Sur les réseaux sociaux, les contenus qui valorisent les Troubles du Comportement Alimentaire pullulent depuis belle lurette. Les algorithmes de recommandations étant toujours plus fins et précis, ils peuvent avoir vite fait d’entretenir ce genre de conduites chez certaines personnes utilisatrices une fois qu’ils ont identifié cet intérêt pouvant s’avérer pathologique. Face à ce cercle vicieux, l’association pour le bien-être numérique des enfants Fairplay vient de publier les résultats d’une étude inquiétante sur le sujet.
20 millions de personnes exposées à des contenus pro-TCA
D’après le rapport de cette organisation, près de 20 millions de personnes utilisatrices d’Instagram seraient « alimentées par des contenus de la bulle pro-Troubles du Comportement Alimentaire ».
Pour vous donner un ordre d’idée, d’après le groupe Meta, propriétaire de l’application, Instagram comptait en 2020 1,386 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, et 500 millions d’utilisateurs actifs quotidiens dans le monde. En France, 69% des visiteurs quotidiens d’Instagram se situent dans la tranche 15-24 ans. C’est donc une application particulièrement fréquentée par les plus jeunes (sachant que beaucoup mentent sur leur âge, afin de se vieillir car la limite d’inscription est fixée à 13 ans).
Comme le rapporte Buzzfeed, cette étude sur la portée des contenus pro-TCA a identifié une centaine de comptes publics vantant explicitement ce genre de troubles afin d’en étudier les personnes abonnées et à quels autres comptes pro-TCA au-delà de ceux déjà identifiés elles étaient également abonnées. Cela leur a permis de repérer un large réseau de contenus pro-TCA estimé à 88.655 comptes, auxquels près de 20 millions de personnes étaient abonnées à au moins l’un d’entre eux.
L’effet de bulle de l’algorithme d’Instagram peut-il enfermer dans les TCA ?
Rys Farthing, directeur de la politique des données au sein du groupe de défense Reset Australia et responsable de la recherche, a ainsi déclaré :
« L’une des choses qui m’a frappé, c’est à quel point il était facile d’identifier cette bulle pro-troubles de l’alimentation. »
En cause : les suggestions d’Instagram sur les utilisateurs à suivre. Dès qu’on exprime un désir de perte de poids, on peut rapidement être inondé de recommandations de la part de la plateforme invitant à suivre des comptes partageant cet intérêt, y compris certains qui encouragent ouvertement les TCA. L’étude Fairplay estime qu’il serait pourtant simple de mettre en place des garde-fous autour de l’algorithme afin de cesser la mise en avant de ces comptes pro-TCA et ainsi faire éclater cette bulle dangereuse.
Buzzfeed a donc demandé à Meta pourquoi un tel dispositif recommandé par l’association Fairplay qui a émis l’étude n’a pas d’ores et déjà été mis en place. Liza Crenshaw, la porte-parole du groupe propriétaire d’Instagram, a répondu au média :
« Des rapports comme celui-ci [de Fairplay] comprennent souvent à tort que la suppression complète du contenu lié au parcours de personnes vivant avec des TCA ou guéries peut exacerber les moments difficiles et couper les gens de la communauté. Les experts et les organisations de sécurité nous ont dit qu’il était important de trouver un équilibre et de permettre aux gens de partager leurs histoires personnelles tout en supprimant tout contenu qui encourage ou favorise les troubles de l’alimentation. »
Pouvoir exprimer ses TCA et trouver des semblables peut-il être thérapeutique ?
C’est effectivement un casse-tête, puisque les réseaux sociaux peuvent servir d’exutoire à des personnes qui veulent exprimer leur mal-être, mais aussi de lieu de recherches de semblables afin de se sentir moins seul, y compris dans ses TCA.
Comme le soulignait la chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) Paola Tubaro qui a étudié les sociabilités numériques ana-mia (les réseaux de personnes vivant avec l’anorexie et la boulimie), les liens que tissent les malades dans ce genre de communautés en ligne (d’autant plus précieuses qu’on peut se sentir marginalisées hors ligne) peuvent aussi les aider, y compris à sortir de leur TCA.
Toute la complexité pour un réseau social comme Instagram consiste donc à pouvoir permettre de partager son expérience de personne vivant avec des TCA sans pour autant laisser faire l’apologie de tels troubles. C’est cette ambivalence que soulignait pour Madmoizelle le Dr. Jean-Victor Blanc, médecin psychiatre :
« Ces espaces en ligne d’aujourd’hui ont évidemment des aspects négatifs, mais ce sont aussi des lieux de ressources, d’entraide. Voir quelqu’un faire un challenge minceur sur TikTok ou ailleurs ne suffit pas à déclencher de TCA. La mode et les réseaux sociaux ne doivent pas servir de bouc émissaire, même s’ils peuvent avoir une part de responsabilité. C’est toujours multifactoriel. »
À lire aussi : Pourquoi le fait que Victoria Beckham mange la même chose depuis 25 ans n’est pas anodin
Crédit photo de Une : pexels-lisa-fotios-1092671
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
C'est pas nouveau, mais je dirai qu'instagram rend la chose encore plus facile et visible. Sur insta y a de quoi devenir vraiment complexée, avec des femmes parfaites, ventre plat, cuisses fines grandes.. Moi je vois insta, et je me sens comme un bousin même à mon âge canonique de 34 ans, alors j'imagine a 15!
Surtout que les injonctions sont fortes meme avec la bodypositive assez hypocrite d'ailleurs