Il y a deux ans, j’avais adoré The Stanley Parable, son humour et les réflexions qu’il amenait sur le statut de joueur et de joueuse. Il apportait quelque chose de nouveau et d’original, à la limite parfois d’une expérience sociologique de Milgram. C’est donc tout naturellement que je me suis ruée sur The Beginner’s Guide, nouveau projet de Davey Wreden (à l’origine, donc, de The Stanley Parable), avec quasiment autant d’entrain que sur un gratin dauphinois tout juste sorti du four.
C’est un grand oui.
Comme son prédécesseur, ce jeu se présente à la première personne et nous permet de déambuler dans les décors en écoutant un narrateur qui nous guide et nous raconte une histoire. Cette fois, plutôt que de recommencer le même tableau encore et encore, on navigue à travers une succession de mini-jeux expérimentaux qui nous sont présentés de manière chronologique.
De quoi parle The Beginner’s Guide ?
Je vous préviens, ce résumé sera très concis.
Accompagné de Davey, qui endosse le rôle du narrateur, on découvre le travail de plus en plus fouillé et complet d’un de ses amis, un développeur de jeu nommé Désir Coda, au travers de ses créations. Davey a étudié les jeux de Coda et nous explique chaque nouvel ajout dans le gameplay ou le level design par un état d’esprit ou un événement de la vie du développeur.
On découvre petit à petit la personnalité de Coda à travers ses créations, comme pour un peintre, un auteur ou un cinéaste.
The Beginner’s Guide, véritable œuvre d’art
S’il fallait encore une illustration de la dimension artistique de certains pans du jeu vidéo, on se mettrait plutôt pas mal présentement.
Clairement, The Beginner’s Guide ne plaira pas à tout le monde. Avec ses graphismes un peu tout pourris, son gameplay quasi-inexistant et le côté très « directif » de la narration, beaucoup seront désorienté•e•s et s’ennuieront sans comprendre pas où le jeu veut en venir. De plus, contrairement à son prédécesseur, The Beginner’s Guide n’est pas là pour amuser le public ni pour établir une connivence avec lui, bien au contraire…
Étrange plongée vidéoludique en plein cauchemar
Si rien ne fait peur, l’ambiance est parfois oppressante
Les décors sont cauchemardesques, dans le sens où ils reprennent des thèmes oniriques : des labyrinthes, des escaliers sans fin, des successions de pièces sans rapport les unes avec des autres, des portes qu’on ne peut pas ouvrir… En-dehors du narrateur, on est totalement seul•e dans cette succession de tableaux puisque les autres personnages sont des reflets sans visage du joueur ou de la joueuse, et les interactions sont uniquement des monologues scénarisés.
The Beginner’s Guide, un jeu vidéo cathartique
Si on souffre (ou qu’on a souffert) de dépression, si on se heurte parfois aux difficultés de la création, The Beginner’s Guide peut devenir à la fois un écho de nos émotions… et un exutoire. Les sentiments de solitude, d’échec, de vacuité ou d’abandon sont omniprésents si on sait les reconnaître : l’expérience peut s’avérer éprouvante et salutaire si on y est sensible.
Un écho de nos émotions… et un exutoire
De mon côté, je n’avais encore jamais vu une expérience de jeu qui dépende autant de l’individu et de sa capacité à adhérer (ou non) à une ambiance et une narration particulières. L’équipe a effectué un pari extrêmement risqué en proposant une œuvre brève (1h30) alors que beaucoup évaluent — à tort — la qualité d’un jeu à l’aune du ratio prix/durée de vie. L’autre risque est de déstabiliser à la fois les nouveaux joueurs et joueuse mais aussi les fans de The Stanley Parable, surtout avec la communication quasi-inexistante autour du jeu.
La nouveauté inattendue qui divise le public
L’expérience The Beginner’s Guide est profondément personnelle : je comprendrai tout autant les gens qui ont adoré et pris une claque dans le pif que ceux qui se sont ennuyés et ont été déçus, surtout que les premiers leur ont sans doute survendu le jeu (je plaide coupable).
Moi incitant subtilement mes potes à y jouer.
Sans trop de surprise, je fais partie de la première catégorie. Certains tableaux m’ont violemment prise aux tripes, et j’ai fini The Beginner’s Guide sur les rotules mentalement, avec des larmes et de la morve partout. Je l’ai trouvé intelligent, avec son gameplay limité qui nous laisse souvent impuissant•e, extrêmement angoissant et rassurant à la fois (oui) ; la narration m’a, encore une fois, portée d’un bout à l’autre du jeu. Le level design, qui peut laisser perplexe au début, est aussi très bien pensé, avec cette sensation de plus en plus évidente de se balader dans un cauchemar éveillé…
Personne ne sait vraiment quoi faire avec The Beginner’s Guide
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