conduis prudemment. Je fais du fitness quand j’en ai envie.
Alors oui, je n’ai plus les muscles dessinés comme avant, mais le fait est que je m’en fous.
Je continue l’équitation, avec mon loulou on est plus soudés que jamais, et on a commencé une nouvelle discipline : le travail à pied.
J’ai créé un blog où je publie mes poèmes, j’ai toujours la folle envie d’apprendre à jouer d’un instrument et de m’inscrire dans un cours de théâtre.
Et surtout, je ne tiens plus compte de ce que les autres peuvent penser de moi. Je sais d’où je reviens et ce à quoi j’ai échappé.
À lire aussi : Le jour où j’ai causé la mort de quelqu’un en voiture
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Les Commentaires
Tout d'abord, merci pour vos messages bienveillants, ça m'a apporté du réconfort, je me suis sentie moins seule
Ensuite, pour répondre à vos interrogations, oui la conductrice a été retrouvée. L'accident ayant eu lieu à proximité d'une caméra de vidéosurveillance, et étant donné que nous avions huit témoins oculaires qui ont tous relevé la plaque, elle a pu être retrouvée... Mais elle a nié en bloc devant les gendarmes. Ils lui ont ensuite sorti l'enregistrement, et il paraît qu'elle ne s'y attendait pas. Elle a justifié son délit de fuite en disant que mon cheval lui avait fait peur parce qu'il s'est cabré devant sa voiture, et qu'après elle a vu qu'elle n'avait tué personne alors elle a jugé que ce n'était pas grave.
Tout ça s'est terminé par ce papier que j'ai reçu :
Un classement sans suite.
Nous avions tous fait des lettres au maire de la commune pour qu'il sécurise la route, car les automobilistes roulent tous comme des cinglés parce que "ça va tout droit" alors ils prennent de l'élan ... Aucune réponse, aucune mesure n'a été prise, pas l'ombre d'un dos d'âne ou d'un radar et même pas de panneau de signalisation "passage de cavaliers" !
La preuve que certains conducteurs n'en ont rien à foutre des cavaliers, c'est que depuis l'accident j'ai été témoin de beaucoup d'actes de débilité profonde. Le plus marquant reste un motard, qui non seulement n'a pas ralenti mais en plus il a penché sa moto pour passer entre deux chevaux.
Mais encore, même certains piétons sont complètement tarés. Nous sommes passés dans un chemin, en pleine forêt, un chemin très étroit au bord d'une forte pente. Un abruti qui faisait son entraînement pour le marathon nous a tous doublé en courant comme un fou au-dessus de nous, donc sur la pente... A un moment il a perdu l'équilibre et il a glissé vers un jeune cheval qui a fait un écart et s'est presque jeté dans le fossé avec sa cavalière. On a eu beau le traiter de tous les noms, il a continué, et quand ma monitrice l'a arrêté, il continuait de courir sur place en disant "je m'en fous de vous, moi il faut que je cours !".
Je crois que lorsqu'on est cavalier, on est obligés de faire attention à tout. Aux voitures, aux piétons, aux gens qui n'attachent pas leur chien, aux vélos qui arrivent derrière à fond la caisse et qui dérapent dans les pieds des chevaux... La liste est encore longue.