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Racha Belmehdi : « Le capitalisme nous a conduits à accepter qu’il fallait souffrir au travail »

Après un premier ouvrage remarqué sur la rivalité au féminin, Racha Belmehdi revient avec « À votre service », aux éditions Favre. Dans cet essai à la première personne, l’autrice raconte ses années de vendeuse pour analyser avec pertinence et humour le peu d’intérêt que porte notre société aux métiers de service, et à ses travailleurs essentiels méprisés. Rencontre.

Interview de Racha Belmehdi, autrice de « À votre service » (éd. Favre)

Madmoizelle. Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Racha Belmehdi. Il y a eu deux points de départ. Au moment de la Covid, je me suis rendu compte à quel point le comportement des clients a changé envers les caissières. Les gens disaient bonjour, glissaient un mot d’encouragement, car on savait qu’elles restaient en « première ligne ». Quand la crise est devenue moins grave, cette bienveillance a totalement disparu. De l’autre côté, j’ai moi aussi exercé ces métiers-là, et j’avais besoin de réfléchir à mes expériences, d’en tirer quelque chose d’utile, pour qu’on valorise et visibilise le travail de ces personnes. 

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Tu livres beaucoup d’expériences personnelles dans ton récit, en quoi était-ce important de parler à la première personne ?

Il est essentiel pour moi de me situer, pour qu’on sache d’où je parle et que le récit soit incarné. On ne peut pas s’extraire de son vécu pour créer quelque chose d’objectif, ça n’existe pas vraiment. Je précise toujours le métier de mes parents et d’où je viens. C’est important de parler de ce que l’on connaît et de ce qu’on a pu vivre pour en tirer des analyses pertinentes. 

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Que répondre aux gens qui pensent et disent que « les jeunes ne veulent plus travailler de nos jours » ?

Ce n’est pas que les jeunes ne veulent plus travailler, c’est qu’ils ne veulent plus travailler dans les conditions qu’on leur impose.

Le capitalisme nous a conduits à accepter qu’il fallait souffrir au travail, pour ‘gagner sa vie’, je trouve cette expression épouvantable. Pour moi, ce n’est pas une mauvaise nouvelle, au contraire, les jeunes posent des meilleurs standards de qualité de vie pour toute la société.

Plus jeune, j’avais tendance à questionner tout ce qui n’allait pas, mais j’étais toujours seule, on me répondait que c’était « comme ça ». On voit qu’aujourd’hui, beaucoup plus de personnes sont prêtes à questionner leurs conditions de travail. Tant mieux si on met des limites. 

Tu déploies dans plusieurs chapitres la question des qualifications nécessaires pour des emplois catégorisés comme non-qualifié, pourquoi la société refuse de percevoir les emplois de service comme des jobs nécessitant de vraies compétences ? 

Contrairement à ce que l’on pense, ce ne sont pas des métiers accessibles à tout monde, ils requièrent parfois des qualifications très particulières, de gestion ou d’organisation par exemple. On répertorie ces emplois comme « non-qualifiés » pour justifier des bas salaires. Si tu n’as pas fait d’études, on va te dire que « c’est déjà pas mal d’avoir un job ». Ce sont des compétences qui ne sont pas sanctionnées par un diplôme, il n’y pas de formation en patience ou diplomatie. 

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On parle beaucoup des questions de burn-out pour les cadres ou pour les emplois valorisés, mais très peu de l’épuisement psychologique des métiers de service, qu’est-ce qui rend si difficile de penser que des caissières ou des vendeuses puissent vivre un burn-out ?

C’est à cause de leur déshumanisation, on n’arrive pas à prêter à ces personnes des rêves ou des passions. Ces employées à notre service sont perçues comme des machines, c’est plus facile de les voir comme ça, on se déculpabilise, on n’arrive pas à les envisager comme des personnes qui souffrent, qui peuvent être déprimées par leur métier. On part du principe que ces gens-là n’ont pas fait d’études et qu’ils devraient s’estimer heureux d’avoir un emploi. 

Les métiers de service sont à l’intersection de nombreux combats progressistes, féminisme, anti-racisme, anti-validisme… Pourquoi sont-ils si peu pris en compte dans les luttes actuelles ?

Les personnes qui sont visibles dans les luttes actuelles sont souvent des personnes qui viennent de milieux aisés et qui ont fait des études. Les plus privilégiés prennent toute la place et certains combats passent à la trappe.

Beaucoup de ces personnes ont des femmes de ménage, des nounous, pour s’occuper de leur travail domestique et pour leur permettre d’avoir du temps pour mettre en action les luttes. Ce n’est pas le cas de tout le monde, il faut le rappeler.

Quelles sont les solutions concrètes pour améliorer ces emplois qui devraient être mises en place, selon toi ?

Il faudrait responsabiliser les patrons en commençant par la sécurité. Ce sont des métiers très exposés, quand on est confronté au public, on ne sait jamais sur qui on va tomber. Une cliente m’a déjà jeté un sac à la figure, on peut faire face à des clients très agressifs. Ensuite, il faut développer l’empathie chez les gens, c’est le plus difficile, il faut vraiment se défaire de ses habitudes de consommateur qui estime que tout lui est dû, quand on peut payer. 


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