Article publié le 12 avril 2019
Je suis mannequin, et parfois, j’ai honte de le dire.
C’est un métier particulier qui soulève pas mal de questions, suscite l’émerveillement, et pour beaucoup, fait rêver.
J’évite pourtant subtilement de le mentionner lors de nouvelles rencontres. Car derrière les paillettes dans les yeux se cachent beaucoup d’illusions, et des préjugés à la pelle.
Être mannequin ne fait pas de moi une femme plus belle
Je me souviens de cet épisode de Rendez-vous en Terre Inconnue avec Adriana Karembeu. Les habitants du village lui demandent quel est son métier.
Très gênée elle répond que son métier « c’est d’être payée pour être belle ».
En premier lieu, j’aimerais attirer l’attention sur un point important : non, je ne suis pas particulièrement belle. Je coche simplement les cases de « la femme belle » selon les critères de la société.
Personnellement, je pense que la beauté réside dans toutes les femmes, quelque soit leur taille et leur tour de taille, la couleur de leur peau ou leurs imperfections.
Mais ces femmes ne correspondent pas à ce que l’on exige comme physiquement nécessaire pour faire ce métier. Elles ne seront jamais mannequins, aussi belles et charismatiques soient elles.
Car ce milieu l’entend autrement, même si la tendance va vers de plus en plus de diversité.
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Pour être mannequin, il ne suffit pas d’être, il faut travailler
Il est vrai qu’une grande partie de ma profession consiste à être jolie. Être suffisamment belle pour faire rêver et par extension, faire vendre.
J’ai 26 ans, mais je ne dis jamais mon âge, et si quelqu’un insiste j’ai officiellement 22 ans. Mon visage reste pour l’instant enfantin et cela me sauve, mais la retraite me guette à la moindre ride.
Le culte de la jeunesse a encore de belles heures devant lui, mais le métier ne se résume heureusement pas qu’au physique. La grandeur, la jeunesse et la minceur ne sont pas les seuls critères qui font une mannequin.
Perchée sur des talons de 12 cm (souvent pas à notre pointure parce qu’elle n’était pas en stock), il faut savoir défiler avec aisance, prétendre que l’exercice est naturel et facile, le tout avec prestance et allure.
Il faut avoir du charme, une personnalité, un truc en plus, « avoir du chien » comme ils disent.
Cette prestance demandée est rarement innée, et comme tout, cela demande du travail : la posture se peaufine avec l’expérience et l’entraînement.
Avoir pris des cours de théâtre m’a beaucoup aidée et préparée à « occuper, prendre l’espace et m’imposer » lorsque je rentre sur un plateau.
Avoir une hygiène de vie exemplaire est aussi nécessaire : impossible de se pointer avec la gueule de bois, des cernes ou des boutons à un casting.
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Être mannequin, c’est avoir un mental d’acier
Quant à la partie psychologique, je pense qu’un mental d’acier est nécessaire pour faire ce métier.
Continuer de s’accrocher, de croire en soi, malgré les refus quotidiens des clients. Être très droite dans ses bottes sur qui l’on est.
Être à l’aise avec son corps, et totalement honnête face à lui, l’accepter tel qu’il est, avec ses défauts et ses qualités pour ne pas flancher.
Car il y a de nombreuses critiques physiques à endurer : trop jeune, trop vieille, trop maigre, trop grosse, pas assez de poitrine, trop de poitrine, etc.
Le regard des gens est permanent, le contact physique aussi…
Il ne faut pas être pudique, accepter de se faire toucher le corps pour pouvoir attacher une robe ou se faire remettre en place un bustier.
Il faut résister au désir que notre corps s’adapte à ce que l’on attend de lui pour mieux « réussir ». Pour ne pas se laisser embarquer dans des dérives (chirurgie, anorexie…).
La comparaison est un mécanisme mental dangereux. Lors d’un défilé, entourée de femmes plus belles les unes que les autres, il m’est parfois difficile de lutter contre mes démons intérieurs.
Ceux du syndrome de l’imposteur qui me murmurent à l’oreille que je n’ai pas la légitimité d’être là, que je suis une erreur de casting…
À côté des autres je me sens parfois soudainement moche, minuscule, empotée, énorme.
Être mannequin, c’est endurer douleurs physiques et psychologiques
La concurrence entre les filles est réelle, et cette compétition constante rend difficile la création de liens amicaux.
Le stress de monter sur scène, de tomber, d’être ridicule, la compétition, tout cela induit une réelle pression psychologique qu’il faut apprendre à gérer.
Il faut aussi savoir supporter le froid : j’ai l’impression d’avoir toujours froid quand je travaille. Les tenues de shooting et défilés peuvent être très légères malgré un mauvais temps et de faibles températures.
Supporter la douleur de manière générale est nécessaire, notamment la douleur aux pieds à cause des talons, et au dos par la suite.
Parfois, j’ai peur, car je me retrouve en studio, entourée d’hommes que je ne connais pas, dans un endroit reculé d’une ville, pour un shooting…
Je suis mannequin mais je ne suis pas anorexique
Souvent on me fait cette réflexion :
« T’es pas squelettique, pourtant… »
L’anorexie existe dans ce milieu, oui, mais ce n’est pas une généralité. Personnellement je n’ai jamais été touchée par cette maladie.
Mon métabolisme fait que je mange ce que je veux au quotidien, tout en gardant ma silhouette maigrichonne.
Au contraire, c’est prendre des kilos qui m’est difficile. Mais toutes les filles ne sont pas faites comme moi. Lors des défilés, il y a de la nourriture à disposition, mais à part les mannequins hommes et l’équipe technique, peu y touchent…
Une bonne partie des filles sont malades, cela se voit, cela se sait et personne n’en parle.
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C’est un tabou flottant dans l’air. Il existe des moments où l’on nous montre les tenues pour un défilé et il faut rentrer dedans. Sinon nous sommes écartées du casting, et donc pas de défilé, et pas de travail.
J’ai toujours passé ce « test » sans souci et sans m’amaigrir et je pense sincèrement que le milieu va vers le mieux de ce côté-là, que le grand public et l’État ont aidé à ce que la maigreur maladive cesse d’être un pré-requis pour monter sur scène.
Mon agence par exemple ne m’a jamais demandé ni même suggérée de perdre du poids. Les rares moments où je « m’affame » sont pour certains shootings mettant en avant des brassières de sport ou des maillots de bain par exemple.
Je saute un repas avant pour éviter que mon ventre n’apparaisse gonflé comme celui de quelqu’un qui vient de manger, mais je me rattrape après.
Je ne suis pas la même fille que celle des magazines
Spoiler alert : on ne devient pas la fille que l’on voit en photo dans les magazines ou sur les podiums par la force du Saint Esprit. Il y a une armada de stylistes, coiffeurs et maquilleurs qui sont là pour m’embellir.
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Sans eux et sans Photoshop, je suis une meuf comme tout le monde. Et je t’assure que n’importe qui se transforme en Miss Univers entre leurs mains.
En dehors de mon travail, je ne suis jamais maquillée, et je préfère aller faire du vélo que les boutiques. Dans la vie de tous les jours, je suis la personne la moins regardante au monde sur son apparence et préfère être en sweat/Converses qu’en talons.
En somme, je suis aussi une personne normale. Je ne suis pas mon métier.
Souvent les gens se permettent de me demander combien je gagne, pour qui je travaille, c’est très embarrassant…
On s’imagine que je suis très bien payée, alors que le travail se fait rare, et que les belles sommes que je touche ponctuellement me permettent juste de tenir les mois où je n’ai pas d’opportunité.
Ma retraite est déjà proche et je rentre dans la dénomination des travailleurs précaires : pas de CDI dans mon métier.
Pourquoi je ne parle pas de mon métier de mannequin
L’image qu’on se fait du mannequinat attise souvent de la jalousie, notamment chez les femmes. J’ai droit aux réflexions acerbes du type « ouais moi aussi j’aurais pu être mannequin si j’avais voulu, je suis grande ».
Cela méprise et dénigre totalement qui je suis et ce que je fais. Je suis réduite à un physique.
Du côté des hommes, je deviens très vite la « fille à se faire », parce que rajouter une mannequin au tableau de chasse, apparemment, c’est sympa.
En plus d’être prise pour une débile superficielle, parce qu’être « jolie » et intelligente ce n’est pas possible comme combo tu comprends !
Non, je ne parle pas que de fringues et de mascara avec mes collègues. Beaucoup de ces filles sont très intelligentes, parlent plusieurs langues, ont des diplômes et sont souvent des femmes d’affaires redoutables.
Mais lorsque je rencontre des gens, si j’ai le malheur de mentionner mon métier, je ne deviens plus que ça. Comme une jolie étiquette posée sur mon front : la mannequin.
J’ai droit aux regards inquisiteurs, de haut en bas, jugeant sans état d’âme. Histoire de vérifier ma crédibilité par rapport à l’image que l’on se fait de mon métier.
Voire trop souvent à ce regard qui trahit cette pensée :
« Elle n’est pas si jolie que ça. »
Et cerise sur le gâteau : on m’a déjà comparée à une prostituée parce que « je vends mon corps ». Jamais on ne ferait cette réflexion à un déménageur monnayant ses muscles !
Ce que j’aime dans le métier de mannequin
Après tout cela, tu te demandes sûrement pourquoi je fais ce métier.
C’est que j’adore ce que je fais. Chaque jour est différent, nouveau, imprévisible. Toujours rencontrer de nouvelles personnes, gérer le stress et le trac qui montent avant d’être sur scène…
Cette sensation de réussite malgré la compétition, compétition que j’aime aussi d’ailleurs ! C’est un challenge constant !
J’aime ces transformations que je ne maîtrise pas, devenir une autre sous les mains de quelqu’un. Ne pas avoir le contrôle sur mon physique final et faire avec, défendre une sorte de nouveau personnage à chaque fois.
J’aime porter le dur travail d’un créateur et lire la fierté du travail accompli dans ses yeux au moment de le montrer au public.
Être pleine d’appréhension et d’excitation quand il me dit « tu es la plus belle, vas-y ». Avant de me lancer et de vivre ce moment de grâce si intense sous les projecteurs…
À ce moment-là j’oublie tout, je me sens capable de tout, et surtout de conquérir le monde.
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