— Publié le 21 août 2015
L’existence d’un quatrième tome de Cinquante nuances de Grey, c’est un peu l’auteure de fanfic E. L. James qui va au bout de la logique de son modèle, Stephanie Meyer. La responsable de Twilight avait à une époque entrepris de raconter à nouveau sa saga vampirique, du point de vue cette fois du personnage masculin. Le projet aura été abandonné après le vol du manuscrit par des fans/hackers trop impatients.
Si « Edward » n’a jamais vu le jour, E. L. James de son côté n’aura pas hésité à sortir le livre Grey, quatrième tome de sa série, premier volume d’une nouvelle trilogie. Peut-être l’opportunité pour elle de raconter autrement son histoire, avec le recul qu’apporte le temps et les critiques du monde entier. Une seconde chance, quoi.
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Sauf que vous savez déjà que non. Parce que deux mois après la sortie du livre de Grey, vous avez vu les odieuses citations, vous avez raillé les extraits démentiels de ce nouveau tome de Cinquante nuances (compilés avec délice par Buzzfeed). Vous savez que l’horreur continue, ne serait-ce qu’à l’écriture. Et, au-delà de la surface, Grey continue à enfoncer la série.
Petite spéléologie dans les méandres de l’esprit de Christian et sa créatrice, en trois parties.
Le livre Grey n’est pas un bon roman
L’intrigue du livre Grey est étrange, dans le sens où elle ne se suffit pas à elle-même mais ne propose pas non plus de véritable ajout pour ceux qui ont déjà lu Cinquante nuances. Le livre reprend point par point la structure et les évènements du premier tome de la série. Les deux personnages principaux étant dans la même pièce au même moment, les dialogues sont pour majeure partie un immense copier-coller, entrecoupé des pensées de Christian. Le livre part également du principe que le lecteur sait ce que fait Anastasia quand Christian n’est pas là et n’étoffe pas assez le quotidien du héros pour se suffire à lui-même.
Commencer la série par ce « second premier tome », c’est l’assurance de ne rien comprendre, en résumé.
La trame est esclave de Cinquante nuances et se contente de suivre, sans proposer de véritables scènes supplémentaires.
On referme le livre avec l’impression d’avoir lu la même chose, mais d’un autre endroit de la pièce. Si le Grey du livre ne peut séduire les débutant•e•s ni apporter quelque chose aux initié•e•s, à quoi bon ?
Dans le livre, Grey n’est pas une belle personne
On s’en doutait un peu mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans la caboche de Christian (et dans son boxer Armani). L’animal ne semble penser qu’à la possession de l’autre et au sexe. Chacune de ses répliques est appuyée par une pensée prédatrice : « laisse-toi aller bébé », « j’ai envie de te gifler sweetheart », « cède et sois mienne »… Le mot « bébé » s’infiltre d’ailleurs partout, au point de devenir une nouvelle ponctuation. Tellement d’injonctions mentales qu’on se demande s’il ne se prend pas pour le leader télépathe des X-Men.
Si Christian n’a pas de « déesse intérieure », c’est parce qu’il a un Général Chibre intérieur.
Sans parler de la panoplie des injonctions contradictoires et autres logiques d’abusif fini, comme regretter qu’Ana soit vierge tout en étant satisfait que personne ne l’ait encore touché, ou bien toutes ses interactions avec les autres hommes dans la vie de Steele. Ces messieurs risquent fulguropoings dans la tête et insultes tant qu’ils n’ont pas montré patte blanche en prouvant qu’ils ne s’intéressent pas à la belle.
En mettant des mots et des intentions sur toutes les comportements de Christian, l’auteure en fait un personnage encore plus abject : ses pensées à présent dévoilées, on ne peut plus lui offrir le bénéfice du doute.
Le livre de Grey : un pénis, ça ne marche pas comme ça
Le sexe de Christian s’étire, opine du chef, fait la moue, remue et se durcit plus vite que la carapace d’un Chrysacier.
On en vient à se demander si E. L. James a ne serait-ce qu’interrogé une personne pourvue de pénis durant le processus d’écriture. Tout porte à croire que cet appendice est l’alpha et l’oméga des réactions physiologiques de qui en est équipé•e. Il n’est presque jamais question de cœur qui s’emballe, de chaleur qui monte, de muscles qui se tendent et autres picotements dans le bas du dos. Toutes ces choses qui font la montée du désir, cocktail d’hormones et corps qui se prépare à l’acte, passent à la trappe, au profit du seul et glorieux pénis.
Grey, le livre, manque le coche de toutes les façons possibles.
Grey, le livre, manque le coche de toutes les façons possibles. Il ne se suffit pas à lui-même sans pour autant apprendre grand-chose aux fans, il confirme tous les pires soupçons que l’on pouvait avoir sur son personnage principal et caricature tristement la richesse que peut receler la sexualité des hommes hétérosexuels. E. L. James n’a rien appris parce qu’elle ne voulait rien apprendre, et continue son bonhomme de chemin, à poser un peu de plâtre entre deux gigantesques copier-coller…
Nos hormones méritent mieux que ça, nos liseuses aussi.