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Healthy Alie revient sur son diagnostic, le validisme de la société et comment elle a cessé de l'intérioriser // Source : Capture d'écran YouTube
Santé mentale

Comment Healthy Alie sensibilise au trouble du spectre de l’autisme, entre deux recettes vegan

Depuis 2020, Healthy Alie distille sa cuisine inspirée de ses origines caribéennes et de ses voyages en Asie, évoquant au passage son trouble du spectre de l’autisme (TSA) et sa dyspraxie. Auprès de Madmoizelle, Healthy Alie revient sur son diagnostic, le validisme de la société et comment elle a cessé de l’intérioriser.

« Ce que je vis mal, en fait, ce n’est pas le fait d’être une personne handicapée, c’est d’être une personne handicapée dans une société qui ne lui est pas adaptée », raconte à Madmoizelle la créatrice de recettes végétales et photographe culinaire Healthy Alie. Depuis 2020, elle partage sur Instagram et sur TikTok sa cuisine vegan, influencée par ses origines caribéennes, mais aussi des formations auprès de chefs primés à Londres, New York, au Japon, en Corée du Sud, en Thaïlande et à Bali. Entre deux recettes, il lui arrive d’évoquer son autisme, sensibilisant au passage sur ce handicap. Madmoizelle l’a donc rencontrée pour qu’elle nous en dise davantage sur sa vie avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

Témoignage de Healthy Alie sur son trouble du spectre de l’autisme (TSA)

« Quand j’étais en troisième année de maternelle, pour des raisons de problèmes d’effectifs, je me suis retrouvée pendant les deux derniers trimestres dans la même salle que les CP. La maîtresse d’école de CP, en fait, a reconnu un des premiers signes d’autisme chez l’enfant qui est l’hyperlexie. C’est un trouble d’apprentissage de la lecture. On sait lire déjà à 4, 5 ans mais ce n’est pas une vraie lecture parce qu’en fait, on n’arrive pas à mémoriser. On m’a fait passer plusieurs tests pour voir si j’étais ce qu’on appelait à l’époque « en avance ».

J’ai effectivement été diagnostiquée avec un TSA qui est un trouble du spectre de l’autisme. Il faut savoir qu’on est en 1994 et en fait à l’époque, et encore aujourd’hui je pense, la santé mentale, c’est un sujet qui est un peu tabou dans les foyers caribéens et dans les communautés noires de manière générale. Il y a eu un petit peu un déni de la part de mes parents, surtout de mon père qui lui-même avait beaucoup de traumas en fait par rapport à la psychiatrie. Et ma mère nous a élevés toute seule en précarité extrême. Et c’est vrai qu’on avait d’autres priorités que de s’occuper de mon autisme.

« Je ne savais même pas que c’était un handicap »

En comparaison à d’autres personnes autistes ou neuro-atypiques, on ne peut pas dire que j’ai connu du harcèlement au collège. Quand j’étais à l’école et au collège, en fait, je me sentais différente et bizarre des autres. Mais je pensais que c’était normal que les autres n’aient pas envie de devenir amis avec moi parce que j’étais bizarre. Je ne savais même pas que c’était un handicap. Je ne savais pas que j’avais droit à des accommodations. C’était vraiment le flou total jusqu’à arriver à l’âge adulte, quand j’ai commencé à m’éduquer moi-même sur le sujet.

Quand j’étais au collège surtout, je faisais un peu tout pour me fondre dans la masse. Par exemple, je m’inventais des intérêts similaires aux autres pour essayer de faire partie des bandes, alors que ce n’était pas forcément des choses qui m’intéressaient. Du coup, à cause de ça, en fait, je n’ai jamais réussi à nouer des relations sincères.

Pendant et après les études, je suis arrivée à Paris et j’ai voulu saisir cette opportunité de changer d’environnement pour me faire des vraies relations, que ce soit des relations amoureuses ou amicales, parce que c’est quelque chose que je n’avais jamais connu. À l’époque, je travaillais dans la mode. Du coup, j’ai commencé à beaucoup sortir et forcément, c’est un milieu qui est quand même un milieu très social. Et comme c’est quelque chose que je n’avais jamais eu, en fait, j’étais vraiment attirée par tout ça. J’ai commencé à développer un alcoolisme social, d’une part parce que je voulais faire comme les autres, mais aussi parce qu’en fait, je me suis rendue compte qu’avec l’alcool, c’était plus facile pour moi de supporter tout ce qui était surcharge sensorielle liée aux soirées. Quand j’étais ivre, j’avais l’impression d’être moins socialement inadaptée.

« Je faisais beaucoup de validisme intériorisé »

À cette période, j’ai aussi commencé à développer du masking. Le masking, en fait, c’est quand une personne neuro-atypique va copier le comportement des personnes neurotypiques pour mieux se fondre dans la masse et pour être acceptée. Du coup, je suis vraiment rentrée dans un cercle vicieux avec ça. L’accumulation des soirées, de l’alcoolisme et du masking, finalement, oui, j’ai réussi à développer des relations, mais ce n’étaient pas des relations sincères finalement. Ce qui s’est passé, c’est que moi, souvent, j’étais beaucoup plus investie dans les relations que les autres personnes. Et j’étais souvent déçue puisque finalement, quand elles se rendaient compte que je n’étais pas la personne qu’elles pensaient que j’étais quand le masking s’arrêtait, elles n’étaient plus intéressées par moi.

Aujourd’hui, quand je repense à cette période, j’ai vraiment l’impression de parler de quelqu’un d’autre. Je n’arrive pas à croire que j’ai passé deux ans à me forcer à sortir alors que maintenant, je ne peux même pas prendre le métro sans mon casque. Je pense qu’à l’époque, je faisais beaucoup de validisme intériorisé. À cette époque d’ailleurs, je commençais enfin à comprendre ce que c’était être autiste.

Et en fait, moi j’étais persuadée que la raison pour laquelle rien n’allait dans ma vie, c’était mon handicap et pas le fait que je me forçais à faire des choses qui n’étaient pas compatibles avec qui j’étais. J’ai aussi été diagnostiquée dyspraxique. C’est un trouble de motricité et aussi de perception dans l’espace. La dyspraxie, c’est vraiment le trouble avec lequel j’ai le plus de difficultés au quotidien. On va avoir du mal à faire des gestes répétitifs qui peuvent sembler relativement simples. Par exemple, moi, j’ai beaucoup de mal à verser un liquide dans un contenant. Sachant que je fais de la cuisine, c’est un peu embêtant. Avec mon entourage, ça génère beaucoup de frustration. On a un souci avec la perception de l’espace. Par exemple, en ce moment, je suis en train de passer mon permis, donc forcément, ça me cause des difficultés. J’ai l’impression que quand je roule droit, c’est droit, alors que ce n’est pas droit du tout. Toutes les personnes dyspraxiques n’ont pas le trouble visuo-spatial. Je pense que ça touche beaucoup plus de personnes qu’on ne pense et même pas forcément des personnes neuro-atypiques. Et souvent chez l’enfant, on dit qu’il est maladroit, ou par exemple les gens qui ne marchent pas droit ou qui se cognent tout le temps, c’est pas normal, en fait.

« Deux types de crises autistiques : le shutdown et le meltdown »

Généralement, quand j’ai une crise autistique qui va venir, c’est souvent déclenché par un élément extérieur. Ça peut être par exemple une surcharge sensorielle extrême. Ça peut être un changement dans ma routine qui va me contrarier ou ça peut être en fait une situation de stress extrême. Il y a deux types de crises autistiques : donc il y a le shutdown et le meltdown.

Le shutdown, en fait, on va se replier sur soi-même. Je peux par exemple rester allongée pendant une semaine dans mon lit et ne rien faire, ne pas m’alimenter, ne pas aller aux toilettes, ne pas faire ma douche. C’est important à ce moment-là que j’aie une personne qui puisse être là pour m’aider pour les besoins du quotidien.

Et le meltdown par contre, c’est très expressif. Donc on peut très vite devenir violent pour soi-même ou pour les autres. Généralement, moi quand je vais avoir des crises autistiques, le mieux c’est que je sois un peu isolée. Mais que je sache quand même qu’il y a une présence pour pouvoir venir m’aider si besoin. C’est pour ça que ça m’aide beaucoup en fait, que ma mère soit avec moi.

« Je vis très bien avec mon handicap »

Je travaille aussi à côté en freelance dans l’informatique. Ça se passe super bien à ma mission actuelle. J’ai des accommodations dont j’ai besoin. J’ai le droit de mettre mon casque pendant le travail. Parfois, si j’ai de la surcharge sensorielle, je peux me mettre en télétravail. Le freelancing, ça permet d’avoir une certaine liberté. Et par exemple, si j’ai une mission qui ne se passe pas bien ou si on ne me donne pas les accommodations auxquelles j’ai droit, je peux quitter la mission quand je veux. Pour les personnes neuro-atypiques, c’est quand même une meilleure option.

Personnellement, je vis très bien avec mon handicap. Ce que je vis mal en fait, c’est pas le fait d’être une personne handicapée, c’est d’être une personne handicapée dans une société qui ne lui est pas adaptée. Et moi je suis persuadée que j’aurais beaucoup moins de crises autistiques si la société m’était adaptée.

En fait, à l’origine, moi, je fais du contenu culinaire vegan sur les réseaux et j’ai commencé à parler de mon autisme justement parce qu’en fait, je recevais beaucoup de remarques très validistes. Il y avait par exemple des personnes qui commentaient ma façon de parler, qui commentaient le fait que je regarde pas forcément dans la caméra. Je le vis pas mal, au contraire quand j’ai des haters, je leur réponds, ça me permet de faire du contenu.

Cuisine vegan des Caraïbes
En octobre 2022, Healthy Alie a sorti son premier livre de recette, Cuisines vegan des Caraïbes, aux éditions La Plage.

« L’autisme et le TDAH ne sont pas des maladies »

« L’autisme et le TDAH ne sont pas des maladies. Ce sont des handicaps. Donc avant de venir insulter les gens, commence par utiliser les bons termes s’il te plaît », ai-je dit un jour dans une vidéo. Suite à celle-ci, j’ai eu beaucoup de retours positifs. Soit de personnes concernées qui me disaient que ça leur faisait du bien que quelqu’un en parle. Mais aussi des personnes non concernées qui me remerciaient parce qu’en fait ils n’avaient pas du tout de connaissances sur le sujet. Et aussi des retours de personnes qui avaient des proches autistes et qui me disent que mon contenu les aide à comprendre les personnes autistes de leur entourage.

Pour moi, c’est important de faire de la sensibilisation à l’autisme et à la neuro-atypie de manière générale, pour que la nouvelle génération ou les personnes qui sont diagnostiquées tardivement, ou même les personnes qui sont en autodiagnostic puissent avoir des représentations positives. Moi, par exemple, je suis une personne racisée, queer et une femme. Je sais que ça sort quand même du cliché du stéréotype de l’autisme. Et du coup, je pense que moi, je sais que si quand j’étais au collège, j’avais eu des représentations comme ça, ça se serait beaucoup mieux passé. Pour pouvoir mieux appréhender et comprendre mon handicap en fait, j’ai lu beaucoup de ressources rédigées par des personnes concernées. Après, le problème, c’est qu’il n’y en a pas beaucoup en français.

On n’est pas beaucoup en France à en parler et en parler en fait avec les bons termes et en étant inclusif. En essayant d’aider à la fois les personnes diagnostiquées et les personnes auto-diagnostiquées. Et surtout en incluant les minorités, que ce soit les personnes racisées ou queer, etc.

À lire aussi : « Penser la diversité sans inclusion ne mène à rien » : Barbara Blanchard secoue la mode française

Il y a un manga qui est sorti, qui s’appelle Une fille atypique et dont je fais la préface. Et aussi à chaque numéro, je rédige des notes explicatives sur l’autisme pour expliquer, par exemple, les crises autistiques, comment se passe un diagnostic… Il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec la représentation. Sauf qu’en fait, déjà c’est au Japon. Donc il faut savoir qu’en Asie, c’est un sujet très tabou la santé mentale, je pense encore plus qu’aux Caraïbes. Et surtout le fait qu’il y ait un manga qui parle d’autisme et qui montre une fille autiste sans fard, c’est quand même déjà exceptionnel. Donc forcément,mang le manga n’est pas parfait. C’est déjà une très bonne chose que la maison d’édition ait voulu s’entourer de personnes concernées pour écrire des notes explicatives et que ce thème soit abordé dans le monde du manga.

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Les Commentaires

3
Avatar de ShardsofaFox
23 octobre 2023 à 10h10
ShardsofaFox
Ce que je vis mal, en fait, ce n’est pas le fait d’être une personne handicapée, c’est d’être une personne handicapée dans une société qui ne lui est pas adaptée
On ne peut pas mieux résumer. Quel que soit le trouble (j'en ai une belle collection), le problème vient en partie de la société qui ne fait rien pour aider. Il y a certains troubles qui sont très durs à vivre indépendamment de la société (le TDI par exemple), mais le manque de ressources sur le sujet, de sensibilisation fait qu'au moindre symptôme apparemment, beaucoup de gens vont y voir une exagération et fuir, ou se moquer, ou décrédibiliser (On ne compte même plus le nombre de commentaires sur les réseaux sur l'autisme, le TDAH, le TDI ("c'est une mooooode les gens sont chiiaants"; non les gens ont accès à un diagnostic maintenant, surtout les femmes et les personnes de couleurs qui n'étaient presque jamais diag autistes basé uniquement sur leur genre de naissance ou leur couleur de peau et maintenant plein de gens se rendent compte). Je suis toujours tellement reconnaissante envers les personnes qui témoignent, surtout quand je sais à quel point iels s'en prennent plein la gueule parfois.
Merci à cette personne et à tou.tes celleux qui ont une plateforme pour parler des troubles et prennent la parole, même quand c'est difficile et que les commentaires haineux/ignorants voire pires s'enchaînent <3 La représentation, c'est tellement important, pour les concerné.es qui se sentent moins seul.es et se comprennent mieux, mais aussi pour les personnes qui ne savent pas et ont du mal à se mettre à la place des personnes avec des troubles. (ou les personnes entre deux qui font du validisme intériorisé, j'en ai fait beaucoup avant, j'en fais encore parfois et c'est toujours bien de se renseigner à nouveau et de s'en rendre compte.)
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