Un jour, alors que j’étais en voiture, j’ai renversé un cycliste et il est mort.
Ce jour-là tout s’est effondré en un claquement de doigts.
Le pire dans tout ça, c’est que ce n’était pas ma faute. Il est sorti de nulle part, et a décidé de traverser une nationale, tôt le matin. Je n’ai pas pu le voir à temps, et je n’ai pas pu l’éviter.
J’ai causé la mort de quelqu’un en voiture, et ce n’est pas ma faute
« Ce n’est pas ma faute. »
Cette simple phrase est signe que j’ai aujourd’hui fait un long chemin.
Il y a quelques mois encore, je vous aurais dit que « je l’ai tué ». Aujourd’hui je vous dis haut et fort que « c’était un accident, un malheureux accident ».
Avant je me voyais comme une meurtrière qui irait tout droit en taule, maintenant je redresse la barre, et j’essaye de vivre du mieux que je peux, tout en gardant en tête que la vie ne tient qu’à un fil.
Oui c’est très cliché, mais c’est la pure réalité.
Ce n’est pas évident de vous écrire tout ça. D’ailleurs très peu de personnes dans le même cas que moi écrivent à ce sujet… La peur d’être jugés les ronge peut-être ? Ou alors c’est la peur de l’incompréhension des autres face à ça ?
Bon sang ! Qu’est-ce que j’aurais aimé à l’époque trouver des témoignages, de quoi me raccrocher à quelque chose.
Chaque année ce ne sont pas moins de 160 accidents mortels impliquant une voiture et un cycliste. Plus de 160 chauffeurs et cyclistes dont la vie est détruite, qu’ils soient fautifs ou non.
Je m’imagine toujours ces 160 conducteurs vivant ce que j’ai vécu.
C’est ça qui me pousse aujourd’hui à écrire sur mon ACCIDENT (oui je le précise encore ici), et à délivrer les clés qui m’ont permis de me remettre debout.
J’ai causé la mort de quelqu’un en voiture : l’accident
Je vois le cycliste au dernier moment. J’essaye, dans une dernière tentative désespérée, de faire un écart pour l’éviter. Je sais pertinemment que ça ne sert à rien. Collision.
La première chose que je fais ? Je me mets en mode survie, mon corps ne m’appartient plus.
Bien évidemment, je m’arrête tout de suite, pour porter assistance au cycliste. Complètement perdue, je demande le numéro de téléphone des secours en hurlant.
D’autres personnes s’arrêtent pour m’aider. Heureusement, parmi elles se trouve une personne sachant prodiguer les premiers secours et un sapeur pompier en civil.
Moi, complètement terrifiée, je suis loin d’imaginer la suite.
Les secours ne sont pas encore arrivés. Le sapeur pompier en civil prodigue depuis plus de 5 minutes un massage cardiaque, mais rien ne se passe.
« Je pense qu’il est mort. »
Sur ces quelques mots, je m’effondre, pourtant je suis toujours debout stoïque. Les pompiers arrivent, puis les gendarmes. Tout le monde s’affaire, je crois être devant ma télé en train de regarder une de ces séries policières si populaires…
Non, c’est la vraie vie, et je pense que je suis le méchant de l’histoire. En état de choc, les pompiers ont amené un autre camion pour me transporter.
Dans ma tête, je me dis :
« C’est moi qui ai fait ça, vous ne devriez pas me passer les menottes plutôt ? Me foutre en prison ? Pourquoi vous êtes si gentils alors que je suis une meurtrière ? »
Mais rien ne sort. Je rentre dans le camion de pompiers, j’ai l’impression d’y rester des heures et des heures. Entre deux gros sanglots j’arrive à peine à demander si le cycliste va bien.
Intérieurement, je ne peux pas concevoir qu’il n’est plus là.
J’ai causé la mort de quelqu’un en voiture et je me sens comme une meurtrière
La honte et la culpabilité sont les deux seuls sentiments que j’ai ressentis pendant les jours qui ont suivi. Dans ma tête, l’accident tournait en boucle.
J’étais toujours à me poser la même question : suis-je un monstre ?
À ça, je répondrai aujourd’hui : est-ce que tu as pris du plaisir ? L’as-tu fait exprès ? L’avais-tu prévu ? Non ! Tout simplement parce que tu es une bonne personne.
Ma famille et mes proches m’ont beaucoup épaulée durant les mois suivants. J’étais terrifiée à l’idée que le monde entier me rejette et me pointe du doigt
.
Pourtant, tous, même les gendarmes et les pompiers, me répétaient sans cesse que ce n’était pas ma faute.
J’entendais, mais je n’écoutais pas, parce que j’étais certaine d’être fautive. Après tout, je suis toujours en vie, sans séquelle, alors que le cycliste, non.
Le syndrome du survivant ou culpabilité du survivant intervient lorsqu’une personne assiste à un événement où d’autres personnes sont mortes mais pas elle.
Il se peut qu’elle développe une intense culpabilité et une hyper vigilance. Elle pense qu’elle aurait dû mourir à la place de l’autre, ou aurait dû empêcher la mort de l’autre.
À chaque coup de fil, à chaque fois que quelqu’un sonnait à la porte, je sursautais. Je suis restée quelques jours terrée chez mes parents, sans sortir. Toujours persuadée que les gendarmes viendraient me chercher d’un moment à l’autre.
Je n’ai pas eu le courage d’éteindre mon téléphone portable. Si bien que je guettais tous les articles parlant de mon accident, et lisais assidûment tous les commentaires haineux.
Je m’enfonçais encore plus dans le cercle vicieux de la culpabilité. Puis de la honte, en me coupant de tout le monde. Je dormais beaucoup, mangeais peu, et assurais la ronde des proches venant apporter leur soutien.
Puis vint le jour où mes parents, dévastés eux aussi par l’accident, m’ont amenée voir un premier psy.
Mon suivi psychologique après l’accident
J’ai eu de la chance d’avoir des parents très à l’écoute, qui m’ont fait comprendre que ce que je vivais n’était pas normal. Mais n’ayant pas les mots, ni les clés pour m’aider, ils se sont tournés vers une professionnelle.
À mon premier jour de séance avec ma psy, ses premiers mots ont été :
« Ce n’est pas de ta faute »
Puis elle m’a fait comprendre que je vivais un stress post-traumatique. Elle m’a permis de concevoir que, non, ce n’est pas normal dans mon cas :
- De dire que l’on a « tué » quelqu’un
- D’avoir honte à un tel point que l’on n’ose plus parler ni sortir
- De penser que l’on va aller en prison demain
- De se sentir coupable, au vu des circonstances
- D’avoir peur et de pleurer quand on est dans une voiture
- De se sentir en danger constamment, n’importe où et quand sur la route
- De s’interdire d’être triste parce qu’on ne le mérite pas
- De dire « et si j’avais… » en se repassant la scène en boucle jour et nuit
Et avec des séances d’EMDR, elle a réussi à me libérer d’un poids énorme. À me faire comprendre que j’ai fait tout ce que j’ai pu.
Alors oui, ce qui est arrivé est triste, mais la vie continue.
L’EMDR (Eye Movement Desentitization and Reprocessing) est une technique thérapeutique apparue à la fin des années 80 — indiquée généralement en cas de traumatisme et stress post-traumatique.
L’objectif de l’EMDR est de diminuer la « charge émotionnelle » liée à un souvenir traumatique, et donc, par ricochet, d’aider les patients et patientes à améliorer leur quotidien.
Au cours des séances, et après un entretien, le ou la thérapeute propose au patient de se remémorer un souvenir traumatique, associé à une émotion difficile, et applique une stimulation sensorielle par moments.
Par exemple, déplacer rapidement ses doigts devant les yeux de la personne, ou diffuser des sons de chaque côté de la tête.
Cette stimulation permettrait de restructurer l’information dans notre cerveau et de « recoder » le souvenir. Pour en savoir plus sur le processus de la thérapie, une explication est disponible sur le site de l’American Psychological Association.
Cette technique est parfois controversée dans le milieu scientifique, et certaines études s’interrogent sur les fondements scientifiques de la méthode (si le sujet vous intéresse, vous pouvez lire plus d’informations en suivant ce lien).
Ma psy a finalement remis mon cerveau en marche, et je me suis pardonnée, alors merci beaucoup à elle.
J’ai causé la mort de quelqu’un en voiture, et j’avance avec
Je n’oublierai jamais cet événement, et je serai toujours triste en y repensant. Néanmoins je vois aujourd’hui les choses autrement.
J’avoue que je m’énerve plus facilement quand je vois des personnes conscientes prendre des risques sur la route.
Je suis également préoccupée par le manque d’accompagnement des accidentés en plein stress post-traumatique. Dans mon cas, ni moi ni mon entourage n’avions identifié mon état avant que j’aille voir par moi-même une psychologue.
Cependant le plus important, c’est que je continue à voir ma psy.
J’ai appris les numéros de secours par cœur, ainsi que les gestes qui sauvent. J’ai repris ma vie et je me suis remise derrière le volant. J’ai même décidé d’aller plus loin et de me libérer de tous les problèmes que je transportais jusque-là.
Et si je peux donner un dernier conseil, maintenant que j’ai pris assez de recul, je dirai : PARLEZ. Parlez au plus grand nombre de personnes possible, même si c’est difficile.
Personnellement j’ai tardé à le dire à ma meilleure amie et elle a été très déçue. Non pas par mon accident, mais parce qu’elle n’a pas pu être présente pour m’aider et m’encourager.
Parlez mais ne vous sentez pas obligées non plus ! Je n’ai jamais rien dit à mes collègues, ni à mon patron, par exemple. Je considère qu’il n’est pas nécessaire qu’ils le sachent : vous avez le droit de garder ça pour vous.
À lire aussi : Mon avortement s’est bien passé, pourtant depuis je vis un enfer
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Les Commentaires
J'ai pas envie de juger la personne qui a écrit le témoignage. Elle dit que c'était pas sa faute, je la crois, et j'avoue que ça me rassure un peu de voir que oui, ce genre de choses peut arriver sans erreur judiciaire à la clé (j'aurais tellement peur qu'on me passe les menottes alors que c'est réellement pas ma faute si ça m'arrivait, car soyons honnête, ça peut arriver à tout le monde).
Pour les gens qui n'aiment pas conduire et n''ont pas conduit depuis longtemps, je ne suis pas sûr que se soit une bonne idée. Si un jour vous devez conduire, le stress n'en sera que d'autant plus grand et, si votre seule expérience de conduite c'était le passage du permis, alors votre expérience est réduite et ça augmente le risque d'avoir un accident. Après c'est sûr que se forcer alors qu'on en a pas envie ne ressemble pas à l'idée du siècle non plus.
Pour les gens qui prétendent que "oh bah ça va, je peux bien faire le con sur la route, ça ne regarde que moi", non, vraiment, vos gueules (je sais que c'est uniquement des paroles rapportées et que personne ici ne pense cela, en tout cas j'espère). Ce n'est jamais que vous. Déjà y'a des gens dont c'est le boulot de gérer votre corps, ça leur fait du travail en plus. Mais même en dehors de ça, même en moto, on peut se retrouver impliqué avec d'autres gens et leur faire mal (l'exemple plus haut de la Madz renversé.e par un motard, mais y'a d'autres cas de figure, même si c'est vrai que c'est plutôt le motard qui prend car moins protégé). Et bien sûr, il y a les proches (même si il n'y a qu'une victime, soit-même, alors c'est nos proches qui en souffriront). Puis bon, mon auteur préféré est mort comme ça (bon je sais pas s'il faisait exprès de prendre des risques inconsidérés mais le résultat est le même), donc ouais, s'il vous plaît, les motard.e.s, faites gaffe, on vous aime <3 Et alors dans d'autres véhicules, j'en parle pas, les risques d'implication d'autrui peuvent grimper très vite.
D'un autre côté, la lecture de cet article était gênante pour moi, car j'ai une amie impliquée dans une histoire semblable. Sauf que c'était la victime, cycliste, et qu'elle en est morte. Et que c'était pas sa faute (malgré que des abrutis l'aient laissé entendre sur un article parlant de l'incident en mentionnant qu'elle était sur la route au lieu de la piste cyclable), mais du mec qui l'a renversé. Alors bien sûr, la situation est totalement différente de celle de la Madz (le connard qui roulait était bourré et roulait trop vite. Il était jeune en plus, il a été attrapé par les flics, sa vie est sûrement fichu, mais j'arrive pas à avoir de la peine pour lui vu le poids de ses conneries). Mais je ne pouvais pas ne pas y penser.
Donc ouais, faites gaffe sur la route, les gens. On sait jamais ce qui peut arriver. Moi aussi j'ai déjà faillis faire de la merde. Faut connaître les risques, et savoir s'écouter. Le mieux, si on se sent pas de conduire (fatigue, stress...), c'est de pas le faire.