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Voyages

En volontariat à l’étranger pendant le Covid : « Toutes nos émotions étaient multipliées par 10 »

À quoi ressemble une année de volontariat en Europe, quand le Covid fait se recroqueviller les sociétés sur elles-mêmes ? Des volontaires du Corps européen de solidarité racontent.

Dans le courant de l’année 2020, alors que le virus de la Covid 19 se propage dans le monde entier, Aloïse, Gilles, Lalou, Louise et Mathilde partent en mission dans différents pays d’Europe, dans le cadre du Corps européen de solidarité (CES).

Alors qu’ils et elles s’attendaient à vivre une expérience pleine d’aventures et de rencontres, ces cinq Français et Françaises se retrouvent confinées, contraintes de suivre les nombreuses restrictions sanitaires de leur pays d’accueil.

Panorama de leur étrange année.

« L’idée de repartir en France m’a traversé l’esprit »

En mars 2020, lorsqu’il apprend la fermeture des frontières françaises pour lutter contre la propagation du Covid-19, Gilles, 30 ans, volontaire CES, est déjà en Géorgie depuis quelques mois.

« C’était un climat très anxiogène. Quand on est à l’étranger loin de sa famille, on a un rapport à l’information très différent. L’idée de repartir en France m’a traversé l’esprit. J’ai pensé : et si je reste et qu’un membre de ma famille est victime du virus ? »

Finalement, Gilles se dit que le voyage retour est peut être tout aussi dangereux et décide de rester à Roustavi, où il vit dans un appartement avec cinq autres volontaires. Une vie en collectivité, qui lui permet de ne pas être trop isolé, malgré les confinements et le télétravail.

« Les premières semaines ont été difficiles. Maintenant quand j’en parle j’ai tendance à minimiser, mais on était quand même dans un état de détresse. »

« Un volontariat comme ça, tu peux le faire qu’une fois dans ta vie. C’est trop triste de le passer enfermée. »

Lalou, volontaire CES en Lituanie

Pour vaincre la déprime, Gilles et ses colocataires se tournent vers le travail.

« Au début, ma mission était de développer des projets d’échanges entre jeunes. Finalement, j’ai passé plusieurs mois à faire des vidéos pour les réseaux sociaux de mon association. On avait par exemple partagé des tutos cuisine de recettes traditionnelles géorgiennes. »

Un travail bien loin de ce qu’il imaginait faire au départ, mais qui lui a tout de même permis d’acquérir de nouvelles compétences.

« J’avais du mal à voir le bout du tunnel »

Tout comme Gilles, Lalou, 22 ans, volontaire en Lituanie dans un centre d’art contemporain, a dû redessiner les contours de sa mission. Au lieu d’accueillir le public et d’organiser des évènements, elle a réalisé un journal de volontaire, mêlant textes et illustrations.

« J’ai été en télétravail pendant six mois et je n’avais presque rien à faire. J’ai alors commencé à tenir un journal illustré. Au musée, tout le monde a aimé l’idée. »

Toutes les semaines, Lalou publie l’un de ses dessins sur la page Instagram du musée. Une façon pour elle de partager son quotidien et de donner du sens à ses journées.

« Au début j’avais du mal à voir le bout du tunnel. Je me disais : mais je profite quand, moi ? Un volontariat comme ça, tu peux le faire qu’une fois dans ta vie. C’est trop triste de le passer enfermée. »

Alors Lalou compte les mois, les semaines puis les jours qui lui restent, espérant enfin profiter à fond des derniers moments de son expérience. Après des mois d’attente, le musée rouvre enfin ses portes ; sa vie de volontaire, trop longtemps mise en pause, semble alors passer en vitesse accélérée.

« J’ai l’impression qu’il s’est passé des millions de choses pendant ces dernières semaines. C’était génial ! »

« 24 heures sur 24 ensemble, forcément ça créait des tensions »

Louise, 26 ans, a eu la chance de ne pas voir son travail trop affecté par la situation sanitaire. Volontaire dans une ferme biologique au sein d’un petit village en Slovénie, la jeune femme a découvert les joies du travail en plein air et s’est initiée à l’agriculture, à la mise en conserve des produits et même à la fabrication de pain.

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Louise à la ferme de Jarenina, en Slovénie.

Hébergée dans une famille slovène avec trois autres volontaires, elle n’a pas eu à souffrir de l’ennui et de la solitude. Au contraire, c’est plutôt la vie collective qui était parfois difficile !

« On vivait 24 heures sur 24 ensemble — les fermiers, leurs enfants et les volontaires. Pendant plusieurs mois, on n’a pas quitté la ferme. Forcément ça créait des tensions. Avec la fatigue et l’enfermement, de toutes petites choses prennent tout de suite plus d’ampleur. »

« J’ai commencé à vraiment avoir peur pour ma santé mentale. »

Mathilde, volontaire CES en Finlande

Ainsi, malgré un quotidien rythmé par les restrictions, Gilles, Louise et Lalou sont parvenus à vivre l’expérience humaine et professionnelle qu’ils recherchaient. Des moments d’échanges qui ont beaucoup manqué à Mathilde 26 ans, en mission à Helsinki, capitale de la Finlande…

« Dès le début, ça a été difficile »

« Dès le début, ça a été difficile. À peine une semaine avant mon départ, j’apprends que je ne vivrais pas en colocation, comme prévu, mais dans un studio, toute seule », se remémore l’ancienne volontaire.

Pendant un an, Mathilde a travaillé dans un centre pour personnes en situation de handicap, à Helsinki. Alors que sa mission devait être d’organiser des sorties et de créer un jardin avec les résidents, elle passe finalement la majorité de son temps à effectuer des tâches ménagères.

« Ma mission a été complètement modifiée. J’ai passé un an dans la même unité constituée d’une cuisine, d’un salon et des chambres des résidents, alors que je pensais être à l’extérieur toute la journée. »

Si Mathilde a été déçue de ne pas pouvoir faire le travail pour lequel elle avait postulé, elle a surtout eu du mal à vivre l’isolement qui lui était imposé.

« Le plus dur ça a été quand notre organisation nous a dit qu’on n’aurait plus le droit de se voir entre volontaires. C’était l’hiver, il faisait -20°C dehors et il n’y avait que trois heures de luminosité par jour ! Là, j’ai commencé à vraiment avoir peur pour ma santé mentale. »

Dans le même bâtiment que Mathilde, deux volontaires français effectuent les mêmes tâches qu’elle, mais dans une autre unité. Afin d’assurer le plus possible la sécurité des résidents, la direction décide d’interdire tout contact entre les différentes équipes.

« Du coup, on essayait de se voir en cachette. Quand on avait un petit temps libre, on s’envoyait un message et on se retrouvait au sous-sol, dans la réserve. On restait une quinzaine de minutes, on se racontait notre journée, puis on retournait dans notre unité.

Si quelqu’un nous croisait ensemble, le soir même, on recevait un mail de notre tutrice, nous rappelant les recommandations sanitaires. On se sentait constamment fliqués. »

Consciente de travailler avec un public à risques, Mathilde ne se voyait pas tenir si elle restait seule pendant tout l’hiver.

« Avec une amie volontaire, on se voyait une fois par semaine. Ça m’a beaucoup aidé moralement. Mais même dans ces moments-là, je ne me sentais pas bien. J’avais l’impression d’être dans l’illégalité tout le temps. Je l’ai très mal vécu. »

« J’ai repris goût à toutes les petites choses. »

Mathilde, volontaire CES en Finlande

Pour vaincre ses angoisses, Mathilde décide de consulter un psychologue en ligne. Grâce à ces séances, la jeune femme remonte doucement la pente, jusqu’à ce que l’arrivée du printemps et du vaccin lui redonne espoir.

« C’est tout bête mais quand on a pu ressortir, sans se cacher, ça m’a fait un bien fou. J’ai repris goût à toutes les petites choses, juste me promener sous le soleil, c’était incroyable ! Toutes nos émotions étaient multipliées par 10, les négatives comme les positives. »

« La pandémie nous a permis d’être plus soudés »

Aloïse, 23 ans, volontaire à Vilnius, en Lituanie, a elle aussi fait le choix de continuer à voir ses amis, malgré les restrictions.

« On n’a pas respecté les règles à la lettre, mais on restait responsables : on était huit volontaires et on ne se voyait qu’entre nous. »

Comme Mathilde, Aloïse pense qu’elle n’aurait pas pu continuer le volontariat sans ses petites soirées clandestines.

« On savait que si on se faisait prendre, on serait renvoyés dans notre pays. Et on savait aussi que les voisins n’hésiteraient pas à appeler la police s’ils se rendaient compte que des jeunes ne respectaient pas les règles.

Quand on se réunissaient, on se mettaient en mode gestion de crise. Il ne fallait faire aucun bruit pour ne pas que les voisins entendent. »

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Aloïse à Možuriškės, un village à l’ouest de Vilnius.

À l’instar de tous les autres volontaires interrogés, Aloïse a aussi connu la frustration de ne pas pouvoir réellement découvrir le pays qui l’hébergeait, ni ses habitants. Bien qu’elle regrette de ne pas avoir pu créer plus de liens avec des Lituaniens et Lituaniennes, la jeune femme est finalement contente d’avoir réalisé son volontariat durant cette période si particulière.

« Ironiquement, je crois que sans Covid, mon volontariat n’aurait pas été aussi puissant et intense. J’aurais peut-être fait plus de rencontres mais je n’aurais pas pu créer des relations si fortes avec ma famille de volontaires. »

Un sentiment partagé par Gilles, qui a noué d’importants liens d’amitiés avec ses colocataires volontaires mais aussi avec ses voisins géorgiens.

« La pandémie nous a permis d’être plus soudés, plus solidaires. Je pense que dans des conditions normales, nous n’aurions jamais créé de liens si forts. »

Le Corps européen de solidarité, c’est quoi ?

Anciennement appelé « Service volontaire européen », le Corps européen de solidarité est un programme de l’Union européenne qui offre la possibilité aux jeunes de s’engager sur une activité de solidarité en France et en Europe.

Le programme est ouvert à tous les citoyens et citoyennes européennes âgées de 18 à 30 ans. Aucun niveau d’études ou de langue n’est exigé, seule la motivation de la personne compte.

À lire aussi : « Je n’ai jamais été aussi heureux » : pour certains ados qui s’automutilent, les confinements furent salvateurs

Crédit de une : Parastoo Maleki / Unsplash

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