Le 16 janvier 2018
Elle raconte ici sa guérison, et témoigne en même temps du quotidien en institut psychiatrique.
Il existe bien des fantasmes sur la clinique psychiatrique.
Si j’avais reçu un euro à chaque fois que l’on m’a posé la question « Alors, Vol au-dessus d’un nid de coucous, fiction ou réalité ? », croyez-moi, je serais déjà en train de me dorer la pilule sur une île déserte aux frais de mes interlocuteurs.
Un séjour en centre psychiatrique
J’ai passé neuf mois en clinique psy, officiellement pour anorexie, officieusement pour rebooter mon cerveau et me soigner suite à un traumatisme.
J’y suis arrivée après que ma famille m’a posé un ultimatum : tout le monde était au bord de la rupture, mon mal être déteignait sur eux. « Tu quittes le foyer, ou tu te fais hospitaliser » : le choix a été vite fait.
Pour rentrer en clinique psychiatrique, on peut passer par son médecin traitant, qui officialise la demande d’hospitalisation : ça fait avancer la procédure un peu plus rapidement.
On peut aussi se rendre aux urgences psychiatriques, qui poussent également la demande d’hospitalisation en fonction de la gravité de la situation. Personnellement, c’est cette deuxième solution que j’ai choisie, parce que je voulais une hospitalisation directe.
On m’a hospitalisée dans une clinique privée à la demande de mes parents, qui connaissaient l’un des psychiatres de la clinique en question, même si au final il n’est pas devenu mon psychiatre, mon traumatisme n’étant pas sa spécialité.
Le but du centre psychiatrique : soigner un traumatisme
J’ai donc pu pendant neuf mois observer une mini société aux mœurs extrapolées.
C’était dur, éprouvant mentalement, mais avant tout nécessaire. Jamais je n’aurais réussi à m’en sortir seule, et je ne remercierai jamais assez le personnel soignant qui n’a pas baissé les bras face à mon mutisme, puis à la violence de mes propos lorsqu’enfin, je me suis décidée à parler.
Là-bas, c’est le festival des maladies psycho : anorexie, schizophrénie, bipolarité… Une sorte de Secret Story version psychiatrie.
Les premiers jours, je suis restée enfermée dans ma chambre, à me demander ce que je foutais là. C’est vrai, quoi, de toute façon je comptais garder mon petit secret pour moi. Personne n’avait à savoir que j’avais été violée.
Qu’est-ce que ça pouvait bien changer, de le dire à voix haute, à un mec qui n’a pour lui qu’un diplôme ? J’ai tenu trois mois avant d’en parler, trois mois à soigner des symptômes plutôt que le cœur du problème.
La sortie de clinique psychiatrique : confrontation avec le monde extérieur
Sur le moment, ça m’a vidée de raconter ce traumatisme, j’ai dû réapprendre à en parler. Deux semaines après, je pensais être libérée de ce poids.
Alors j’ai demandé à sortir, aussi parce que je voulais en profiter pour voir mon copain qui revenait de voyage : je voulais lui expliquer mon indisponibilité ces derniers mois.
Faire sa demande pour sortir du centre psychiatrique
J’ai fait ma demande au psychiatre qui l’a approuvée, et a signé un formulaire de sortie – même si on peut décider de sortir contre avis médical également.
« Sous réserve des dispositions de l’article L. 1111-5, à l’exception des mineurs et des personnes hospitalisées d’office, les malades peuvent, sur leur demande, quitter à tout moment l’établissement.
Si le médecin-chef de service estime que cette sortie est prématurée et présente un danger pour leur santé, les intéressés ne sont autorisés à quitter l’établissement qu’après avoir rempli une attestation établissant qu’ils ont eu connaissance des dangers que cette sortie présente pour eux.
Lorsque le malade refuse de signer cette attestation, un procès-verbal de ce refus est dressé. »
La vie une fois sortie du centre psychiatrique
Mais une fois dehors, ça ne s’est pas bien passé. Je n’étais pas prête à me confronter aux idées parfois très stupides des personnes à l’extérieur.
J’ai surtout été affectée par la réaction de mon copain : après que l’on a passé quelques jours ensemble et que je me suis confiée, il m’a quittée, par SMS, au prétexte que « ce qu’on m’avait fait m’avait conditionnée, et me conditionnerait toute ma vie ».
Il m’a culpabilisée en estimant que j’aurai dû porter plainte. Tout ça a réveillé mes vieilles croyances, celles dont je vous faisais part dans mon premier témoignage : je me sentais responsable de ce qui m’était arrivé. En quelques sortes, ça a déconstruit toute cette thérapie.
J’ai sombré de nouveau et ma mère a obtenu le droit que je retourne en clinique. J’y ai demeuré cinq mois supplémentaires.
L’hospitalisation en psychiatrie n’est pas une partie de plaisir
J’ai détesté chaque jour de cette hospitalisation. Chacun d’entre eux. Pas parce que mes petits camarades étaient perturbés – autant que moi, ou plus, ou moins. Pas parce qu’ils étaient vilains avec moi, non plus.
En fait, j’étais même plutôt amie avec eux. Il y avait des patients entre 15 et 25 ans, et on s’aidait beaucoup mutuellement (bien que le personnel veille à ce que les liens ne deviennent jamais « trop » forts, les contacts physiques sont par exemple interdits).
En particulier, j’ai noué des liens très importants avec deux filles qui ont été à la fois des sœurs de galère et des modèles que j’admirais.
Si j’ai détesté cette hospitalisation, ce n’est donc absolument pas leur faute, mais simplement parce que c’est loin d’être une colonie de vacances. C’est l’enfer, un challenge mental, une remise en question personnelle totale. Manque de personnel faute de fonds, manque de soins, manque d’intimité liée au fait qu’on ne nous laisse jamais vraiment nous isoler par peur que l’on mette sa vie en danger…
Et dans un sens, je pense que si j’avais eu cette possibilité, je l’aurais sans doute utilisée à mauvais escient. Il y a eu des moments, en particulier à mon retour après ma première tentative de sortie, où j’ai pensé à mettre fin à mes jours.
Je n’avais plus rien. Plus d’amis, plus de copain, pas de soutien, juste ma vie toute pourrie et mes cauchemars. Donc j’ai sincèrement pensé ne jamais m’en sortir. C’est un gouffre, on flirte avec le vide quand on commence à réellement avoir des pensées suicidaires.
Vous pouvez vous tourner vers les numéros d’écoute, comme le Fil Santé Jeunes, SOS amitié ou Suicide Écoute. Le plus important est de ne surtout pas rester seule.
Le personnel soignant en centre psychiatrique
Mais heureusement, j’ai pu bénéficier du soutien du personnel soignant. Ils étaient peinés, mais ça ne les a pas découragés. C’est assez courant de revenir en clinique plusieurs fois, en fait ils proposent même en principe des sorties tests, d’une à deux semaines, avant de revenir en clinique pour en évaluer les points positifs et négatifs.
J’avais donc trois personnes à qui me confier : mon psychiatre – que j’ai détesté de A à Z, de son obsession pour les médocs, à ses « haaaaaam » dignes de France Culture –, une psychologue géniale, et un infirmier référent hors du commun. Ces deux derniers ont été les personnes les plus importantes de cette misérable partie de ma vie.
Ce sont elles qui m’ont sorti la tête de l’eau, elles qui ont passé un temps précieux à m’expliquer que j’avais de la valeur, et que personne n’avait le droit de poser les mains sur moi, peu importe ma tenue, peu importe mon attitude. Ce sont elles qui m’ont appris que « non, c’est non ».
Mon infirmier référent, mon soleil au quotidien
Je me souviendrai toujours de mon infirmier référent, un mec qui a tout fait pour que mon hospitalisation, comme celle des autres patients, soit la moins désagréable possible, quitte à rallonger de plusieurs heures sa journée de travail déjà interminable.
Un jour, alors qu’il tentait de me réconforter à base de « tu sais, un jour, tu passeras au-dessus de tout ça, et tu verras, la douleur s’atténue, ce n’est pas de ta faute, comprends-le », je lui ai hurlé un truc du genre « heuaheuhag mais ta gueule, j’y arriverai jamaieugahah » entre deux crises de larmes.
Du coup, il a judicieusement pris la décision de sortir de ma chambre pour me laisser un peu méditer mes pensées ultra-profondes, et j’ai choisi ce moment précis pour jouer une scène que j’ai vue un nombre incalculable de fois dans ces téléfilms que j’adore.
J’ai lancé un Stabilo contre cette porte qu’il refermait, en mode « ouais bah c’est ça, abandonne-moi, ouais ». Sauf que… C’est peut-être stylé dans les téléfilms (et encore, j’ai des doutes, maintenant), mais le fait qu’ils n’y montrent pas la scène où, penaude, tu dois ramasser ce même Stabilo et son capuchon y est pour beaucoup.
On en a reparlé quelque temps après, il a éclaté de rire, expliquant qu’il avait imaginé la scène, effectivement.
Une autre fois, avec ce même infirmier, j’ai fait du bobsleigh dans les couloirs de la clinique, accrochée à sa blouse. Autant vous dire que ce mec était mon petit rayon de soleil dans un environnement bien sombre.
Il n’y a pas de prise en charge type, pas de mode d’emploi pour soigner un traumatisme, ou n’importe quelle maladie psychologique. Chaque patient est différent, et le personnel hospitalier est en majorité incroyablement méritant.
Ils n’ont pas de temps pour tout le monde, mais le prennent tout de même. Ils transforment des journées de 24 heures en semaines, on ne sait comment, et supportent le pire sans broncher.
Le quotidien dans un centre psychiatrique
Pendant mon hospitalisation, j’étais l’une des patientes les plus âgées, et l’une des plus calmes, aussi. Je n’osais pas déranger. Il y avait ce bouton, dans ma chambre, sur lequel je pouvais appuyer si je sentais que ça n’allait pas, si je voulais parler, ou si j’avais besoin de soins.
Je n’ai appuyé qu’une seule fois dessus, en neuf mois. Parce que, le personnel étant débordé, je ne me considérais pas comme une priorité, et puis aussi parce que j’ai eu de la chance dans mon malheur.
Du temps en clinique psychiatrique
On a beaucoup de temps libre en clinique, et j’aime observer les gens. Alors, durant cette hospit’, lorsque je n’avais pas envie de me retrouver seule avec mes pensées, je m’asseyais dans le couloir, et posais mon regard sur une véritable fourmilière.
Ça commençait vers 7 heures du matin, avec le bal des médicaments.
Après une nuit à faire des rondes et vérifier que chaque patient dort dans de bonnes conditions, que personne n’a de crise, ces infirmiers et aides-soignants font du porte-à-porte et réveillent les patients.
Ils s’inquiètent de comment s’est passée la nuit s’ils n’étaient pas de garde, et donnent les médicaments s’il y en a, avant de nous demander de nous avancer dans la file pour le petit déjeuner, alors qu’ils badgent la porte sécurisée, comme toutes les autres.
Les activités dans le centre psychiatrique
Matin comme après-midi, des activités nous sont soit proposées, soit imposées, selon les besoins.
Moi, en revenant après ma première sortie, j’ai dû passer par toute une phase où j’avais l’impression que ce viol venait de se passer. Je revivais toutes les étapes du traumatisme, c’était lourd.
Mais en même temps, rencontrer des gens, dont des filles qui avaient vécu la même chose, avec lesquelles on partage nos pistes de solutions, de nouveaux moyens d’expression, m’a beaucoup aidée.
Après mon retour, au bout de 3 mois, je pensais qu’il n’y avait pas d’autres moyens d’essayer de me guérir, je pensais que parler suffirait… mais en réalité j’ai compris qu’il me fallait extérioriser en me réappropriant mon corps dans lequel au bout de cinq ans de silence, une douleur s’était enracinée.
L’art thérapie, la musique et la danse m’ont été salvatrices. Par ces séances, j’ai appris à écouter, à reprendre le pouvoir sur mon corps, et à m’exprimer via le fusain, l’aquarelle, dans un silence qui en dit pourtant plus que mille mots.
Le soir, il fallait encore passer à l’infirmerie pour les médicaments. Je prenais des anxiolytiques, pour « endormir » l’angoisse. J’étais léthargique. Mais avec mes amies, rien ne pouvait nous empêcher d’essayer d’égayer la ronde des infirmiers via une chorale improvisée dans les couloirs.
Des Choristes à GiédRé, notre registre était varié. Un vrai bonheur, en tout cas pour nous.
Le centre psychiatrique : un observatoire du comportement humain
Trois mois après le début de mon hospit’, j’étais devenue une « ancienne », de ceux et celles qui restent (trop) longtemps entre les murs de la clinique.
J’étais celle qui rassure les nouveaux, explique comment ça se passe ici, à qui parler quand ça ne va pas… On me respectait plus ou moins, et le fait que j’étais l’une des plus vieilles jouait aussi.
J’avais donc mes affinités avec les aides-soignants et les infirmiers. Un soir, après que tout le monde a rendu son téléphone – parce que ouais, t’as droit à ton cellulaire une heure par jour, si t’es sage – je vois les infirmiers légèrement tendus.
Au bout d’une heure, la panique se lisait carrément sur leurs visages. Du coup, curieuse, je leur demande « quelque chose ne va pas ? », et l’infirmière de me répondre « bah, je crois qu’on a perdu Jason* ».
En riant, je lui demande si elle a cherché sous son lit. Je pense qu’elle a éclaté de rire nerveusement, et, la chambre de Jason étant juste à côté, elle badge, l’ouvre, et fait mine de regarder sous le lit.
Là, je la vois sursauter, remettre sa tête là-dessous, et s’exclamer « MAIS ENFIN JASON, QU’EST CE QUE TU FOUS LÀ ? ». Jason, pas con, sentant la colère palpable, lui répond « je m’en fous, je sortirai JAMAIS ».
Je crois qu’il m’a fallu 20 bonnes minutes pour arrêter de rire. J’en avais encore des crampes le lendemain.
Le service psychiatrique, une expérience « douloureuse et passionnante »
C’est le genre d’anecdotes que je raconte à ceux qui prennent un air crispé lorsque je parle de mon hospitalisation.
Oui, c’est dur, bien sûr que j’ai souffert de devoir raconter mon histoire à des inconnus, évidemment que j’ai pleuré un nombre incalculable de fois, failli redoubler ma dernière année de licence, eu du mal à reprendre une vie normale à ma sortie d’hospit’.
Oui, ma vie a été misérable pendant cette période, mais il a fallu passer par là pour trouver ces personnes qui m’auront sortie de mon schéma mental dangereux, tant pour moi que pour ceux qui m’entouraient.
Au bout de neuf mois d’hospitalisation, j’ai relevé la tête, envoyé valser tout ce qu’il y avait de négatif dans ma vie, réussi ma licence de sciences politiques, et intégré un master en journalisme. Je voulais écouter ces personnes qui avaient vécu mille histoires, et les raconter. Et c’est ce que je fais de ma vie, aujourd’hui.
Tout ça pour dire que l’hospitalisation peut faire peur lorsqu’on ne l’a pas vécue, mais reste une aventure aussi douloureuse que fascinante sur bien des plans.
Alors avant de juger une personne qui évoque la sienne, par pitié, pensez-y à deux fois.
* Le prénom a été modifié.
À lire aussi : « Tous nos jours parfaits », un roman poignant sur la dépression et le suicide
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Les Commentaires
Le négatif : ma clinique était vraiment nulle (genre au point où je n'avais pas de serviette pour me sécher, malgré que j'ai demandé 4 fois à plusieurs personnes, on a fini par me répondre que j'étais arrivée le lendemain de la distribution de serviette et qu'ils allaient me trouver un truc, ce qu'ils n'ont jamais fait donc j'ai dû me sécher avec mes draps, c'était super ), et la psychiatre qui m'a été assignée était ignoble. C'était dur d'être loin de tout le monde, surtout que les visites étaient restreintes à cause du covid.
Le positif : Mine de rien, ça m'a permis de faire le point sur ma vie, là où j'en étais et même si j'ai détesté certain truc, j'avoue que ça m'a aussi aidé à me reposer un peu. Le tout premier psychiatre qui m'a rendu visite était super (j'aurais bien aimé l'avoir lui au lieu de l'autre c*nnasse que j'ai eu après). J'ai pu sortir quand j'ai demandé, je ne sais pas si c'est le cas partout mais moi, le fait de savoir quand j'allais partir m'a aidée.
Je sais maintenant que ce n'est pas une solution pour moi, et ça m'a permis de me rediriger vers ce qui marche, vers des traitements/psy plus efficaces.
Je te souhaite de trouver de l'aide, quelle qu'elle soit et je t'envoie plein de soutien <3