« Sois-jeune et tais-toi ». Cette injonction vous est familière ? Que vous l’ayez entendue lors d’un repas de famille ou dans la bouche d’un politique à court d’arguments, sachez que vous n’êtes pas seul. C’est même le titre du premier livre de Salomé Saqué, 27 ans, cheffe du service Économie du média en ligne Blast.
La jeune femme y décortique, entretiens et données à l’appui, ces préjugés que l’on s’évertue à plaquer sur une jeunesse pourtant confrontée à des défis écologiques, sociaux, économiques, géopolitiques sans précédent. « Il n’y a pas ‘des jeunes’, ni une ‘jeunesse’, il y a des jeunesses » nuance Salomé Saqué, qui, dans cet ouvrage percutant, appelle au ralliement des ainés pour faire face aux crises actuelles. À lire absolument.
Rencontre avec Salomé Saqué, autrice de « Sois jeune et tais-toi » (ed. Payot & Rivages)
Madmoizelle. Parmi les clichés que l’on calque sur les jeunes, il y a l’idée qu’ils seraient naïfs et idéalistes. D’où vient cet apriori ?
Salomé Saqué. Je pense qu’aujourd’hui, toute personne qui propose un changement profond de société est taxée d’idéaliste. C’est une manière bien pratique de disqualifier. Une partie de la jeunesse réclame ces changements, dénonce la destruction de notre biodiversité, le dérèglement climatique, la souffrance sociale et humaine qui est causée par notre modèle économique…
La force des jeunes, c’est qu’ils n’ont pas vécu assez longtemps pour s’y habituer et pour considérer que cela ne peut pas changer. Et c’est cette indignation saine qui va faire que certains diront d’eux qu’ils sont « naïfs ». Pour moi, c’est un frein majeur à l’écoute qu’on peut leur prêter. Pourtant, je trouve qu’au contraire, les utopistes, les irréalistes, aujourd’hui, sont ceux qui croient qu’on peut continuer à fonctionner comme on le fait depuis 50 ans.
En février dernier, une étude de Santé Publique France révélait qu’un jeune sur cinq présenterait des troubles dépressifs. Que retenir de ces chiffres ?
C’est quelque chose qui devrait collectivement nous alerter. Cela traduit un problème de société majeur, d’anxiété, de désespoir d’une partie de la jeunesse. Dans les entretiens que j’ai menés pour ce livre, le facteur d’inquiétude qui revenait souvent était l’avenir professionnel : quelles études vont-ils faire, où iront-ils après, réussiront-ils à s’insérer sur un marché du travail saturé ? Vont-ils pouvoir faire un métier qui leur plaît, manger à leur faim, accèderont-ils à un emploi stable ?
Ensuite, il y a évidemment le contexte général. Que ce soit le climat politique mondial, le dérèglement climatique ou la pandémie qui a été dévastatrice en matière de santé mentale, et dont on commence à peine à mesurer les effets. Néanmoins, ce mal-être n’est pas irrémédiable. Si l’on avait l’impression que les personnes aux manettes, qui déterminent notre avenir, le prenait réellement en considération, je pense que l’anxiété générale diminuerait. Un pays qui méprise sa jeunesse est un pays perdu, et en France, on ne donne pas du tout aux jeunes la place qu’ils méritent.
À la place, on leur dit qu’ils se font du mouron pour rien, que les choses vont s’arranger. C’est plus confortable, mais c’est une forme de lâcheté. Si l’on prend la question climatique, c’est une urgence inédite. L’inquiétude qui en découle est légitime. Surtout quand l’intégralité des scientifiques nous disent que c’est grave. Cela touche à tout ce qu’on connaît, notre mode de vie, notre quotidien… Tout cela sera altéré.
Et pas de la bonne façon : l’épuisement des ressources aura un impact sur ce qu’on mange, nos loisirs, comment on s’habille, notre accès aux soins, à des températures vivables, supportables… Tout ce qui a permis aux générations d’avant de prospérer va s’effriter. Et, c’est sans même parler des potentielles instabilités géopolitiques que cela risque de provoquer. La sécurité physique ou alimentaire seront mises à mal. Évidemment qu’on a de très sérieuses raisons d’être inquiets.
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Parmi les grands procès que l’on fait à la jeunesse, il y a cette idée qu’elle est complètement égocentrique, uniquement préoccupée par ses vidéos TikTok ou ses likes Instagram… Qu’en est-il ?
Cette critique est liée à l’irruption des réseaux sociaux dans la vie des jeunes, qui marque parfois de vraies différences de pratiques culturelles entre les plus jeunes et les plus âgés. L’incompréhension provoquée se traduit quasi immédiatement en mépris. Pourtant, les personnes plus âgées aussi utilisent les réseaux sociaux. Différemment, certes, mais ils consomment aussi beaucoup, beaucoup de numérique.
La jeunesse est loin d’être égoïste. Déjà parce que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, de nombreux jeunes s’intéressent à l’information, au contexte géopolitique, à l’écologie. Ils ne le font pas comme des experts. Ils ne vont pas lire Le Monde tous les jours, ne vont pas écouter le JT tous les soirs. En revanche, sur les réseaux sociaux, ils voient des informations circuler, qui les inquiètent et qu’ils retiennent.
Les réseaux sociaux constituent aussi un mode de mobilisation pour une partie de la jeunesse. On l’a vu notamment avec le « Blocus Challenge », lancé par le député LFI Louis Boyard à l’occasion de la grève du 7 mars contre la réforme des retraites. Ce type d’engagement a-t-il un impact réel ?
Je pense que ces formes de mobilisations digitales sont un premier pas vers de l’engagement plus concret et qu’elles sont très importantes. Je comprends la critique qui voit le like ou le hashtag comme insuffisant, mais ce n’est pas toujours le cas. Il n’y a qu’à voir le hashtag #MeToo qui a permis de libérer la parole. Ou toutes les questions de santé mentale traitées sur TikTok.
Dans ces cas-là, la simple vidéo, le simple like, donne de la force à ces sujets et permet de sensibiliser de nombreux utilisateurs. Après, bien sûr, liker un tweet sur les Ouïghours pour aller acheter des vêtements en fast fashion derrière n’est pas constructif. Mais cela interroge aussi sur l’intransigeance dont on fait preuve face aux contradictions de la jeunesse. Car ils en sont pétris, comme le reste de la société. À la différence qu’eux, on ne leur pardonne pas. Et, souvent, ce sont des personnes âgées qui ne font rien qui vont fustiger les jeunes qui essayent un peu.
Les critiques les plus virulentes sur nos contradictions, sur toutes nos pratiques, nous viennent de personnes qui vraiment n’essaient pas d’une manière ou d’une autre d’améliorer notre futur.
Quand il s’agit d’aller aux urnes, les 18-24 ans ont le plus haut taux d’abstention. Comment l’expliquer ?
Pour certains jeunes (j’insiste sur le « certains », car de nombreux jeunes sont très politisés) la politique française ne les intéresse pas. Pourquoi ? Il suffit de regarder la classe politique actuelle, qui peine à se rajeunir. Et quand on a des personnalités plus jeunes, comme Emmanuel Macron, ils mènent des politiques électoralistes à destination des plus âgés.
Ce n’est pas qu’une question de langage : Emmanuel Macron a beau faire des vidéos avec McFly et Carlito, si, à côté de ça, il ne développe pas de politiques vraiment adaptées aux jeunes, cela ne peut pas fonctionner. À force d’être ignorés (comme pendant la crise du Covid, ou ils ont été laissés dans la plus grande détresse alors qu’il y avait des politiques publiques pour quasiment tout le reste de la société), on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils se sentent encouragés et intéressés par la politique.
On voit un vrai clivage générationnel entre certains responsables politiques, y compris du gouvernement et certains jeunes. Quand on a une jeunesse qui est, pour beaucoup, très sensibilisée aux questions LGBTQI+, aux violences sexistes et sexuelles, et qu’à côté, on a des ministres accusés de viol, ça ne passe pas.
C’est tellement aberrant qu’ils ne voient même pas l’intérêt d’entrer dans le débat. Ça renforce l’idée pour eux que la politique franco-française, c’est un truc de vieux, avec des débats à rallonge sur des sujets qui ne les concernent pas.
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Peut-on parler de conflit générationnel ?
Je n’aime pas cette idée de guerre intergénérationnelle. On n’y arrivera pas sans la coopération des générations. Certes, parmi les plus âgés, on a ceux qui nous disent « vous êtes vraiment une génération décadente » et d’autres, persuadés qu’on est une génération merveilleuse, qui pourra tout reconstruire.
Ils n’ont pas l’air de comprendre qu’on ne pourra rien reconstruire du tout, après le monde qu’ils nous préparent. Nous ne sommes pas en capacité matérielle, technique, humaine de réparer ce qu’ils sont en train de créer. On a besoin d’action maintenant, et c’est cette immédiateté qui rend la coopération des générations indispensable.
On ne peut pas attendre 40 ans, que la place soit libre, pour changer de modèle économique. Ensuite, on a besoin de l’expertise de ceux qui ont construit cette société. Les jeunes ne sont pas à la tête des entreprises d’aujourd’hui, ni à la tête des institutions politiques ou scientifiques. J’espère sincèrement qu’à un moment, on aura un déclic, un élan intergénérationnel.
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