En mai 2021, un terrible féminicide secouait la France : celui de Chahinez Daboud, une mère de famille de 31 ans, brûlée vive devant son domicile à Mérignac (Gironde) par son ex-conjoint. Elle avait pourtant alerté sur le calvaire qu’elle subissait au quotidien et sur ses craintes de représailles, et avait déposé plainte à la police.
On apprenait pourtant deux mois après son décès qu’un tel drame était survenu en raison de multiples défaillances dans la chaîne judiciaire. À commencer par celle concernant l’agent de police qui avait pris sa plainte et qui a lui-même fait l’objet d’une condamnation pour violences envers son ex-conjointe.
Comment traiter de manière impartiale une plainte pour violences conjugales et apporter à la victime la protection nécessaire quand on a soi-même été condamné pour des faits similaires ?
Cette affaire, et les questionnements qu’elle suscite, ont été le point de départ du travail Sophie Boutboul et Ilioné Schultz. Alors que France 2 se mobilise cette semaine à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, les deux journalistes ont consacré un documentaire au phénomène des violences conjugales au sein des forces de l’ordre. Il est diffusé ce jeudi 23 novembre dans Complément d’enquête.
Intimidations et esprit de corps
Car les violences conjugales au sein de la police et de la gendarmerie sont loin d’être marginales. Selon les chiffres que Sophie Boutboul et Illioné Schultz ont réussi à se procurer auprès du ministère de l’Intérieur, 470 policiers et 430 gendarmes ont été mis en cause dans des affaires de violences conjugales, entre 2021 et aujourd’hui. « On ne peut pas vraiment savoir si les chiffres du ministère sont exhaustifs, explique à ELLE Sophie Boutboul. Quand ces policiers et gendarmes restent en poste, ils restent en contact avec des victimes. Nous voulions montrer l’impact que cela pouvait avoir sur la société. »
Après le féminicide de Chahinez Daoud, Gérald Darmanin avait annoncé que tout policier ou gendarme condamné pour violences conjugales ne devait plus être en contact avec le public. Le documentaire montre pourtant que cette consigne est loin d’être appliquée. Pire : les journalistes ont démontré que certains officiers en charge de brigades spécialisées dans les violences intrafamiliales sont eux aussi mis en cause dans des affaires similaires.
Sophie Boutboule et Illioné Schultz sont allés les confronter, et ont aussi donné la parole à d’anciennes compagnes de policiers ou gendarmes violents. Comme Anaïs, qui vit dans la peur de son ancien concubin, fonctionnaire dans une brigade canine, et qui utilise les moyens mis à sa disposition dans le cadre professionnel pour la surveiller et la menacer.
« Dans le discours de ces policiers et gendarmes, on retrouve une forme d’intimidation liée à l’utilisation de leur fonction. Toutes les femmes que nous avons rencontrées rapportent des propos du type : ‘C’est moi le gendarme, c’est moi la loi !’ Ou encore : ‘C’est ta parole contre la mienne.’ Ces propos dissuadent de porter plainte parce qu’ils mettent en avant leur réseau. Même si leur pouvoir n’est pas réel, cela terrifie », analyse Ilioné Schultz.
Si l’ex-conjoint d’Anaïs a depuis écopé de 8 mois de prison avec sursis pour l’avoir frappée et menacée avec son arme de service, le documentaire met en lumière l’esprit de corps qui profite aux hommes violents en uniforme. Protégés par leurs pairs et parfois même par leur hiérarchie, les fonctionnaires et gendarmes auteurs de violences conjugales profitent de l’omerta et jouissent d’une impunité au détriment de la parole de leurs victimes.
« Violences conjugales : quand l’agresseur porte l’uniforme », un documentaire de Sophie Boutboul, Ilioné Schultz et Thomas Lhoste, diffusé jeudi 23 novembre à 23 heures sur France 2.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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