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Chloé Lopes Gomes témoigne pour Madmoizelle // Source : Madmoizelle
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Chloé Lopes Gomes, danseuse classique en lutte contre le racisme dans l’univers des ballets

Danseuse de ballet française, Chloé Lopes Gomes se forme au conservatoire de Nice, puis au Théâtre Bolchoï de Moscou, avant d’intégrer l’Opéra niçois et le Béjart Ballet de Lausanne. Mais c’est au Staatsballett de Berlin qu’elle subit du racisme, comme elle l’écrit dans son livre autobiographique, Le Cygne noir, paru chez Stock en mai 2023. Témoignage d’une ballerine à la barre contre le racisme.

« Aucune place n’est jamais donnée. Au mieux, elle s’acquiert, au pire, elle se conquiert. Ouvrir les portes ou les enfoncer quand elles restent closes, c’est ma seule option, mon seul credo », écrit Chloé Lopes Gomes dans son ouvrage autobiographique Le Cygne noir, publié aux éditions Stock le 3 mai 2023. Née en 1991, cette danseuse classique s’est formée au Conservatoire de Nice, puis à l’École nationale supérieure de danse de Marseille, avant d’être admise à l’Académie du Bolchoï où elle a étudié quatre ans. Ce n’est pas dans la dureté de l’enseignement à la russe qu’elle a été confronté au racisme dans l’univers du ballet, mais plutôt en Allemagne, quand elle est devenue la première danseuse noire à intégrer le Staatsballett de Berlin. Après avoir dénoncé publiquement et juridiquement en 2021 le racisme subi de la part d’une maîtresse de ballet, elle poursuit sa carrière en solo, toujours plus engagée. Pour Madmoizelle, elle revient sur son parcours impressionnant, alors qu’elle a lancé sa plateforme en ligne de cours de barre, workout, streching et yoga, Boldstep.

La première danseuse noire à intégrer le Staatsballett de Berlin

« À l’âge de quatorze ans, j’ai tout quitté, ma famille, mon pays, mes amis pour aller me perfectionner au Bolchoï Ballet Academy de Russie, qui est considéré comme l’une des plus prestigieuses écoles de danse au monde. L’enseignement à la russe est très différent de l’enseignement français. C’est extrêmement exigeant. Le Bolchoï m’a appris la vie, la rigueur, la discipline, le dépassement de soi. En 2018, j’intègre la prestigieuse compagnie de Berlin, le Staatsballett. La maîtresse de ballet a dit clairement qu’on ne devait pas m’engager parce que j’étais noire et que d’un point de vue esthétique, une personne de couleur noire faisait tache dans un corps de ballet.

J’étais la première femme noire à intégrer le Staatsballett de Berlin et la seule, aussi, danseuse noire sur les 95 danseurs. Elle (la maîtresse de ballet) me disait quand j’étais pas en ligne avec les autres qu’on ne voyait que moi parce que j’étais noire. Quand je n’étais pas mise avec les autres, on ne voyait que moi parce que j’étais noire. Elle a refusé de me donner un voile blanc dans La Bayadère parce que ce voile était blanc et que moi, j’étais noire. Je sais qu’à Berlin, il y a des rôles qui m’ont été refusés parce qu’il y a un chorégraphe qui était venu, qui voulait me donner un rôle de soliste et on lui a dit que ce n’était pas possible avec moi.

« Ce n’est ni en Russie, ni en France que j’ai connu le racisme, mais en Allemagne »

J’ai grandi dans le sud de la France, à Nice puis à Marseille. Et c’est vrai que là-bas, je n’ai jamais vécu le racisme, ni en Russie d’ailleurs. Et ça, je pense que c’est important de le dire parce qu’il y a beaucoup de gens qui fantasment sur la Russie. Mais, dans mon expérience personnelle, je n’ai jamais vécu le racisme. Donc le racisme, je l’ai vécu pour la première fois en Allemagne. Ça a eu des répercussions parce que pendant trois ans, je travaillais sous la tutelle de cette maîtresse de ballet. Ça affectait mon mental, ça affectait mon physique.


Je me suis blessée et j’ai senti que tout était lié parce que j’hésitais quand je dansais. J’étais en arrêt pendant huit mois et ça a été extrêmement difficile après pour moi de revenir dans ce contexte-là. C’est vrai que dans le milieu de la danse, c’est très rare les danseurs en tout cas, qui prennent la parole parce qu’il y a vraiment une omerta qu’on alimente de peur de perdre nos contrats.

L’omerta du milieu de la danse sur ses violences

J’en avais averti la direction et la direction n’a rien fait malheureusement pour me protéger. Le pouvoir que l’institution lui donnait était totalement démesuré car elle était protégée par un contrat à vie. Et les contrats à vie en Allemagne, ce ne sont pas les CDI qu’on peut connaître en France. En Allemagne, on ne peut pas se faire licencier même pour faute grave.

J’avais donc deux options, soit je partais, soit je restais et je subissais. Je suis restée, j’ai subi malheureusement. Puis le COVID est arrivé. Mon directeur est parti. On s’est retrouvé sans aucune direction et je me suis fait licencier du jour au lendemain. Quand j’en ai averti le sénateur de la Culture et le directeur de l’Opéra, ils m’ont dit tout simplement que j’avais été licenciée parce que je ne “fitais” pas.

Quand je leur ai demandé : “Comment vous savez que je ne fit pas ? Parce que vous ne m’avez jamais vue sur scène”. Ils m’ont dit que c’étaient les maîtres de ballet qui avaient dit ça. Donc, j’ai tout de suite compris que, logiquement, c’était elle, la maîtresse de ballet, qui était l’initiatrice de mon licenciement. Je leur ai dit : “J’accepte ce licenciement parce que dans tous les cas, j’ai beaucoup trop souffert toutes ces années. Je n’ai pas envie de rester ici. En revanche, j’ai vraiment envie que maintenant, des mesures claires soient prises contre cette maîtresse de ballet”. On m’a promis que des workshops allaient être organisés pour sensibiliser le staff et que cette maîtresse de ballet allait être suspendue pendant quelques mois.

Que dit la loi allemande concernant le racisme au travail ?

Or, au bout de plusieurs mois, j’ai constaté que rien n’avait été fait. Donc, à ce moment-là, j’ai juste vécu la situation comme une profonde injustice. Je me suis dit : “C’est quand même moi la personne qui a vécu le racisme, c’est moi qui perds mon travail”. Il y a cette loi en Allemagne, la loi AGG qui dit que lorsqu’on est victime de discrimination ou de racisme, on a seulement deux mois pour porter plainte après les faits.

La plupart des Allemands ne connaissent absolument pas cette loi, donc les étrangers encore moins. Malheureusement, je n’ai pas pu porter plainte directement contre cette maîtresse de ballet parce que les derniers faits remontaient à quatre mois et non à deux mois. Mon seul recours a été de porter plainte contre l’institution pour qu’ils reconnaissent officiellement que j’avais vécu le racisme et qu’ils ne m’avaient pas protégée.

Avant le procès, il y a eu une médiation. Le juge m’a dit clairement que si j’engageais vraiment une procédure, ça pourrait prendre des années et que financièrement, ça risquait d’être extrêmement lourd. Et parallèlement, le juge s’est tourné vers le manager du Staatsballett et lui a dit : “Si vous empruntez cette voie, nous allons parler à chacun des danseurs et vous allez devoir prouver qu’elle n’a jamais subi de racisme”.

Pourquoi Chloé Lopes Gomes a écrit le livre Le Cygne noir

J’avais des témoins. Le Staatsballett a pris peur, je pense. Donc ils m’ont proposé de me rendre mon contrat et de me dédommager d’une certaine somme, qui a pu contribuer à couvrir une partie de mes frais d’avocat. Quand bien même, j’ai décidé de partir. J’avais été licencié en octobre, mais je devais quand même finir la saison donc quitter la compagnie officiellement en juillet 2022. La maîtresse de ballet avait arrêté bien évidemment de me discriminer parce que c’était partout dans la presse. Mais c’était très difficile en fait d’engager une procédure judiciaire et de continuer à évoluer au sein de cette institution. En tout cas, avec mon affaire, j’ai créé un précédent en Allemagne. Dorénavant, les personnes qui subissent le racisme pourront aussi se référer à mon histoire.

Ça faisait longtemps que je voulais écrire ce livre, Le Cygne noir. J’avais beaucoup de choses à dire sur mon parcours, sur mon enfance, sur le milieu de la danse. Dans cet univers, il y a des barrières qui sont tout d’abord sociales et économiques, parce que ce milieu coûte extrêmement cher. Les minorités n’ont pas forcément accès quand on vit en dehors de Paris, dans les banlieues. Donc c’est de la responsabilité des directeurs d’école d’aller chercher les futurs talents de demain notamment dans les cités, d’organiser des workshop gratuits, afin de trouver des talents insoupçonnés.

Le Cygne noir Chloé Lopes Gomes // Source : Chloé Lopes Gomes / Stock

Le Cygne noir, de Chloé Lopes Gomes

Les nombreuses barrières économiques et sociales qui empêchent d’intégrer le milieu de la danse classique

Au niveau de l’enseignement, la plupart des conservatoires sont bien évidemment gratuits en France. Toutefois, il faut toujours payer les internats la semaine. Il faut toujours payer les familles d’accueil le week-end. Donc je pense que ça serait aussi important que le ministère de la Culture aide à financer tout ça, pour les parents qui n’ont pas les moyens. La plupart des gens pensent que les danseurs sont riches parce que aller à l’opéra coûte extrêmement cher (une bonne place vaut entre 80 et 150 €). Mais c’est faux. Et quand on est une famille nombreuse, on ne peut pas forcément se payer ces places.

Nous, danseurs, on va devoir prendre des avions, des trains pour se présenter à une audition, payer l’hôtel, cumuler plusieurs voyages à la suite. Dans mes frais d’audition, j’ai dû en tout et pour tout dépenser pendant toute ma vie 20 000 €. Et puis, une fois qu’on a la chance, ou pas, de décrocher un contrat en compagnie, la plupart du temps, ce sont des CDD de trois, quatre mois, voire un an. Notre précarité est extrêmement forte. Dès qu’on tombe enceinte, c’est un an et demi d’arrêt. Lorsqu’on est blessé aussi, on peut être en arrêt trois mois, des fois aussi pendant deux ans. Donc c’est très dur après de revenir dans le game.

À lire aussi : « La précarité est bien une violence faite aux femmes »

« Les arts vivants, et notamment le ballet, devraient être faits pour tout le monde »

L’ancienne génération dans le milieu de la danse classique peut être nostalgique d’une certaine époque. L’époque où la danseuse classique représentait une certaine pureté et qu’elle devait être en conséquence être interprétée par une femme blanche. Alors que la femme noire peut être perçue comme sauvage, animale. Les personnes qui ne connaissent rien à la danse pensent que cet art doit être dansé par des personnes blanches au même titre qu’une personne blanche ne devrait pas faire de la danse africaine ou twerker. Alors que c’est totalement faux.

Les arts vivants, et notamment le ballet, devraient être faits pour tout le monde. Aujourd’hui, on vit dans une société qui est multiculturelle. À l’Opéra de Paris, là, ils sont six métisses. Ce qui est beaucoup pour une compagnie classique. Mais ce qui est aussi très peu quand on sait qu’ils sont 150 danseurs. Il y a eu récemment la nomination de Guillaume Diop à l’Opéra de Paris : il est passé de sujet directement à étoile, sans passer par la case “premier danseur”, c’est vraiment exceptionnel. Nous avons aussi Marcelino Sambé et Francesca Hayward, deux danseurs de couleur au Royal Ballet de Londres. Ça veut dire aussi que la société est prête aussi à voir des danseurs noirs incarner des princesses, des fées, des sorcières, des cygnes blancs, des cygnes noirs. Parce que n’oublions pas que les rôles que nous incarnons, ce ne sont pas des personnalités historiques qui ont réellement vécu, comme Nelson Mandela ou Marilyn Monroe [mais plutôt des personnages de fiction ou des allégories, ndlr]. »

En plus des cours en ligne disponibles 24h/7j que Chloé Lopes Gomes dispense sur boldstep.fr, elle donnera des cours en présentiel à Paris durant le mois de septembre 2023 : tous les lundis midi au Studio 16 (66 Rue Nicolo, 75116 Paris), et les mercredis soir à la maison Muller (6 Rue Muller, 75018 Paris).

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Les Commentaires

1
Avatar de rock-poppy
23 juillet 2023 à 12h07
rock-poppy
Merci pour cet article! C’est rare que les danseurs dénoncent ouvertement le racisme, le sexisme, etc. La danse classique étant si rigide qu’elle impacte même le discours. Heureusement ça bouge un peu.
1
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