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Culture

Peut-on pardonner le fat suit de Sarah Paulson ? Non, ni aucun fat suit d’ailleurs

Dans la série Impeachment : American Crime Story, l’actrice Sarah Paulson endosse le rôle de Linda Tripp, mais aussi un fat suit. Et cela dit beaucoup de la grossophobie qui persiste au cinéma et dans les séries.

Quand, en avril dernier, les premières images d’Impeachment : American Crime Story ont été révélées, on a d’abord frémi d’impatience.

Après les épiques saisons précédentes (retraçant le procès d’O.J. Simpson et l’assassinat de Gianni Versace), American Crime Story se penche sur un moment fondateur de l’histoire récente des États-Unis : l’affaire Lewinsky, et comment une jeune stagiaire de la Maison-Blanche s’est retrouvée au cœur d’un scandale politique digne du Watergate, en admettant publiquement avoir eu une relation sexuelle avec le président (marié) des États-Unis, Bill Clinton, et a été traînée dans la boue des années durant.

C’est l’histoire d’un raz-de-marée médiatique sans précédent, faisant de Monica Lewinsky la victime d’une campagne d’humiliation planétaire et pour la première fois orchestrée sur Internet.

C’est aussi – forcément – une histoire de misogynie.

Pour toutes ces raisons, la série, qui sort début septembre aux États-Unis, nous mettait indéniablement en joie.

Aux côtés de Beanie Feldstein, qui incarne Monica Lewinsky, on retrouve l’égérie de Ryan Murphy, producteur d’Impeachment, Sarah Paulson, qui joue Linda Tripp, fonctionnaire de la Maison-Blanche qui a eu un rôle clef dans l’affaire. Et c’est là qu’on a été un peu déçues, il faut bien l’avouer.

https://twitter.com/ladyrileyb/status/1432167006862708738?s=20

Encore un fat suit ? En 2021 ?

Sarah Paulson est une femme mince. Pour jouer Linda Tripp, elle a fait ce que d’autres acteurs et actrices minces ont fait avant elle — et ils sont nombreux, comme en témoigne la liste de Tropedia : prendre du poids (13 kilos en l’occurence) et porter du rembourrage pour obtenir la carrure de son personnage.

En d’autres termes, l’actrice a porté un fat suit.

https://twitter.com/SeriesUpdateFR/status/1387142187419410442

Le fat suit, c’est quoi ? Littéralement, c’est un costume de gros, qui va donc permettre à une personne mince d’incarner physiquement une personne grosse.

Cela prouve une chose : au cinéma, on continue de préférer le rembourrage à l’embauche d’acteurs et d’actrices grosses — ou juste « non minces », comme la vraie Linda Tripp.

Cela participe aussi à quelque chose de très en vogue dans l’industrie du cinéma : la transformation physique qui rend méconnaissable… et surtout, qui rend moche.

À Hollywood, on aime depuis longtemps prendre des acteurs et actrices qui collent parfaitement aux canons de beauté en vigueur et les rendre laids et laides. Comme si finalement on montrait sa vraie valeur à l’écran en n’ayant pas peur de prendre ce risque, celui de ne pas être désirable ! On pense à Charlize Theron avec Monster, à Christian Bale pour The Machinist ou Dick, ou encore à Jared Leto dans House of Gucci.

https://twitter.com/Arkhamaus/status/1420770174978854919

L’usage du fat suit participe aussi à la stigmatisation des corps gros dans le sens où ceux-ci suscitent toujours le rire, de préférence celui qui se fait aux dépends des personnes concernées.

De Monica dans Friends à Thor dans Avengers : Endgame, le personnage gros est un poncif comique savamment entretenu. Parce que les personnes grosses mangent tout le temps, elles sont drôles. Parce qu’elles sont nulles en sport, elles sont drôles. Parce qu’elles sont fainéantes ou maladroites, elles sont drôles. Parce qu’elles n’ont jamais de relations sexuelles ou amoureuses, elles sont drôles.

Les conséquences sont réelles : cela donne le feu vert pour quiconque trouve amusant de se moquer des personnes grosses. Cela participe à leur stigmatisation et à leur déshumanisation.

https://twitter.com/carnetlunaire/status/1275541809209520128?s=20

Sarah Paulson justifie son rôle dans Impeachment

N’ayant pas du tout la même corpulence que Linda Tripp, Sarah Paulson aurait-elle du décliner ce rôle ?

Dans une interview au Los Angeles Times, l’actrice a admis qu’il lui était difficile d’en parler sans donner l’impression de se chercher des excuses et que la polémique était « légitime » :

« Je crois que la grossophobie est réelle. Je crois que prétendre le contraire ne fait qu’aggraver les choses. »

Néanmoins, elle estime que l’entière responsabilité sur ce sujet ne doit pas retomber entièrement sur les épaules des comédiens et comédiennes quant il s’agit de s’investir dans un rôle : une actrice n’a pas qu’une performance physique à offrir, selon elle.

« Je veux croire qu’il y a quelque chose chez moi qui fait de moi la bonne personne pour jouer ce rôle. Et c’est là la magie des services maquillage et coiffure, des costumes, des cameramans qui prennent part à la réalisation d’un film, depuis l’invention du cinéma. Aurais-je dû dire non à ce rôle ? Voilà la question. »

Sarah Paulson regrette de ne pas avoir davantage réfléchi à cet enjeu.

« Je sais aussi que c’est une place privilégiée que j’occupe de pouvoir y penser, d’avoir déjà pu le faire, et d’avoir eu une opportunité qu’une autre personne n’a pas eue. On peut seulement apprendre ce que l’on sait au moment où on l’apprend. Aurais-je dû le savoir ? Absolument, putain. Et maintenant je sais. Et je ne ferais pas le même choix à l’avenir. »

Trop peu, trop tard ?

Le corps gros « n’est pas un déguisement » martèlent fat activists et associations anti-grossophobie — comme Gras Politique en France — depuis… et bien, depuis belle lurette. Les regrets arrivent donc peut-être un peu tard et ne convaincront certainement pas tout le monde.

L’actrice a raison en affirmant qu’elle n’a pas à porter seule la responsabilité de toute une industrie qui valorise les métamorphoses spectaculaires de corps normés. Mais de là à dire faute avouée, à moitié pardonnée, il y a un grand pas : malgré les excuses de Sarah Paulson, aussi sincères soient-elles, le « mal est fait » et la série déjà tournée.

On ne doute pas de sa performance dans Impeachment : Sarah Paulson n’a plus à prouver qu’elle est une actrice exceptionnelle. Cependant, elles existent, celles qui auraient pu endosser le rôle de Linda Tripp sans avoir besoin d’enfiler un fat suit. Qui sait si Melissa McCarthy, par exemple, n’aurait pas elle aussi déchiré en revêtant la veste à épaulettes de Linda Tripp ? On ne le saura jamais.

Il ne nous reste qu’à espérer que cette énième polémique soit la dernière du genre et que la leçon soit enfin retenue.

À lire aussi : « Par les personnes grosses, pour les personnes grosses » : le Très Gros Festival, entre rage et paillettes

Crédit photo : FX (Capture) / Gage Skidmore, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons


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Les Commentaires

26
Avatar de lazaretto
9 septembre 2021 à 23h09
lazaretto
@Assault J’interviens rapidement pour rappeler que ce ne sont pas simplement des considérations artistiques, on parle de réalités très matérielles : qui accède aux emplois et qui parvient à vivre de son métier d’artiste dans des conditions décentes ?
A la limite même en passant sur tout l’aspect de représentation des groupes sortant de la norme imposée, c’est quand même assez important de savoir qui est rémunéré dans cette industrie.
Donc j’estime absolument que pour une fois qu’un personnage principal sort de la norme, c’est scandaleux de prendre quelqu’un de mince/blanc/cis/valide pour qui tous les autres rôles sont déjà réservés.
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Voir les 26 commentaires

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