Un droit inscrit dans la loi… mais pas dans la réalité
Sur le papier, tout va (presque) bien. La France a gravé dans le marbre de sa Constitution la « liberté garantie d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse ». L’Irlande, l’Espagne, la Norvège ou encore Saint-Marin ont levé des interdictions vieilles de plusieurs décennies.Mais si la loi a évolué, la réalité, elle, traîne les pieds. D’après le rapport d’Amnesty International Quand les droits ne sont pas une réalité pour tout le monde, publié ce jeudi, « l’accès à l’avortement reste un privilège », dépendant du lieu où l’on vit, de son compte en banque, ou même des convictions religieuses de son médecin.
En Allemagne, en Autriche ou en Bulgarie, une IVG peut coûter plusieurs centaines d’euros quand elle n’est pas remboursée. En Italie, plus de 60 % des gynécologues refusent de la pratiquer. Dans certaines régions, c’est même 80 %. Conséquences, des hôpitaux entiers incapables d’assurer une prise en charge, et des femmes qui se retrouvent à voyager des centaines de kilomètres pour un soin pourtant légal.
« L’avortement est légal, mais pas accessible »
Cette phrase, c’est celle de Ljerka Oppenheim, militante croate interrogée par Amnesty. En Croatie, beaucoup de femmes se voient refuser une IVG « pour des raisons de conscience ». Officiellement, les médecins ont le droit de refuser de pratiquer un avortement s’ils y sont opposés moralement. Dans les faits, certaines patientes sont mal informées, renvoyées d’un service à l’autre jusqu’à dépasser le délai légal.
« C’est comme si l’avortement était un secret honteux », résume-t-elle.
La situation n’est pas unique. En Belgique, une femme sans papiers peut attendre plus d’un mois avant que sa demande de prise en charge soit acceptée. Un délai qui suffit, là encore, à rendre l’IVG impossible. En Pologne, des femmes meurent faute de soins après des complications de grossesse, car les médecins craignent d’être poursuivis s’ils interrompent la grossesse à temps.
« L’accès à l’avortement est un droit humain fondamental. Il n’a pas à être justifié, encore moins négocié. »
Amnesty International
Des groupes anti-genre de plus en plus puissants
Derrière ces reculs, Amnesty pointe une offensive organisée : un réseau transnational de groupes conservateurs et religieux, parfois financés par des fonds russes ou américains. Leur but ? « Restaurer le pouvoir patriarcal et contrôler le corps des femmes », écrit l’organisation.
En Italie, la Première ministre Giorgia Meloni a ouvert les portes des centres de conseil prénatal à des associations « pro-vie ». En Slovaquie, des projets de loi anti-avortement se succèdent au Parlement. En Pologne, des militantes féministes sont harcelées, jugées, parfois condamnées pour avoir aidé une femme à obtenir des pilules abortives.
Ces attaques s’accompagnent d’une vague de désinformation et de harcèlement. Des militants anti-avortement postent devant les cliniques, brandissent des pancartes culpabilisantes, filment les patientes à leur insu. Dans certains pays, il a fallu créer des zones tampons autour des établissements pour protéger les femmes.
Des militantes épuisées mais déterminées
Partout en Europe, des collectifs féministes, des sages-femmes, des médecins continuent de se battre pour garantir ce droit.
En Italie, Silvana Agatone, gynécologue et présidente de l’association LAIGA, raconte ce combat du quotidien : « Ceux qui veulent empêcher l’accès à l’avortement ont des fonds et des stratégies. Nous, on essaie juste de soigner. »
En Pologne, des réseaux comme Abortion Dream Team ou AboTak aident les femmes à voyager, trouvent des financements, traduisent les démarches.
Mais la fatigue est immense. Beaucoup de militantes travaillent bénévolement, sans reconnaissance ni sécurité. « C’est un travail essentiel, mais invisibilisé », résume Amnesty, qui appelle les gouvernements européens à soutenir financièrement les associations de terrain, en première ligne face aux reculs.
Et maintenant ?
Amnesty International le rappelle : l’avortement n’est pas un luxe, c’est un soin de santé essentiel. Le criminaliser, le restreindre ou le rendre inabordable, c’est mettre des vies en danger.
La France a fait un pas fort en inscrivant l’IVG dans sa Constitution, mais l’organisation avertit : « La reconnaissance juridique ne suffit pas. »
Car le droit de choisir ne devrait pas dépendre du courage de celles qui le défendent, mais de la volonté des États à le protéger.
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