En mai, Médiapart et France Inter avaient publié conjointement une enquête recensant plusieurs témoignages, anonymes et à découvert, de femmes dénonçant les agissements du député. (lire ci-dessous).
Et oui, quatre mois plus tard, Denis Baupin est toujours député de Paris, parfaitement. (Si vous cherchez comment vous inscrire sur une liste électorale en vue des prochaines élections parlementaires, toutes les infos sont là, de rien, cordialement.)
Du « libertinage incompris »
Véronique Haché est directrice d’Autolib, mais les faits qu’elle dénonce — aujourd’hui prescrits — remontent à 2004, lorsqu’elle était conseillère municipale en charge des transports. Son entretien est à retrouver sur France Inter :
« J’ai voulu porter plainte parce que j’ai été choquée […] en lisant la ligne de défense de Denis Baupin, qui consistait à dire qu’en fait, toutes ces femmes avec lesquelles il avait essayé d’avoir des relations sexuelles ne comprenaient pas, que c’était du libertinage incompris.
C’est encore une façon de renvoyer aux femmes une image négative d’elles-mêmes, sur le thème « t’es pas assez intelligente pour comprendre ce que je veux faire ».
Il y a un moment où il faut qu’on se dise non, je parle, quelle qu’en soit la conséquence, j’ai le droit de parler et je ne suis pas toute seule.
C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai voulu porter plainte, parce que je pense qu’il faut — et là je m’adresse à toutes les femmes, il faut y aller quoi. Il ne faut pas avoir peur, il faut qu’on se serre les coudes, et qu’on réclame des outils pour pouvoir le faire ».
Véronique Haché ajoute donc sa plainte à celles de la députée Isabelle Attard, de l’adjointe au maire du Mans Elen Debost, et de Sandrine Rousseau, secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie Les Verts.
Sa plainte n’aboutira pas, car les faits qu’elle relate sont prescrits. En revanche, son témoignage vient étoffer l’enquête préliminaire toujours en cours. Affaire à suivre, donc…
La honte est en train de changer de camp
Depuis que plusieurs femmes ont témoigné publiquement des faits de harcèlement dont elles ont été victimes, la parole se libère progressivement sur le sujet. Maïa Mazaurette expliquait dans GQ le phénomène de sidération, et pourquoi c’est si difficile pour les victimes d’oser dénoncer.
À lire aussi : Comprendre la sidération, qui empêche de se débattre pendant un viol
Nous avions reçu des dizaines de témoignages, portant sur du harcèlement et des agressions sexuelles, dans le cadre professionnel ou associatif : quand on vous dit que c’est un problème…
Alors même si le silence des hommes reste encore assourdissant, cette nouvelle plainte, ce nouveau témoignage est un signe que la honte est en train de changer de camp.
Pourquoi le féminisme doit-il devenir un sujet politique incontournable ?
Initialement publié le 10 mai 2016
Le député Denis Baupin est accusé de harcèlement et d’agression sexuelles par plusieurs témoignages concordants. Des victimes ont brisé l’omerta qui pèse sur ce sujet, mais on est loin du compte…
Pourquoi le féminisme est une cause politique, pourquoi je milite pour qu’elle devienne incontournable dans les politiques publiques ?
« Tout le monde savait », « secret de polichinelle », « les faits étaient connus »…
Voilà, c’est pour ça. J’ai lu ces phrases dans l’excellente enquête de Médiapart et France Inter à propos des harcèlements et agressions sexuelles imputées* au député ex-EELV Denis Baupin. Elles ont été reprises et dénoncées sur les réseaux sociaux, où l’on salue « la fin de l’omerta » sur ce sujet.
*Oui, j’applique une règle de proximité. #DealWithIt.
2016, les gars. Ces « tout le monde savait » m’avaient déjà ulcérée en 2011, lors de l’affaire DSK, mais ils me rendent folle de rage aujourd’hui.
À quel point faut-il avoir assimilé la misogynie pour avoir connaissance de tels faits, et se contenter de les commenter d’un « Ah, il a recommencé » ?
Combien d’hommes politiques ont des comportements irrespectueux envers leurs collaboratrices ?
Aux dires des femmes qui ont témoigné, Denis Baupin a eu un comportement délictueux, et a fait suffisamment de victimes pour que des récits concordants permettent aujourd’hui de sortir une telle enquête, dénonçant ces agissements. Mais je frémis en pensant au nombre d’hommes politiques qui envoient des SMS déplacés, sollicitent des tête-à-tête en soirée, ont un comportement globalement irrespectueux à l’égard de leurs collègues, collaboratrices, des journalistes…
C’est « pas assez » pour justifier un dépôt de plainte, mais c’est déjà trop loin dans l’irrespect, c’est déjà de l’humiliation.
C’était l’objet de la tribune des femmes journalistes politiques victimes du sexisme, qui aura contribué à libérer la parole sur ce sujet : il y a un an, ces professionnelles dénonçaient déjà les agissements grivois de trop nombreux élus et personnalités politiques.
#LevonsLomerta, la pétition
En réaction à la publication de l’enquête de Médiapart et France Inter, une pétition a été lancée par le Collectif « Levons l’omerta ». Son but est d’interpeller les élus, et de faire modifier les règlements des partis et des assemblées pour faciliter l’exclusion des auteurs de violences sexuelles.
Par ailleurs, Catherine Coutelle, la présidente de la Délégation de l’Assemblée Nationale aux Droits des Femmes, a publié dans la soirée un texte co-signée par ses consoeurs Maud Olivier et Marie-Noëlle Battiste. Les trois députées y proposent des mesures de lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles, notamment l’allongement de la durée de prescription de ces faits.
On vous voit…
Vous savez, ça se voit de l’extérieur, votre incapacité à respecter les femmes comme les êtres humains qu’elles sont. Quand vous en parlez comme d’un groupe homogène, que ce soit pour plaisanter ou très sérieusement, en termes de politiques publiques.
Quand vous ignorez les problématiques liées à l’égalité, quand vous rabotez des mesures visant à promouvoir l’égalité professionnelle. Quand vous débattez de contraception et d’IVG en des termes qui disent clairement toute la méfiance que vous avez à l’égard du genre féminin, lorsque vous nous considérez irresponsables et inconséquentes dans notre manière de gérer notre vie sexuelle.
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Ça se voit. On vous voit. Vous devriez avoir honte.
Et à ceux qu’on n’entend pas…
Les féministes dénoncent ces comportements depuis des années. Elles s’expriment, elles se battent pour faire évoluer les lois, les pratiques, les mentalités. On vous répète que c’est important, qu’il faut prendre en compte le sexisme ordinaire dans tous les aspects de la société, justement parce qu’il pose les fondements des discriminations, voire pire.
Qu’en pensait l’entourage du député ? Pourquoi ses proches n’ont-ils pas réagi ?
Je me demande si Denis Baupin avait pleinement conscience d’abuser de son pouvoir envers ses collaboratrices. S’il réalisait qu’il commettait un délit, une agression sexuelle. Mais je me demande surtout ce que pensaient ses amis, son entourage, ceux qui avaient connaissance de ses agissements.
Puisqu’il paraît que c’était « un secret de polichinelle », j’imagine que des proches du députés n’ignoraient pas sa réputation ? Sans surprise, c’est ce qu’on apprend dans cet article du Monde :
« C’était très, très connu dans le parti », a assuré lundi à l’Agence France-Presse un collaborateur des députés du groupe écologiste à l’Assemblée.
Vous laisseriez un ami prendre le volant alors qu’il n’est pas en état de conduire ? C’est juste parce qu’il risque de se faire pincer, ou bien vous avez conscience qu’il risque de tuer quelqu’un sur la route ?
Pourquoi vous le laissez harceler et agresser des femmes ? C’est moins grave ? Mais allez donc faire un tour sur le Tumblr Je connais un violeur, lisez quelques pages, ça calme.
Je commence à comprendre dans quel monde aurait pu se dérouler le film Nos Femmes…
Même les femmes politiques…
Ce qui me tue dans cette histoire, c’est de constater à quel point l’omerta est forte. Rendez-vous compte, les victimes sont des femmes politiques. Des élues, des militantes, des collaboratrices, des personnes qui se sont engagées en politique, donc d’une certaine façon, « pas des timides » quoi. Il y en a parmi elles qui s’expriment à la tribune.
Mais il a fallu attendre des années (après la prescription de nombreux faits), pour que certaines d’entre elles seulement osent prendre la parole (d’autres craignent des conséquences pour leur carrière et des représailles).
Pour quelques-unes qui parlent, combien continuent de se taire, partout ?
Combien de victimes, comme elles, n’oseront toujours pas briser cette omerta ? Si même les femmes politiques, les élues, nos représentantes, ne se sentent pas suffisamment écoutées, soutenues, tout simplement en confiance pour dénoncer des agissements qu’elles savent au mieux déplacés, au pire délictueux voire parfois criminels, qui d’autre le fera ?
À lire aussi : « Les mots tuent », un Tumblr pour dénoncer les euphémismes concernant les violences sexistes
Alors quand on me demande pourquoi je suis féministe, et surtout pourquoi je ramène toujours tout au féminisme dans la vie, vous avez votre réponse. Parce que tant que les femmes seront aussi nombreuses à être traitées comme de la chair à sauter, tant qu’il faudra « briser une omerta » pour faire cesser des comportements intolérables dans la société, j’aurai besoin du féminisme.
Le sexisme n’a ni classe sociale, ni race
Toutes les mauvaises excuses y passent, mais le sexisme n’a ni classe, ni genre, ni race
Et sinon, vous avez remarqué ? Denis Baupin. Un bon Français bien de chez nous ça, à vue de patronyme ! « Denis Baupin ». Député. Vice-président de l’Assemblée Nationale ! Enfin plus depuis lundi matin, donc.
Dédicace à tous ceux qui me répètent que ce sont « les autres » qui sont sexistes, vous savez, ceux qui n’ont pas « la même religion que nous », ceux qui « voilent leurs femmes », etc. Les p’tits machos des cités qui n’ont jamais appris à respecter les femmes — mais c’est leur manque d’éducation le problème, ma bonne dame.
Et vous, c’était quoi votre excuse, M. Baupin ? Racisme, classisme, tout l’éventail des mauvaises excuses sociologiques y passe pour ne pas voir la réalité en face : le sexisme et la misogynie n’ont ni classe sociale, ni genre, ni race.
En France, en 2016, on a plus que jamais besoin du féminisme, et DES féministes, parce qu’on en est encore à devoir briser les silences. Mais on progresse, c’est vrai. Je n’ai encore entendu personne cette fois-ci revendiquer un « droit de cuissage », ni plaisanter sur « le sang chaud » et « la culture de la séduction à la française », comme en 2011…
On progresse. Peut-être que d’ici 2168, ce genre d’affaires appartiendra définitivement à un passé dont on aura collectivement honte.
Et quand je lis qu’à Nuit Debout, où une nouvelle garde ambitionne de réécrire nos institutions et refonder notre société, les agressions sexuelles et le mépris des combats féministes vont bon train, je reste assez pessimiste.
- À lire sur Slate : Comment #NuitDebout gère les agressions sexuelles et le sexisme en son sein
Vous comptez changer le monde sans la moitié de l’humanité, comment ça se passe ? C’est pas pour critiquer, mais j’ai pas l’impression que la suprématie masculine ait produit des miracles ! Niveau guerres, conflits, tout ça, vous êtes un peu nerveux… Et j’ai le sentiment qu’on est un peu dans l’impasse, là, tous ensemble, en tant que société.
Personnellement, je suis féministe parce que je suis convaincue que l’égalité est une question de justice. Mais on peut aussi être pragmatique et finir par se dire que c’est aussi devenu une question de nécessité…
Alors c’est bon, on peut participer à la construction de cette société sans se faire constamment renvoyer à la cuisine, en prime insultées voire agressées ?
Il paraît que « Nuit Debout peut être porteur d’une transformation sociale de grande ampleur », selon cette tribune collective publiée sur Le Monde. On y loue « la critique radicale de tout un système ». Mais de féminisme, aucune mention. Et ce n’est pourtant pas faute d’aborder les limites avouées du mouvement. Selon les auteurs :
« Si l’articulation s’opère avec des secteurs du mouvement ouvrier et les réseaux associatifs issus des quartiers, rien ne pourra arrêter ce mouvement. »
Surtout ne changeons rien, hein. Et puis les choses s’améliorent, alors de quoi on se plaint ? De trois fois rien…
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