Parler est le nom de l’ouvrage publié par Sandrine Rousseau, mais aussi celui de l’association qu’elle a créée dans la foulée, comme mentionné à la fin de l’article ci-dessous.
Parmi les missions que celle-ci s’est données, réunir régulièrement des victimes de violences sexuelles, pour pouvoir mutuellement s’épauler et partager. Les dates de nouveaux rendez-vous ont été annoncées si tu souhaites t’y rendre :
Pour retrouver de façon permanente les dates des rendez-vous proposés par l’association, tu peux te rendre sur son site, rubrique « Les Rendez-vous ».
Publié le 30 septembre 2017 — J’ai rencontré Sandrine Rousseau pour la première fois il y a quelques années, je devais avoir 19 ans, je débarquais à Sciences Po et elle était venue parler en petit comité de ce qu’était être une femme politique.
On lui a posé toutes les questions qui pouvaient nous passer par la tête, de la difficulté à se faire respecter, à accéder aux responsabilités, de la meilleure manière de mettre les chances de notre côté, de la conciliation vie politique et vie privée…
À ce moment-là, je n’aurais jamais soupçonné qu’un peu plus d’un an plus tard, l’affaire Baupin ferait la Une des médias et qu’elle serait l’une des victimes à témoigner à visage découvert.
Malgré le fait qu’on ait parlé sexisme en politique en long et en large ce matin là, il manquait en effet une dimension majeure : le harcèlement et les agressions sexuelles.
« Je ne pouvais pas dire ça à un groupe d’étudiantes toutes fraîches, comme première parole publique. Je ne pouvais pas le faire dans un cadre comme ça. »
Je le comprends aisément – d’autant plus que comparé à l’objectif affiché de ce petit déjeuner, ça aurait été possiblement contre-productif : on te donne pas envie de te lancer en politique en disant y avoir été victime d’agression sexuelle.
Les conséquences de l’affaire Baupin
Alors c’est en mai 2016, à travers l’enquête de France Inter et Mediapart qu’elle prend la parole. Et qu’elle comprend au passage l’ampleur du problème.
« Après avoir témoigné, on a reçu des tas de messages de femmes qui nous expliquaient n’avoir jamais osé parlé.
J’ai découvert quelque chose – quand je dis ça j’ai peur d’être moi-même maladroite, car j’imagine bien que les gens vont me reprocher de ne pas en avoir été consciente avant – mais faire partie d’une communauté de femmes et d’en voir l’ampleur… Je ne peux pas faire comme si ça n’existait pas. »
C’est le déclencheur pour qu’elle décide d’écrire ce livre, paru le 27 septembre dernier : Parler.
« La nécessité est venue du fait que j’ai été assez surprise du parcours d’après-parole, de ce qui se passe, de l’ampleur que ça prend, de la violence, et en même temps de l’aspect aussi salvateur de la prise de parole.
Mais au moment où je n’étais pas bien, je n’ai pas trouvé d’écrits qui me permettaient de me dire que je n’étais pas folle. Alors un livre comme ça – sans avoir la prétention du tout que tout est universel – c’est pour dire que les phrases que vous entendez, on est sans doute nombreuses à les avoir entendues. »
« Ces phrases que vous entendez », à titre personnel, je les lis quotidiennement dans ma boîte mail. En tant que responsable des témoignages sur madmoiZelle, c’est moi qui réceptionne les histoires des lectrices.
Et il ne se passe pas un jour sans que j’y découvre une nouvelle histoire de viol, de harcèlement, ou d’agression et tout le contexte qui les accompagne.
Ce contexte c’est la culpabilité, la honte, le silence et le poids des remarques et des réactions lorsqu’on ose prendre la parole. C’est parfois le renoncement à porter plainte quand on sait que ça n’aboutira à rien. Ou encore regarder sa vie personnelle et son univers sombrer, en même temps qu’on sombre soi-même dans la dépression.
La nécessité d’avoir une justice plus efficace
Je l’avoue sans mal : j’ai beau avoir quasiment réussi à me débarrasser de ma colère, ces sujets-là continuent de me filer une boule au ventre.
Car je suis témoin du nombre de personnes qu’on brise pendant que les responsables ne sont pas inquiétés le moins du monde, pendant qu’on se refuse à éduquer l’intégralité des jeunes au consentement, qu’on ne forme pas l’ensemble de notre police et de nos magistrats aux violences sexistes et sexuelles.
« Il faut regarder le taux d’impunité : ça montre bien à quel point la société s’en fout, et ce n’est vraiment pas possible, ça ne peut pas se tenir. Quand on dit qu’il y a 1% des auteurs qui sont condamnés ça veut dire qu’il y a 99% d’entre eux qui vivent tranquilles en famille pendant que des femmes sont traumatisées à vie. »
Sandrine Rousseau en sait quelque chose puisque sa plainte a été classée sans suite, pour cause de prescription.
« C’est un cercle vicieux parce que tant qu’il n’y a pas beaucoup de femmes qui portent plainte, on ne met pas de moyen dans la justice et dans la police pour régler le problème. Mais le climat empêche les femmes de porter plainte. »
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Par climat, elle entend aussi les « stratégies d’agresseur » comme celle de Denis Baupin qui se donnait « un visage, une image parfaite, même très bienveillante envers les femmes de l’extérieur, et c’est important parce qu’à cause de ça les victimes se disent qu’on ne les croirait pas, et elles continuent de se taire. »
Prendre la parole pour sensibiliser
C’est l’autre aspect de son engagement aujourd’hui : la prise de parole, le débat public pour éveiller les consciences. Si son livre parle aux victimes, il fait aussi office d’outil de sensibilisation.
« Quand on se fait voler un sac, on n’est pas terrorisé que les gens l’apprennent, mais en cas d’agression sexuelle il y a cette honte, cette culpabilité, c’est social. […]
C’est aussi pour éduquer la société que je ne m’interdis pas d’en parler publiquement, je continuerai à dénoncer et à avancer sur toutes ces questions. »
Cependant cela n’efface pas son objectif principal :
« Je ressens le besoin de venir en aide aux femmes en particulier – c’est inimaginable qu’on laisse à ce point les femmes seules. »
Des victimes souvent isolées
La solitude, l’impression de ne pas être entendue, l’impact psychologique et sur la vie privée, Sandrine Rousseau les a vécues comme beaucoup de victimes d’agressions sexuelles.
« Ce sont des victimes qui doivent gérer dans leur couple, dans leur famille ce traumatisme, et ça a des conséquences y compris sur leur vie personnelle. »
Effectivement, les témoignages qui affluent dans ma boîte mail chaque semaine sont ceux de jeunes femmes qui se sont longtemps auto-persuadées d’être responsables de leur propre agression, d’autres qui tremblent à l’idée de confier à leur compagnon ce qui leur est arrivé de peur qu’il les accuse de l’avoir trompé, d’autres encore qui une fois qu’elles en ont parlé sont catégorisées « victimes-dépressive-difficiles-à-vivre » et donc lâchées par leur entourage…
« Ce sont des processus qui sont très complexes, je l’ai vu aussi récemment, il y a des femmes qui vivent terrées dans la honte et dans la peur que leur entourage l’apprenne, qui sont terrorisées. »
Parler : une association pour se soutenir
Bien sûr c’est loin d’être le cas de toutes les victimes d’agression, mais c’est justement l’essence du projet associatif qui accompagne la sortie du livre de Sandrine Rousseau et qui porte le même nom, Parler :
« Pour moi c’est essentiel d’offrir des lieux où la parole n’est pas mise en doute, où elles sont sûres qu’on les écoutera, que d’autres victimes pourront les épauler.
Il y a des associations qui travaillent dessus bien sûr, mais on y est souvent face à des pro : magistrats, juges, psychologues, personnes formées à l’écoute… Il n’y a pas de copines, des gens qui sont juste là pour prendre un café, passer une soirée ensemble. »
Si ça semble si crucial à Sandrine Rousseau, c’est bien parce qu’elle-même ne sait pas comment elle aurait vécu cette épreuve sans le soutien d’autres victimes :
« Heureusement qu’il y avait Hélène, Annie et Isabelle, si elles n’avaient pas été là, je ne sais pas comment j’aurais traversé ce moment. On s’est tellement aidées dans ces moments-là que je ne sais pas comment on aurait fait sinon. »
L’association Parler aura donc pour but – entre autres – de créer ces espaces de paroles, de mettre des victimes en relation pour qu’elles puissent s’épauler dans leurs épreuves, que ce soit pour vider son sac un soir ou pouvoir boire un café après avoir porté plainte.
« Je ne peux pas laisser la situation en état, je ne peux pas laisser les femmes comme ça. Je ne dis pas que les sauverai, mais je me dois de tenir compte de ce que j’ai vu et entendu.
Je me dois de continuer cette action par l’accompagnement : créer ce réseau, c’est le sens de cette démarche.
Et ce que nous, on n’a pas gagné parce que le délai de prescription était trop court, je veux permettre à d’autres femmes de le remporter. »
Après un passage douloureux chez On n’est pas couché, Sandrine Rousseau a réaffirmé sa volonté de libérer la parole.
Parler, de Sandrine Rousseau : une prise de parole salutaire
J’ai reconnu au cours de ma discussion avec Sandrine Rousseau tellement de choses que j’échange déjà avec d’autres victimes, qu’effectivement je pense que sa prise de parole ne peut qu’être salvatrice.
Elle m’a demandé, en raccrochant, de préciser également que l’association Parler va avoir besoin de bénévoles, « peu importe le temps qu’on peut donner, quelques heures par-ci par-là ou un plus gros investissement ».
Vous pouvez donc retrouver l’association sur sa page Facebook, sur son site Internet, ou encore vous procurer le livre de Sandrine Rousseau, Parler, sur Amazon, à la Fnac ou sur Place des Libraires.
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