L’Occident fait produire et consomme énormément de vêtements dont les plus usagés finissent par être envoyés à l’étranger, comme dans le désert d’Atacama au Chili ou la ville d’Accra au Ghana. Certains y stagnent, d’autres saturent le marché de la seconde main locale. Si bien que des pétitions appellent à ce qu’on cesse d’exporter nos déchets textiles en Afrique, par exemple. Fin août, le président de l’Ouganda, Yoweri Museveni, a pris une décision plus ferme en interdisant l’importation de vêtements usagés occidentaux, estimant que cela empêche le développement de l’industrie locale. C’est une mesure déjà en place au Rwanda depuis 2016 par exemple.
Pourquoi l’Ouganda interdit l’importation de vêtements de seconde main ?
Seulement, certaines voix s’élèvent contre cette décision, comme Bobby Kolade, créateur ougandais et fondateur de la marque Buzigahill, qui a justement l’habitude de transformer les fripes pour les revendre à l’Occident. Dans une tribune publiée par le Guardian, il présente la mesure du président Yoweri Museveni comme une « violente gifle pour les communautés de tout l’Ouganda dont les moyens de subsistance dépendent du commerce de seconde main. Les importateurs, les vendeurs sur les marchés, les recycleurs, les créateurs de mode, les artistes et les gestionnaires de déchets trouvent depuis des décennies des moyens créatifs de vivre des déchets de la fast fashion ».
Selon l’Association ougandaise des revendeurs de vêtements et de chaussures d’occasion, plus de 4 millions d’Ougandais travaillent directement et indirectement sur la chaîne d’approvisionnement des vêtements et textiles de seconde main. Et donc en dépendent en plus ou moins grande partie. C’est pourquoi une application trop soudaine de la mesure du président Yoweri Museveni pourrait mettre en péril leurs affaires, d’autant qu’aucune indemnisation n’a (encore ?) été annoncée.
« Un monde injuste et colonial »
C’est ce qui amène le créateur ougandais Bobby Kolade à carrément parler de « suicide économique » et appelle plutôt à une élimination progressive de l’importation de textile d’occasion, dans sa tribune relayée par le Guardian :
« Si seulement nous pouvions interdire l’importation de vêtements déchirés et tachés. Ce n’est que dans un monde injuste et colonial que les importateurs ougandais sont aveuglément contraints d’acheter des lots de chemises blanches aux aisselles jaunâtres.
Une interdiction ne peut fonctionner que si les communautés concernées sont consultées et si des alternatives et des délais sont conçus collectivement. Les communautés savent ce dont elles ont besoin : écoutons-les et cocréons avec elles. »
Selon le designer Bobby Kolade, l’Ouganda a développé des capacités et richesses en repenser, réutilisant, upcyclant toutes ces matières importées, selon un idéal de mode circulaire, et gagnerait à s’en défaire progressivement :
« Il existe des alternatives locales qui ne créent peut-être pas 2 000 emplois à la fois, mais qui sont reproductibles dans des environnements respectueux de l’environnement dans les zones rurales. Soutenir les producteurs de soie ougandais ; réintroduire le tissage à la main dans les groupes de femmes rurales ; restructurer et responsabiliser l’industrie cotonnière afin qu’elle puisse retrouver son ancienne gloire ; investir dans la production de chanvre et de fibres de bambou. La production de matières premières devrait toujours être au cœur de toute industrie textile, et grâce à l’abondance des ressources en Ouganda, nous avons le potentiel d’exceller dans la production durable de fibres. »
« L’industrie textile ougandaise n’a pas les capacités de se passer des vêtements d’occasion»
Grâce au développement de sa propre marque d’upcycling, Bobby Kolade a une bonne vision de l’industrie, ce qui l’amène à la conclusion suivante :
« Après des années de recherche, nous l’avons admis : l’industrie textile ougandaise n’a pas les capacités de se passer des vêtements d’occasion. Au lieu de cela, nous redessinons désormais les vêtements d’occasion et les redistribuons dans les pays du Nord. »
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En ce sens, il appelle à soutenir la campagne de la Fondation Or, basée au Ghana, Stop Waste Colonialism (arrêtons le colonialisme par les déchets) qui vise une transition fondée sur la justice, pour passer d’une économie linéaire à une économie circulaire, en rendant les pays du Nord responsables de leurs déchets de fast fashion grâce au fonds de responsabilité élargie des producteurs. Ce qu’on désigne aussi en France par l’expression « pollueurs-payeurs ».
Enfin, l’Ouganda fait bien ce qu’il veut, c’est peut-être aussi, d’abord et avant-tout, aux pays du Nord de produire moins de vêtements, de les garder plus longtemps, les réparer, et gérer autrement ses déchets textiles sans prendre le reste du monde comme sa poubelle.
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Les Commentaires
Bon c'est difficile à dire, mais la question je suppose c'est est-ce que sur le long terme, le manque de ces vêtements usagés sera compensé par du changement dans l'industrie (surtout chez nous)?
Par contre je trouve l'idée derrière Stop Waste Colonialism super; je vais aller voir, merci pour l'info !