Pendant des années, on nous a répété que « trop d’écran » abîmait les enfants. On a compté les minutes, on a caché les tablettes, on a instauré des règles… tout en éprouvant cette petite boule au ventre à chaque fois qu’on cédait pour avoir dix minutes de calme.
Une interview récente de la chercheuse Kaitlyn Regehr, autrice de Smartphone Nation, invite à poser les choses autrement. Et si le problème n’était pas le temps d’écran en soi, mais ce que nos enfants y font ?
Le concept de temps d’écran n’a jamais vraiment été conçu pour notre réalité actuelle
À l’origine, la recommandation de limiter les écrans était surtout centrée sur le risque de sédentarité.
En résumé : si un enfant reste assis des heures sans bouger, ce n’est pas idéal pour sa santé physique. Aujourd’hui, le numérique ressemble plutôt à un gigantesque buffet : dessins animés, séries, vidéos courtes, jeux, conversations, devoirs, créativité… Tout se mélange. Surtout, la manière dont les plateformes retiennent l’attention des enfants n’a rien à voir avec celle d’hier.
Pour Kaitlyn Regehr, continuer à compter les minutes comme si toutes se valaient n’a plus de sens. « Ce qui importe, c’est la qualité du contenu, pas la quantité », insiste-t-elle. Et ça change radicalement la conversation.
Tous les écrans ne se ressemblent pas, et ça change tout
Pour rendre la chose plus concrète, la chercheuse parle de « pyramide digitale ». À la base : ce qui nourrit et engage. Tout en haut : ce qui aspire l’attention sans rien laisser derrière.
Un film regardé ensemble, un jeu narratif qui demande de réfléchir, une vidéo d’apprentissage… font partie d’une consommation plutôt saine. À l’inverse, un flux sans fin de vidéos courtes choisies par un algorithme cherche avant tout à capter l’attention. Et il y arrive très bien.
D’où cette règle simple, facile à garder en tête : plus l’écran est grand et le contenu long, mieux c’est.
Regarder Mary Poppins en famille ouvre la discussion, crée un terrain commun, offre du contexte. Laisser un enfant seul face à un flux automatisé de vidéos courtes, en revanche, revient à déléguer son attention à un système conçu pour la capter, puis la garder.
Pour les parents, cette nuance change beaucoup. On peut lâcher un peu de pression : non, toutes les minutes d’écran ne se valent pas. Et oui, un jeu narratif ou un bon film peuvent faire partie d’une consommation équilibrée.
Les algorithmes ne sont pas neutres, et nos enfants ne sont pas prêts pour ça
On aimerait croire que l’expérience numérique des enfants dépend seulement de ce qu’ils choisissent. La réalité est plus brutale : ce sont les plateformes qui choisissent pour eux.
Les contenus les plus extrêmes sont mieux mis en avant, simplement parce qu’ils retiennent davantage l’attention. Les jeunes garçons tombent sur du contenu misogyne, les filles sur des vidéos qui poussent à se comparer, et les enfants neurodivergents voient plus de contenus liés à l’anxiété ou à l’automutilation. Ce n’est pas un hasard, c’est un système.
La bonne nouvelle, c’est que les ados détestent être manipulés. Leur expliquer comment l’algorithme fonctionne, pourquoi il pousse certains contenus, et en quoi tout cela sert un modèle économique permet souvent de les armer bien plus efficacement qu’une simple interdiction.
La charge mentale numérique ne devrait pas reposer sur les parents… mais c’est le cas
C’est l’un des points les plus forts du livre : la chercheuse rappelle que si les parents ont l’impression d’être seuls face à un système immense et opaque, c’est… parce que c’est vrai. Les protections qui existent pour les jouets, les aliments ou les médicaments n’existent tout simplement pas pour les plateformes numériques.
En attendant mieux, les parents font office de bouclier. Et cette charge est lourde. Il ne s’agit pas d’être parfait, mais d’être présent, d’ouvrir des discussions, de faire des choix éclairés, même imparfaits.
Alors, on change quoi demain ?
Peut-être qu’on peut commencer par arrêter de compter les minutes et regarder ce qu’il se passe à l’intérieur de ces minutes. On peut privilégier les contenus longs, le visionnage collectif, les espaces régulés. On peut retarder l’accès aux plateformes les plus addictives, expliquer très tôt comment l’attention est captée et pourquoi il faut garder un esprit critique.
Et surtout, on peut se redonner un peu d’air. Naviguer dans la parentalité numérique n’a rien d’évident. Ce que les enfants attendent de nous, ce n’est pas un tableau Excel de leur consommation, mais une présence, un dialogue et un accompagnement constant dans un monde qui change plus vite que nous.
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