« Je suis dominatrice professionnelle. Les hommes qui achètent une heure de mon temps m’appellent Madame, et quoi qu’ils se racontent, ce sont des clients.
Quand je les rencontre pour la première fois, et après les avoir dépouillés de leurs fringues et de leurs billets, je me juche sur mon bureau, et les somme de ramper nus dessous. Ils y trouvent le règlement intérieur des lieux, qu’ils doivent lire à voix haute, nonobstant le bâillon dont je les ai affublés.
1/ Madame ne me doit rien. Être à ses pieds est un privilège.
2/ La satisfaction de Madame passe avant celle de mon petit plaisir égoïste.
3/ J’obéis aux consignes que me donne Madame sans y réfléchir. Je ne la contredis jamais, même en pensée.
4/ Madame a toujours raison. Elle sait ce qui est bon pour moi mieux que moi.
5/ L’attention de Madame ne m’est pas due. Je ne mérite pas mieux que ce qu’elle daigne m’accorder. »
Extrait de Oui Madame, le manuscrit de Maylis
J’ai 38 ans et plusieurs identités — dont celle de Maîtresse Maylis, mon prénom de dominatrice BDSM. Pour moi, ce n’est pas un pseudonyme : c’est une vraie partie de moi.
Je suis aussi sexologue et artiste plasticienne. Et surtout, je suis féministe.
Ma vie de dominatrice professionnelle n’est pas tabou : elle est très assumée. Tout le monde autour de moi est au courant, et pendant longtemps, elle a pris plus de place dans ma vie que mon identité civile. Aujourd’hui, les choses s’équilibrent un peu.
L’univers du BDSM raconté par une dominatrice
« BDSM ça veut dire Bondage/discipline, Domination/soumission, Sado/Masochisme, mais c’est trop long à dire, et de toute façon, comme toutes les sexualités chelou n’ont rien trouvé de mieux pour s’abriter, ça ne dit plus grand chose de la réalité. »
Extrait de Oui Madame, le manuscrit de Maylis
J’ai du mal avec la norme, les cadres de vie un peu trop rigides. C’est dans les sphères où il existe une place pour les freaks que je me sens le mieux, et c’est pour ça que l’univers BDSM me correspond bien.
Ce terme regroupe plus que des pratiques sexuelles : c’est un grand parapluie sous lequel s’abritent bien des gens qui ont une sexualité non hétéronormative, qui ne se reconnaissent pas dans le concept de couple normé…
C’est aussi un univers très graphique. En tant qu’artiste, j’aime les images, les matières, la théâtralité et la créativité que cet univers permet d’explorer.
Comment j’ai découvert la domination féminine, ou femdom
Je suis venue au BDSM par curiosité — je me suis dit «Tiens, ça a l’air d’être un univers où on essaie d’autres choses ». À ce moment, je n’en avais pas encore conscience mais j’avais déjà une attirance pour la femdom : un univers codifié dans lequel le pouvoir est explicitement donné aux femmes. Elles régissent la sexualité, voire l’entièreté de leurs interactions avec les hommes.
Dans ma vie, j’avais l’impression que c’était l’inverse qui se passait depuis l’adolescence : je me sentais objet du désir des hommes, j’avais souvent la sensation de devoir l’assouvir pour payer le fait de l’avoir suscité.
Je n’imaginais même pas qu’il puisse exister des relations dans lesquelles des hommes aspirent à être dominés. Ça ne m’intéressait pas d’ailleurs ; quand j’ai mis un doigt dans l’engrenage, je crois que je sentais juste confusément qu’il me fallait reprendre le pouvoir sur mon intégrité physique et psychique dans les relations avec eux.
Je suis rentrée dans le milieu, d’abord de loin, puis j’y suis revenue. J’ai commencé avec un réseau social qui s’appelle Fetlife, où chacun peut exprimer ses kinks, et cela m’a ouvert la porte à des soirées privées.
C’est comme ça que j’ai découvert que la sexualité pouvait être autre chose que génitale, qu’un homme pouvait kiffer qu’on lui dise « Je me fous complètement de tes désirs, remercie moi d’être le porte-manteau quand je reçois mes copines. »
Mes débuts de dominatrice
J’ai eu un amoureux avec lequel j’ai exploré le BDSM. J’allais en soirée avec lui — en soumis — et il s’avère que les dominatrices sont souvent rares dans ce type d’espaces.
Beaucoup d’hommes seuls cherchaient des dominatrices ; j’en adoptais un ou deux et je faisais un peu de show.
Une des premières fois où j’ai commencé à jouer avec un soumis qui n’était pas mon compagnon, c’était avec un homme qui s’est approché de moi et a commencé à lécher ma botte. Je lui ai demandé ce qu’il était en train de faire, il m’a dit « Je tente, je n’ai rien à perdre ». Je l’ai giflé, et on a commencé à jouer ensemble : il léchait mes chaussures, je lui marchais dessus. C’était plus marrant qu’excitant.
Après chaque soirée, je partais avec des numéros de téléphone de mecs prêts à payer pour être dominés. Moi, j’avais besoin d’argent, je n’avais pas fini mes études, j’avais des travaux à faire chez moi… Ça s’est imposé comme une évidence, de faire la même chose, mais en étant payée.
Susciter le désir des hommes, même si j’en avais souvent souffert, jusqu’ici, je savais le faire. Il suffisait que je découvre que je n’étais pas obligée de l’assouvir pour changer la donne.
Ne plus subir la sexualité des hommes
J’avais passé ma vie à avoir l’impression que, parce que j’avais suscité du désir, il fallait que « j’assume ». Assumer, c’était « passer à la casserole », résoudre la tension sexuelle que mes interlocuteurs ressentaient.
Dans cette sphère sexuelle qui s’étalait aussi sur l’affectif, je ne me sentais pas libre, ni autonome : je subissais.
Ça peut paraître ahurissant, mais c’est avec le BDSM que j’ai découvert que c’était OK qu’un homme soit excité « par moi » sans que je ne doive pour autant répondre soit par un coït avec éjaculation pour le gentil monsieur, soit par de la culpabilité. Je me suis dit :
« Est-ce que performer cette inversion du pouvoir dans un cadre sexuel ça ne peut pas être réparateur face à cette sensation de subir la sexualité des hommes, que je ressens depuis toujours ? »
Je suis devenue dominatrice professionnelle
J’ai dégoté un lieu pour en faire un donjon, et je l’ai aménagé. Au début, j’avais assez peu de matériel, mais j’ai tendance à dominer avec presque rien : si j’ai une tasse de café et un morceau de sucre, je vais inventer des jeux autour de ça.
Aujourd’hui, c’est même devenu ma marque de fabrique de ridiculiser affectueusement les soumis pendant des activités anodines, comme vider l’eau d’une bassine dans une autre avec une cuillère percée, ou ramasser avec la bouche des punaises que j’ai fait mine de renverser.
Mon premier donjon était un lieu dans l’esprit boudoir, avec du velours et des chaînes. Il y avait une cage, une croix de Saint André. Aujourd’hui, mon donjon est le même lieu que mon cabinet de sexologue. En ouvrant un placard, en deux temps trois mouvements, on passe de l’un à l’autre.
Pour moi, c’est un peu la même chose, les deux facettes d’une même pièce. On y explore le plaisir, le désir, on cherche des réponses aux pulsions qui nous animent et au manque d’affection.
Car chez mes patients comme chez mes clients, il y a des problèmes de solitude, des fantasmes et des fétichismes qu’ils ne peuvent pas vivre avec leur partenaire, de la honte et du secret…
« La domination professionnelle vaut bien un stage en psychiatrie pour comprendre intimement les chemins que prend le désir, erratiques et mystérieux. De quoi est fait le sexuel ? Une bouche, un vagin. Une bite, des menottes, un doberman, de la cire, du chocolat.
Ce qui est excitant pour l’un laisse l’autre dégoûté ou indifférent. Découvrir que la sexualité de certains hommes consiste à se tartiner de purée puis à se cellophaner de la tête aux pieds, ça accroît autant la tolérance que la perplexité. »
Extrait de Oui Madame, le manuscrit de Maylis
Les paradoxes de la domination professionnelle
Le fait d’en faire un métier est un paradoxe en soi. Dans la femdom, les désirs des dominas devraient être ce qui prime. Mais dans le cadre du sexe tarifé, les clients arrivent avec leurs contraintes, leurs exigences : ils veulent avoir mal mais sans traces, veulent des coups dans les couilles mais seulement avec telles ou telles chaussures…
Comme dans tout commerce, si on veut qu’ils reviennent, il faut leur offrir un service qui correspond à ce qu’ils veulent.
Les dominas se retrouvent alors à devoir servir la soupe aux clients pour pouvoir gagner leur vie, ce qui implique souvent d’assouvir des fantasmes sexistes.
En théorie on va voir une domina pour son charisme, son autorité. Mais ce que veulent certains profils de clients c’est une meuf « baisable » qu’ils n’ont pas le droit de baiser. Avoir le pouvoir sur les opérations devrait être émancipateur, mais concrètement les travailleuses du sexe sont parfois esclaves de ce contre quoi elles luttent.
La plupart utilisent une bonne partie de leur salaire pour s’acheter des fringues sexy et des sextoys sophistiqués. J’ai des collègues qui, en vieillissant, prisonnières du jeu de la séduction et inquiètes que leurs clients changent de crémerie, bossent comme des brutes pour se payer des lifting et des chirurgies esthétiques.
C’est quand même con de faire bander des types pour pouvoir continuer à faire bander des types. Mais quand on est professionnelle de la domination, on fait aussi face à une date de péremption — certes relative, car certaines relations basées sur la vénération peuvent durer — très présente.
« (Mes clients) se braquent lorsque je parle de moi comme d’une pute. Aller voir une dominatrice, c’est encore plus absolvant que d’aller chez une escort. Ils ne supportent pas l’idée que je sois de la même engeance, ils sont convaincus et contents d’eux de ne pas se souiller en venant chez moi.
Et ça m’énerve de devoir admettre qu’ils ont un peu raison. J’écrase ma chatte sur leurs visages, je m’empale sur des godes sous leurs yeux, je malmène leur queue à longueur de séance. Mais c’est vrai que je n’ai pas eu à tapiner, que j’ai pu choisir la niche où les mecs sont là pour s’en tenir à désirer, où ils viennent justement pour ne pas baiser.
Et je ne peux m’empêcher d’observer que la frontière entre la prostitution et la domination tient dans les esprits, le mien compris, à l’injonction à la pénétration. »
Extrait de Oui Madame, le manuscrit de Maylis
« Ils se racontent qu’ils veulent être au service d’une femme, mais c’est une illusion »
Moi, j’ai tendance à casser le délire des clients qui fantasment des trucs très éloignés de la réalité. Ils se racontent qu’ils veulent être au service d’une femme, mais ce n’est souvent qu’une illusion ancrée dans du sexisme ! Ils veulent me donner un bain en s’imaginant que cela va me faire plaisir par exemple.
Mais moi, je n’ai pas envie d’être nue avec eux, ni qu’ils me touchent. Dans la vraie vie, je prends ma douche en deux minutes, et j’ai pas envie d ‘être savonnée tous les matins par un vieil homme. Ça n’a rien à voir avec ce que moi je veux, et donc avec la femdom.
J’essaie de faire en sorte que ma domination ne repose pas sur des représentations sexistes, des fantasmes qui ne sont pas en phase mes idées : je refuse par exemple les clients qui pensent que le sexe anal est une humiliation.
Sur ce plan, je sais que ma pratique est très différente de celle de certaines consœurs : j’ai le luxe de ne pas être dépendante financièrement de ma profession de dominatrice, alors je peux me permettre de ne pas accepter certains clients.
Les évolutions de mon métier
Je refuse notamment les hommes mariés, qui vivent dans un secret que le côté honteux rend excitant, les chefs d’entreprises qui arrivent avec une liste de pratiques comme une liste de courses, qui râlent sans arrêt…
Quand je suis devenue sexologue, ma vision du travail a évolué. Il y a eu plusieurs moments où cette mascarade m’a sauté au visage, le fait que je rejouais des choses que j’avais déjà vécues et dont je ne voulais plus : me rendre sexy pour des hommes bien plus âgés que moi, gérer des types aux égos surdimensionnés…
J’ai ressenti un écœurement progressif. Aujourd’hui, j’accepte moins de choses et je me permets des critères différents.
Même si ça n’est pas toujours simple au vu des paradoxes cités plus haut, je refuse de me sentir tenue de faire jouir mes clients à la fin du rendez-vous — c’est mon imaginaire érotique qui doit compter, pas le leur, et c’est mon défi de ne pas perdre ça de vue.
Mais il y a clairement moins de gens qui paient pour un service où on refuse de les traiter de chienne et de les branler pour terminer. Alors, celles qui ont besoin d’argent acceptent bien plus de choses.
Modeler les imaginaires érotiques
J’apprécie par contre travailler avec les débutants, parce qu’on peut forger leur univers BDSM : les faire déchanter de leurs illusions sexistes, modeler en partie leur imaginaire érotique, ou ce qui les fait fantasmer.
Mais même si je casse du sucre sur le dos des clients consommateurs, que j’appelle des « souminateurs », les « vrais » soumis ne sont pas moins problématiques. Ce sont souvent des gens qui n’ont aucune estime d’eux-même, ce qui les rend très vulnérables face à une femme en posture d’autorité. Moi, face à ce type de profils, j’ai envie de les aider à leur corps défendant, de les obliger à s’aimer ! Qu’ils sentent qu’ils peuvent faire autre chose de leur vie que de se sacrifier pour quelqu’un d’autre au nom du fait qu’ils ne vaudraient rien.
Au final, j’ai une approche très thérapeutique de cette activité. Ma croyance de sexologue, c’est que les univers érotiques peuvent être modelés tout au long de la vie, et que le BDSM peut être un outil pour faire changer certaines personnes. Dans une relation de domination/soumission, cette autorité, cette aura me sert à donner confiance en eux à certains.
C’est absurde, mais mon kink à moi, c’est qu’ils arrêtent de vouloir se soumettre. L’aspiration à la soumission peut être le signe d’une incapacité à choisir sa vie, à faire usage de sa liberté. Mon délire c’est de les obliger à s’ émanciper ce qui, si je veux des esclaves pour faire mon ménage, revient à me tirer une balle dans le pied !
Les compétences de la domina
Être dominatrice demande beaucoup de souci de l’autre et d’attention. À partir du moment où l’on installe un rapport d’autorité, il peut y avoir de l’emprise, alors on doit être au clair avec les limites des uns et des autres.
Il faut en quelque sorte une éthique, surtout face à quelqu’un de très maso, qui est prêt à s’affamer ou à se mettre à découvert. Il y a des dominas que ça fait jouir d’en profiter, moi ça me terrifie.
La dominatrice est garante du bien être et de l’équilibre du soumis. Et quand bien même cela peut passer par le fait de recevoir des ordres ou des privations, il n’est pas question de laisser quelqu’un courir à sa perte par idolâtrie.
Par ailleurs, la femdom a des branches et des pratiques différentes : la domination domestique, la gynarchie, l’univers de la chasteté masculine…
L’aboutissement de mon histoire à moi , c’est de ne pas me sentir obligée de gratifier sexuellement qui que ce soit, y compris mes soumis. Quand bien même ils érotiseraient mes ordres, ça ne l’est pas forcément pour moi, et ils en sont conscients : je suis plutôt du côté de la domination domestique.
J’en ai écrit un livre
Je suis bien consciente qu’asseoir son émancipation du désir des hommes sur la séduction, c’est une pratique jalonnée de paradoxes parfois inextricables.
La domination est donc un univers qui m’émeut beaucoup et qui nourrit à la fois ma réflexion et ma créativité. J’en ai fait un livre, publié en novembre 2022. Il s’intitule Merci Madame, et l’écriture a été une grande aventure d’introspection.
La sexualité est une clef de voûte, dans mon cas, des relations entre les hommes et les femmes hétérosexuels. Elle peut être le lieu d’une grande violence tout comme celui de l’émancipation. Ce livre est un coup de gueule, une invitation à regarder ce qui s’y rejoue des rapports sociaux du patriarcat, sous le beau costume de l’amour et de la libération sexuelle.
Et surtout, c’est une invitation à se connaître, à savoir ce qu’on aime et à oser le demander.
À lire aussi : Je t’emmène dans mon été du cul, à la découverte du BDSM
Crédit Photo : photo fournie par Maylis
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Les Commentaires
Est-ce que 1, en tant que domina je suis ok pour donner un coup pareil alors que ça me semble justement peu maîtrisable et que le risque d'entrainer des dégâts à longs termes est important 2, mec je vais pas acheter des Louboutins juste pour toi ou je vais pas changer de godasses 3 fois dans la séance juste pour que tu puisses comparer la sensation entre des crocs et des talons aiguilles.
Les client·es arrivent parfois avec des fantasmes qui ne sont pas réalisables. Comme quand tu t'imagines que ce serait super stylé et sexy de ken sous la douche sauf que tu te rends compte qu'en vrai c'est étroit, le carrelage est glacé, le robinet est brûlant, l'eau empêche une bonne lubrification et personne n'est assez souple et gainé pour que ce soit confortable et efficace.
EDIT : On parle de travail du sexe, les personnes qui te payent te font une liste de leurs attentes, c'est une prestation de service donc oui il faut que ça colle à peu près avec ce que veut le client et ce que toi tu es en capacité de proposer. Si tu dépasses les limites les clients ne reviendront pas ce qui est ballot pour tes affaires mais surtout.... Ben les TDS sont des champion·nes du consentement et sont souvent hyper attentif·ves à ce que les termes du contrat soient clairs avant de passer à la suite. Si une clause est foireuse on annule.