Ils nous l’avaient annoncé avec fierté et en grande pompe, nous on se demandait surtout si cette vidéo avait une réelle pertinence vu le contexte actuel. Nous avons eu notre réponse : hier, McFly et Carlito ont dévoilé la TRÈS attendue vidéo avec Emmanuel Macron, qui s’était engagé à se soumettre à leur fameux concours d’anecdotes.
Que garder de cette battle qui – personne n’est dupe – fait partie de la stratégie pour fédérer la population des 18-25 autour d’Emmanuel Macron en vue d’une élection présidentielle dans moins d’un an ? Hormis quelques fun facts sur notre Président, et sa capacité à bluffer face à McFly et Carlito, voilà ce qu’il faut en retenir.
Une parodie de coolitude pour Emmanuel Macron
En soi, Emmanuel Macron est plutôt bon acteur (rappelons qu’il a fait le cours Florent dans sa jeunesse), et reconnaissons qu’il est même assez spontané dans certaines vannes. C’est plutôt dans le script que ça coince.
Il aura beau faire tous les efforts du monde pour paraitre détendu et presque naturel, chacune de ses paroles sonne comme une parodie de coolitude, une tentative de paraître « dans le coup ». C’est bien simple, j’ai eu l’impression de regarder en boucle le gif de Steve Buscemi avec son skate et sa casquette à l’envers !
En fait, c’est même presque pire. Emmanuel Macron ne dit pas « How do you do fellow kids » (« Alors les jeunes, ça farte ? ») : il imite la jeunesse et l’image qu’il s’en fait. Dans sa tête, elle écoute du rap et joue au foot ; il est donc normal que les références à sortir soient d’emblée celles-ci. Et tout comme son sondage en story Instagram pour vendre l’extension du pass culture, le résultat finit par sonner faux…
Il y a aussi une part d’ambivalence dans cette communication : Macron peut se permettre d’évoquer des « substances » qu’on devine illicites au détour d’une anecdote, pendant que son ministre de l’Intérieur déclare la guerre au cannabis et à ceux qui défendent l’idée de sa légalisation.
En s’adressant de façon aussi désinvolte aux jeunes sur cet enjeu, Emmanuel Macron arriverait presque à faire oublier la politique de son gouvernement, où l’instrumentalisation de la consommation de drogues vient servir une politique de durcissement sécuritaire. On retiendra peut-être que le président n’est « pas si sévère » sur la question puisqu’il parle du joint avec sourire… en omettant les actions et propos de ses ministres.
McFly, Carlito et Macron, entre couilles
Sous couvert d’un jeu bon enfant, la vidéo est
une célébration des codes de la masculinité, de l’image de l’homme avec un grand H, celui qui écarte les pattes quand il s’assoit. Chaque séquence, chaque anecdote de ces trente minutes nous hurle « On n’est pas bien, là, entre bonhommes ? ». Ça respire la franche camaraderie virile, qui se tape dans le dos et qui rit fort.
Pour montrer qu’il est à l’aise, comme un poisson dans l’eau face à McFly et Carlito, Emmanuel Macron fait dans la bagarre : « Mon objectif c’est tout de suite de vous mettre un coup au foie », « Si je n’égalise pas, je leur fais une grosse béquille ». Tout ça, à grand renfort de zooms sur le visage présidentiel pour montrer la tension du bluff, comme au poker (encore un truc bien viril).
J’ai souffert durant cette vidéo : confinements et couvre-feux obligent, cela faisait longtemps que je n’avais pas subi une succession de vantardises racontées par plusieurs hommes hétérosexuels avec force et détails, une litanie de leurs exploits dont je me fiche, généralement des moments invraisemblables de leur vie où ils ont soit risqué leur vie soit parlé avec quelqu’un de connu. Ça ne m’avait pas manqué.
Mais est-ce si étonnant ? McFly et Carlito ne semblent pas franchement disposés à inviter des femmes pour participer à leur concours d’anecdotes. Déjà dix épisodes, et pourtant on assiste un joyeux petit entre-soi 100% masculin…
Macron chez McFly et Carlito, est-ce que ça aurait pu être bien ?
Essayer de casser une image rigide et protocolaire de l’exercice présidentiel, Emmanuel Macron n’est pas le premier à le faire, certes. Mais en 2021, les moyens sont différents de ceux d’un François Mitterand en 1985 qui se prêtaient à deviner les mots utilisés par les jeunes, de « craignos » à « chébran » :
Puisque personne n’attendait de McFly et Carlito une discussion à bâtons rompus sur la politique d’Emmanuel Macron en matière de violences policières, d’environnement, ou encore concernant la crise sanitaire et la précarité des jeunes, une question se pose : cette vidéo avait-elle une chance de ne pas être scandaleusement complaisante ? Était-il seulement envisageable qu’elle ne soit pas qu’une mascarade de com présidentielle — puisque contrairement à la chanson des youtubeurs, elle n’a aucun rôle pédagogique par rapport au covid-19 ?
Je serais curieuse de savoir ce qu’en pensent McFly et Carlito. À quel moment réalise-t-on qu’on n’a pas la main sur son format et qu’on va servir la soupe à son invité, l’aider à reformater son image en direction de son public ? Cette question, d’autres youtubeurs comme Nota Bene n’hésitent pas à la soulever : dans un monde où les coulisses sont souvent ignorées du public, feindre une forme de spontanéité avec un tel invité, ça ne passe pas.
On ne va pas se mentir : on trouvait Barack Obama si cool lorsqu’il faisait des choses similaires. On applaudissait des deux mains en le regardant jouer au basket ou aller chercher son burger au Five Guys. Pourtant, voir Emmanuel Macron copiner avec des youtubeurs et nous prouver de toutes les façons possibles qu’il s’y connaît en culture populaire a tendance à nous agacer prodigieusement.
Probablement, parce que quand il s’agit de son propre dirigeant, on se fait aussitôt bien moins indulgent face à une tentative — sincère ou non — de se montrer sympathique et proche du peuple ! Conscientes des enjeux et de la crise que traverse la France, conscientes de ce que les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron ont eu et ont encore comme impact sur la France, difficile de s’arrêter au potentiel divertissant d’une telle vidéo.
Il faut être lucide sur les tenants et les aboutissants d’une telle vidéo. Ici, il ne peut s’agir que d’un concours d’anecdotes. C’est forcément plus que cela. Cela ne peut pas être innocent ni juste pour le LOL.
On vous spoile, hein : à la fin, le concours se termine par un ex aequo, quatre points partout. Tout le monde a gagné, et surtout tout le monde a perdu. Dans les faits, les deux youtubeurs devraient donc s’envoler faire un tour en avion de chasse le 14 juillet (une bonne opé de com pour le ministère de La Défense ?) ; de son côté, notre président de la République pourrait honorer la promesse d’avoir leur tête sur son bureau lors de son allocution — un gage qui ne fait pas l’unanimité, car symboliquement, associer les tronches de deux youtubeurs à une prise de parole le jour de la fête nationale n’est clairement le geste le plus approprié…
Ce match nul prouve bien que l’issue du concours — la victoire ou la défaite — avait bien peu d’importance : le vrai résultat est ailleurs. Et il l’a toujours été.
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