Il est d’usage de dissocier la précarité des femmes des violences faites aux femmes dans la lutte pour l’égalité. Pourtant, la précarité est bien une violence faite aux femmes, elle est souvent la première étape d’un enchevêtrement de violences, et la crise sanitaire a révélé l’ampleur de ce phénomène genré. Sans reconnaître la précarité comme une violence, nous nous privons des moyens adéquats pour combattre ce fléau.
La précarité : une violence genrée
La crise sanitaire a creusé les inégalités et a contribué à la paupérisation de populations déjà fragilisées. En France et dans le monde, les femmes, qui occupent la majorité des emplois dits de première ligne — ces emplois essentiels durant les confinements — sont aussi parmi les plus précaires. Rappelons que les femmes constituent 70% des travailleurs pauvres et que les hommes continuent à percevoir un revenu salarial (en comptant tous types de temps de travail) 30% supérieur à celui des femmes, toutes formes d’emploi confondues.
La crise vient donc mettre en lumière le caractère genré de la précarité, puisqu’on constate, une fois de plus, que la précarité touche plus les femmes que les hommes. Les différentes formes de précarité, parmi lesquelles la précarité économique est particulièrement frappante, constituent une violence faite aux femmes : elles sont à la fois les premières touchées, les plus touchées, et les moins aptes à réintégrer le marché de l’emploi, une fois la crise passée.
Dans la pluralité des violences faites aux femmes
La précarité forme alors un continuum de violences, parce que le manque de ressources financières et la perte de sécurité qui caractérise la précarité empêchent de mener une existence stable. Ces femmes doivent souvent choisir entre se nourrir, se loger, ou mettre à l’abri leurs enfants.
Cette violence est aussi physique en ce qu’elle a des conséquences sur la dignité de ces femmes précaires. Elle prend enfin une forme socio-économique, dans la mesure où les femmes ne possèdent pas les mêmes droits et revenus que les hommes et elles voient leur insertion socioprofessionnelle entravée par les différentes formes et conséquences de cette précarité.
Pour les femmes qui sont mères, cette situation impacte également directement leurs enfants. Depuis le début de la crise sanitaire, 100.000 nouveau-nés ont basculé dans la précarité ; aujourd’hui en France plus de deux millions de familles dépendent de l’aide alimentaire pour survivre, et parmi eux, 300.000 bébés ne peuvent être nourris à leur faim ou changés autant de fois que nécessaire.
D’après une étude de l’INSEE, elles sont aussi à la tête de 85% des familles monoparentales et parmi ces familles, un tiers vit sous le seuil de pauvreté. Ce sont pour ces raisons que Humanity Diaspo lutte depuis 2018 contre la précarité hygiénique et menstruelle,
qui touche près de 2 millions de femmes aujourd’hui en France.
Nous luttons également contre la malnutrition infantile, conséquence directe de la précarité qui touche les mères de ces nourrissons et enfants en bas âge. Depuis le premier confinement, nous luttons aussi contre la précarité étudiante à travers des distributions de produits de première nécessité alimentaires et hygiéniques, dont 70% des bénéficiaires sont des filles et femmes.
Le nombre de bénéficiaires de ces distributions et soutiens a augmenté de manière exponentielle : nous approchons des 80.000 bénéficiaires en Île-de-France depuis la mi-juin, dont plus de 8.000 nourrissons et enfants en bas âge.
La précarité ronge les femmes d’abord, et nous manquons de moyens appropriés et d’engagements concrets de l’État pour venir à bout de cette situation. Toutes les structures qui agissent dans ces domaines doivent pouvoir être considérées comme agissant contre les violences. Il est donc primordial de prendre en compte les intersections entre la précarité et les violences afin d’apporter des réponses adaptées.
En élargissant le spectre de la définition des violences faites aux femmes, les structures qui accompagnent ces femmes seraient armées pour effectivement en finir avec la précarité, trop souvent à la racine des violences, notamment physiques et psychologiques, faites aux femmes.
Lutter contre la précarité, une violence faite aux femmes
Il est désormais indispensable, au vu de l’ampleur de la précarité des femmes, que cette problématique soit prise en compte par les pouvoirs publics et qu’elle soit, plus que remise à l’ordre du jour, prise en charge dans les plans de relance et les politiques publiques durant et post-crise sanitaire.
La situation actuelle met en lumière l’incapacité du gouvernement à répondre à l’augmentation constante de la précarité des femmes comme enjeu spécifique de la violence faite aux femmes. Les associations ne peuvent se charger seules de répondre aux besoins de millions de personnes sans soutien de l’État.
Il est impératif de voir en la précarité un continuum de la violence, et d’intégrer la lutte contre la précarité, notamment en incluant la précarité hygiénique et menstruelle, dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
Il est nécessaire que l’État investisse au moins 0,1 % du PIB pour lutter contre les violences faites aux femmes, afin de donner aux structures qui œuvrent au quotidien pour combattre cette violence, au même titre que n’importe quelle autre violence, des moyens d’y parvenir.
Lutter contre la précarité et permettre aux femmes de s’autonomiser économiquement est le préalable indispensable à la lutte contre toutes les autres formes de violence basées sur le genre.
Le Forum Génération Égalité, le plus grand évènement international féministe depuis 26 ans, constitue une opportunité exceptionnelle pour que la France s’affirme, à travers ses actes, comme leader pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Le président Emmanuel Macron a déjà déclaré que l’égalité était la « grande cause du quinquennat », et qu’il est « profondément féministe » : un an avant l’élection présidentielle, maintenant est l’occasion ou jamais pour le président de tenir ses engagements.
- Humanity Diaspo
- Laura Jovignot, militante féministe à #NousToutes
- Le Fonds méditerranéen pour les femmes
- L’association !d santé
- L’association Femmes-Relais de Gennevilliers
- L’association Femmes et Dignité
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Les Commentaires
Parce que pour moi "la précarité est au coeur des violences faites eu femmes", ça n'est pas la même chose que "la précarité est une violence faite aux femmes"
Je n'ai pas envie de tomber dans le NotAllMen, mais je dois avouer que je trouve le titre de l'article un peu violent, et réducteur
En revanche, la mise en avant des chiffres est édifiante et ça mérite clairement qu'on attire l'attention sur le sujet