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« Femme battue, homme promu » : les Calédoniennes exigent l’exemplarité des hommes en uniforme

Alors qu’en Nouvelle Calédonie, 1 femme sur 5 est victime de violences conjugales, le collectif féministe calédonien Collage de Mass* revient sur la promotion du colonel Steiger sur le territoire dans une tribune puissante.

Le 18 août 2021, Mediapart publie une enquête sur le colonel Éric Steiger : 3 mois après avoir été condamné par la justice pour violences conjugales, ce dernier est promu à la tête de la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie.

Cette révélation a l’effet d’une bombe pour nous, militantes féministes de Calédonie et d’ailleurs. Alors que nous tâchons tous les jours de dénoncer, de défendre, d’aider et de soutenir les calédoniennes victimes de violences conjugales, le patriarcat nous montre encore une fois à quel point sa présence est tentaculaire auprès de nos politiques.

Les personnes – pour ne pas dire les hommes – qui ont promu Éric Steiger ne pouvaient ignorer les faits. Ils le savaient, et l’ont pourtant placé en âme et conscience à la tête de la gendarmerie sur un territoire où 1 femme sur 5 est victime de violences conjugales.

C’est d’ailleurs un triste record national que détient la Nouvelle-Calédonie : en 2017, 19% des femmes déclaraient avoir été victimes d’agression physique par leur (ex-)conjoint, contre 2,3% en métropole. Autre chiffre accablant : d’après le Grenelle contre les violences conjugales de 2019, le nombre de plaintes pour violences conjugales enregistrées par les forces de police en Nouvelle-Calédonie est égal à celui des Yvelines, un territoire qui compte 1,7 millions d’habitants contre 270 000 en Nouvelle-Calédonie.

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Au début de l’année 2021, la Nouvelle-Calédonie a tristement illustré ces statistiques macabres avec le double féminicide du Mont Dore. La nomination du colonel Steiger a donc une résonance particulièrement forte ici, où les violences masculines sont décuplées. 

Rappelons inlassablement que le privé est politique : on ne peut pas dissocier le mari du gendarme. Ce qu’on fait dans l’intimité de son couple transpire du côté professionnel, et l’uniforme n’immacule pas l’homme qui le porte. Comment pourrait-on nommer chef de caserne un pompier pyromane ?

On ne peut pas être à la fois celui qui protège et celui qui agresse, violente, bat… Et pourtant, en 2016 la Fédération Nationale Solidarité Femmes révèle que 9,5% des appels passés au 3919 sont ceux de conjointes de policiers ou militaires (lorsque la profession de l’auteur présumé était renseignée).

À cela s’ajoute une véritable omerta quant aux affaires de violences conjugales qui impliquent des membres de force de l’ordre. Alizée Bernard, battue pendant des années par un gendarme, témoignait dans Libération en 2020 :

« Aux violences viennent s’ajouter la non-prise en charge, les défaillances, la multiplication des procédures, la lenteur de la justice… ».

Alors que porter plainte demande beaucoup de courage et de détermination pour une femme victime de violences, comment peut-on l’encourager à se rendre au commissariat quand il n’existe aucune exemplarité au sein, voire à la tête, de ces institutions ?

Gérald Darmanin déclarait le 1er août dernier que tout représentant des forces de l’ordre condamné pour violences conjugales ne devait plus être en contact avec le public. Pourtant, d’après la loi : « avoir une ou plusieurs condamnations sur le casier judiciaire, c’est se priver l’accès à des emplois de la fonction publique (pompier, policier, gendarme, militaire, professeur, éducateur …) ».

Cela semble soulever un problème au sein de la justice : comment doivent-être traités les dossiers des hommes dont la carrière est déjà entamée ? Ne devrait-il pas être tout bonnement interdit d’exercer un métier de la fonction publique ? 

Tandis que nous, qui collons de simples feuilles de papier sur les murs, risquons l’ouverture de notre casier judiciaire, celui de Steiger restera vierge de toute condamnation pour violences conjugales, sur décision du tribunal. Là encore, il y a deux poids et deux mesures.

Nous déplorons que les institutions soient patriarcales et protectrices des bourreaux alors que les colleuses qui les dénoncent craignent, à juste titre, de ne plus pouvoir exercer leur profession en cas d’ouverture de leur casier judiciaire. 

La réaction du ministre de l’Intérieur, lui-même visé par une enquête pour viol, met en exergue un système patriarcal omnipotent. Gérald Darmanin parle de « cabale » alors que les faits sont avérés et que le colonel Steiger les a reconnus devant la cour d’appel. Nous sommes témoins, encore une fois, de la trop grande complicité masculine dont bénéficient les hommes : les auteurs (accusés ou condamnés) de violences se protègent et se soutiennent entre eux indifféremment, dans les hautes sphères comme dans les plus petits milieux.

Pour preuve, cette promotion qui casse le mythe selon lequel les dénonciations des violences masculines détruiraient les carrières professionnelles de ces mêmes hommes. Cette solidarité reste le plus puissant levier de perpétuation de la domination masculine : tant que les hommes ne s’impliqueront pas de manière active dans la lutte contre les violences faites aux femmes, ils resteront complices de celles-ci.

Hélas, les DOM-TOM sont une porte de sortie bien pratique pour éloigner les hommes des lieux qu’ils ont remués. À l’image du bagne d’antan en Nouvelle-Calédonie, où on envoyait les condamnés sur les « terres de la punition », aujourd’hui, on leur propose une promotion… Une mesure d’éloignement, une mutation aux couleurs de ciel azur et de sable blanc, un déménagement tous frais payés avec un salaire revalorisé. 

Cette pratique d’éloignement se constate aussi quand des prêtres reconnus pour avoir agressé sexuellement des mineurs sont envoyés dans les territoires d’outre-mer français comme Jean-Marie Vincent à la Réunion.

À cette échelle, on peut parler d’exfiltrations internationales en interne. Même phénomène dans le corps enseignant, où il semblerait que pour régler les problèmes on les change d’académie : en 2012, Frédéric E. jugé pour « atteinte sexuelle sur mineur par une personne abusant de l’autorité de sa fonction », ne sera pas interdit d’exercer mais simplement muté.

Peu importe le corps de métier, dans la fonction publique, on en vient à se demander si la distance géographique ne permettrait pas de mettre l’affaire sous le tapis : ce qu’on ne voit pas n’existe pas, ce qu’on ne voit plus n’existe plus. Et la protection par ses pairs permet le fameux « droit à l’oubli ».

Pourtant, les femmes dont la vie a été détruite n’oublient rien. 

Hélas les violences misogynes ne sont pas l’apanage d’une ethnie ou d’un milieu social. En Nouvelle-Calédonie, qui souffre d’un lourd passé colonial, certains élus et politiques Kanaks restent intouchables.

Pour ne citer qu’eux : Paul Néaoutyine, condamné à seulement 2 mois de prison avec sursis pour violences conjugales est aujourd’hui toujours président de la Province Nord ; Anthony Lecren, condamné à 6 mois de prison avec sursis pour le même délit, exerce encore en tant que membre du gouvernement.

Au sein du gouvernement calédonien, l’unique femme contre dix hommes, Madame Isabelle Champmoreau, est en charge de l’enseignement, de la santé scolaire, de la famille, de l’égalité des chances, de la lutte contre les violences conjugales et du bien-être animal. Oui, tout cela en même temps, dans des domaines du « care » dont les hommes se préoccupent très peu…

Il est certain que cette sur-représentation masculine en politique nuit au traitement des violences sexistes. Étant donné que 96% des violences au sein des couples sont commises par des hommes, il serait temps de laisser davantage de place aux femmes en politique, afin d’espérer que ce genre de scandale ne se reproduise plus. 

Nous tenons à remercier Sophie d’avoir eu le courage de témoigner de son histoire auprès de Médiapart, sans qui cette affaire serait restée étouffée.

Cependant plusieurs questions nous préoccupent : que va devenir Éric Steiger ? Qu’en est-il des autres hommes, condamnés pour violences conjugales, sexistes ou sexuelles, encore membre de la fonction publique ? Pourquoi la justice et les différentes institutions continuent de protéger les bourreaux ?

Nous, femmes du collectif Collages de Mass*, persisterons à porter nos voix sur les murs de la Nouvelle-Calédonie tant que le système patriarcal continuera d’empoisonner nos vies et tant que les hommes ne nous considèreront pas comme leurs égales. 

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Logo du collectif calédonien Collages de Mass

* En Nouvelle-Calédonie, Mass est utilisé comme un diminutif de « ma soeur ».

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À lire aussi : Entre silence et demi-vérité, Darmanin et Schiappa rament face à l’affaire Steiger

Crédit photo : Gilles Caprais

Violences conjugales : les ressources

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :


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