À quoi ressemble le style d’un nouveau riche ? Cette expression relativement méprisante renvoie à des personnes dont la fortune n’a pas été héritée, mais bien construite de son vivant, produisant un bond de classe sociale. Sauf que nos goûts, construits sociaux comme l’examinait Pierre Bourdieu dans La Distinction, en disent toujours plus long sur notre milieu d’origine que sur celui que l’on rejoint. Et la série Succession, qui suit les affres d’une famille d’ultra-riches, les Roy, vient d’en offrir une manifeste illustration.
Dans Succession, les protagonistes arborent plutôt un style dit « old money » (comprendre : plutôt classique, comme hérité par des parents et grands-parents aux goûts sûrs et sobres), également dit « quiet luxury » (un luxe discret, presque imperceptible de l’extérieur). Trop tapageurs, les gros logos apparents s’évitent comme la peste.
Le sac à main Burberry de la discorde des classes sociales
Sauf que le personnage de Bridget n’a pas eu le mémo, car elle n’a pas grandi dans ce faste qui ne dit pas son nom et s’entretient par des règles tacites. Dans le premier épisode de la saison 4, cette parvenue arbore un grand sac à main Burberry au motif check, c’est-à-dire le tartan signature de la maison britannique. Un cabas fourre-tout que le personnage de Tom Wambsgans juge « ridiculement volumineux ». Il a beau coûter près de 2 500 €, son imprimé voyant qui sert à signaler qu’il vient de chez Burberry, et donc symbolise un certain budget, l’accessoire paraît donc trop ostentatoire, utilitaire, et donc de mauvais goût.
Mais mauvais par rapport à quoi ? Car le goût et le dégoût n’existent jamais ex nihilo, il s’agit de construits sociaux comme l’écrivait Bourdieu dans La Distinction :
« Les goûts (c’est-à-dire les préférences manifestées) sont l’affirmation pratique d’une différence inévitable. Ce n’est pas par hasard que, lorsqu’ils ont à se justifier, ils s’affirment de manière toute négative, par le refus opposé à d’autres goûts : en matière de goûts, plus que partout, toute détermination est négation ; et les goûts sont avant tout des dégoûts, faits d’horreur ou d’intolérance viscérale (« c’est à vomir ») pour les autres goûts, les goûts des autres. »
Pierre Bourdieu, La Distinction, Critique sociale du jugement (1979).
À lire aussi : Burberry change de logo et de look sous Daniel Lee, nouveau directeur artistique : bourgeois présage ?
Le clash plein de mépris de classe du style old money versus nouveau-riche
À lire aussi : Que raconte le sac-chaise inutilement brillant de Christine Quinn dans Selling Sunset ?
Dans un espace rempli de personnes plus modestes, ce cabas aurait pu signaler le personnage de Bridget dans la série Succession comme aisée. Mais auprès des plus fortunés, il la signale comme une parvenue, une nouvelle riche qui n’a pas (encore ?) acquis les codes tacites du milieu social qu’elle rejoint. Le personnage de Tom Wambsgans assène ainsi au sujet de la taille de son fourre-tout qu’il juge grotesque :
« Qu’est-ce qu’il y a, même, là-dedans ? Des chaussures plates pour prendre le métro ? Il est gargantuesque. Vous pourriez le prendre pour du camping. Vous pourriez vous en servir comme luge. »
Le dégoût des autres pour affirmer son bon goût à soi
Cette tirade pleine de mépris de classe illustre à quel point cette série peut fasciner par ce qu’elle raconte des violences sociales. Bridget peut bien voir son propre sac à main comme un symbole de sa réussite financière, sa taille la trahit aux yeux des ultra-riches comme une parvenue, longtemps habituée à ramener sa gamelle pour le déjeuner. A contrario, les Roy préfèrent le luxe discret de maisons plus confidentielles comme Loro Piana, Max Mara, Brunello Cucinelli ou encore Bottega Veneta.
Notons enfin que c’est Tom qui tient ces violents propos classistes. Or lui-même est le dernier venu dans la famille Roy. Tenir un tel discours, juger Bridget comme une intruse, peut donc apparaître comme une volonté de sa part à lui de s’affirmer comme ayant bien appris les codes tacites du milieu qu’il rejoint. Son mépris de classe tente de le verbaliser comme étant à sa place. Contrairement à un plus vieil épisode où il portait une doudoune sans-manches au logo Moncler bien apparent lors d’un événement important. Roman Roy s’est alors permis d’ironiser : « Jolie doudoune, Wambsgans. Elle est tellement gonflée. De quoi est-elle fourrée ? Tes espoirs et tes rêves ? »
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.