Après avoir martelé sur tous les plateaux de télévision que « la procréation médicalement assistée ne figurerait pas dans la loi famille », après avoir annoncé que la loi famille ne serait finalement pas examinée en avril, Médiapart nous apprend que le gouvernement est à présent en train de reculer sur le genre :
Article paru sur Médiapart
Il y a un an, je prenais la plume pour répondre à « Clara, 20 ans » qui voulait quitter la France. Je défendais alors un projet de société où la solidarité et l’égalité des chances primaient sur les égoïsmes, une société dans laquelle j’avais l’ambition de m’épanouir, moi, jeune femme française.
« Djendeur Gate », et la République flanche ?
Mais un an plus tard, voilà que le projet de société a changé. Dans l’espoir de faire taire une poignée d’obscurantistes, le gouvernement est en train de tirer un trait sur ce projet de société qui m’est si cher.
Oui, ce sont des obscurantistes. Ils hurlent « vade retro » face au progrès, comme jadis ils auraient brûlé des scientifiques « hérétiques ». Ils disent « djandeur » avec une condescendence caricaturale, et l’on ne sait pas si cette prononciation ridicule est le signe de leur bêtise ou de leur mépris.
Ils ont entraîné dans leur sillage des dizaines de milliers de personnes, dont l’ignorance est sincère et l’inquiétude légitime : oui, auprès de ces personnes-là, la pédagogie est nécessaire. Oui, il faudra prendre le temps d’expliquer le projet de société, d’expliquer que les stéréotypes de genre sont une cause majeure des inégalités sociales et professionnelles entre les hommes et les femmes, et pas « une idéologie ». Que le danger ne vient pas d’une « théorie du genre » qui n’existe pas, mais de la réalité du poids des stéréotypes de genre sur le développement et l’épanouissement des enfants et des adolescents.
Et tous ces gens cesseront alors d’offrir leur nombre à cette poignée d’obscurantistes. La Manif Pour Tous deviendra la Colère de Quelques-Uns, et nous les regarderons tous ensemble s’étouffer dans leur rage.
Qu’ils partent à l’assaut des moulins à vent, qu’ils s’obstinent dans leur combats imaginaires, de toute façon nous sommes déjà loin : ce projet de société égalitaire, nous sommes déjà en train de le mettre en oeuvre. Nous n’élèverons pas nos enfants dans les schémas patriarcaux qu’ils défendent.
Ceci n’est pas une parodie
Ne reculez pas : nous sommes déjà derrière
Mais vous qui nous gouvernez, vous ne pouvez pas « reculer » sur le genre, parce que nous, les femmes, nous ne pouvons pas reculer. Nous sommes déjà retenues en arrière, bridées par nos éducations de « petite fille » sage / patiente / modèle / insérez ici une caractéristique « féminine », destinée à nous maintenir en retrait.
Nous ne pouvons pas reculer, nous sommes déjà derrière. Beaucoup trop d’entre nous choisissent leurs études par défaut, par élimination de ce qui n’est « pas pour elles », parce qu’elles ne posséderaient pas les qualités « naturelles » requises pour ces filières. Nous serons ensuite payées en moyenne 27% de moins que nos collègues masculins, à postes et compétences égales.
Une jeune fille sur cinq aura tenté de mettre fin à ses jours en France, en 2013, à l’adolescence. En reculant sur le genre :
- Vous renoncez à expliquer aux jeunes filles qu’elles n’ont pas à se conformer à la multitude d’injonctions contradictoires que notre société leur renvoie. Vous les laissez se débattre avec ce dilemme impossible, cette perfection inatteignable.
- Vous renoncez à éduquer les garçons, vous les laissez s’emballer dans une course à la virilité qui en mènera certains à la violence et beaucoup d’autres à l’abaissement de leur estime personnelle.
- Vous contribuez à inculquer aux filles la peur de la rue, la peur du viol, vous continuez à nourrir chez elles un culte de l’apparence si fort qu’entre la santé et la beauté, elles choisiront beaucoup trop souvent la seconde.
- Vous laissez les jeunes gays, lesbiennes, trans, bi, souffrir en silence de la discrimination. Demandons-leur encore un peu de patience avant de prendre publiquement leur défense contre les manifestants de la haine. Qu’importe si les jeunes LGBT sont encore plus nombreux à tenter de mettre fin à leurs jours ?
Vous pensez toujours que ce chantier pourra attendre ? Pour nous, pour elles, pour eux, c’est une question vitale.
L’Égalité les menace
Peut être que l’ampleur des dernières manifestations anti-tout vous aura surpris. Pourtant, cette mobilisation n’a rien de surprenant. Bien sûr qu’ils allaient réagir ! Nous menaçons de constuire une société dans laquelle chacun pourra choisir sa place, au lieu d’être embarqué•e dans une voie pré-destinée par naissance.
Nous menaçons de construire une société dans laquelle les privilèges de genre auront disparu. Les filles pourront être fortes, curieuses, volontaires, inventives, ingénieuses, sans être jugées par rapport aux stéréotypes du genre féminin. Les garçons pourront être doux, attentifs, sages, émotifs, patients, sans être jugés par rapport aux stéréotypes du genre masculin. Les filles ET les garçons pourront choisir leurs études et leur profession indépendamment du fait d’être né•e fille ou garçon.
Et vous vous étonnez de leur réaction ? L’égalité les menace et vous pensiez vraiment qu’ils allaient se laisser faire ? La mobilisation de La Manif Pour Tous n’est que le signe de l’imminence des changements qui se profilent. C’est leur résistance ultime, le sursaut de la bête blessée qui agonise bruyamment.
Évidemment qu’ils ont tout intérêt à ce que les inégalités de salaire persistent entre les femmes et les hommes : elles contribuent à renvoyer nombre de femmes au foyer dès l’arrivée des enfants. Ainsi, « la femme » et « l’homme » restent aux places que leur modèle de société patriarcale leur a assignées : les hommes au travail et les femmes à la maison. Ils seraient déjà revenus sur le droit à l’avortement s’ils avaient pu, et ne se privent pas de le revendiquer :
Cette pancarte n’est toujours pas une parodie
Ils défendent des valeurs d’un autre temps, et vous vous apprêtez à leur donner raison ? Ils vocifèrent des slogans fanatiques, et vous leur prêtez une oreille attentive ? Faut-il que notre colère dépasse la leur pour que vous NOUS entendiez ? Pas de problème. Nous vous faisions confiance, nous n’avons même pas commencé à élever la voix.
Mais si c’est au degré d’indignation que vous mesurez l’engagement, vous allez nous entendre.
La colère de tous les autres
Et notre colère à nous, elle ne compte pas ? Comment comptez-vous redresser cette société si vous continuez finalement à laisser persister ses inégalités ? Comment comptez-vous construire cette société égalitaire, si vous consentez finalement à laisser leurs privilèges à une poignée d’arriérés ?
La Manif Pour Tous, « une certaine idée de la famille »
Dites-moi, quelles sont mes perspectives d’avenir dans une société qui refuse de reconnaître la réalité du genre, qui refuse de s’attaquer à ces constructions sociales oppressives, et se contente d’un statu-quo dans lequel je suis perdante par défaut ?
Dites-moi, comment suis-je censée rester dans l’ignorance qui semble tant leur plaire, alors qu’Internet me donne accès à toutes les informations qu’ils veulent vous faire censurer ? Comment puis-je ignorer le poids du genre sur mon destin personnel alors que j’en subis quotidiennement les conséquences ?
Dites-moi, comment comptez-vous faire pour éradiquer le harcèlement de rue, la culture du viol, déconstruire les schémas d’oppression patriarcale qui pèsent sur la sexualité des filles, qui pèsent sur l’épanouissement des garçons ?
Oui, « le genre » les dérange. Parce que la réalité les dérange, ils tentent de la nier, arguant que tout changement mettrait à mal l’ordre social, et même la survie de l’humanité ! Ils s’auto-parodient tant leurs propos sont caricaturaux.
Ne nous trahissez pas
Combien de temps allez-vous les laisser instrumentaliser les différences ? Ils nourrissent la fracture au sein de notre société comme l’infection qui vient pourrir une plaie.
Leur dernière action en date ? Faire de la communauté musulmane le bouc émissaire de leurs théories obscurantistes, en envoyant à de nombreuses familles des SMS complètement aberrants, leur demandant de retirer leurs enfants des écoles. Et vous savez bien à qui profite la stigmatisation de cette communauté en particulier.
En leur donnant raison, vous cautionnez leurs pratiques scandaleuses, et c’est irresponsable de votre part.
Si votre intention était d’apaiser le climat social en vue des élections à venir, vous êtes en train de faire le contraire.
Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre de la santé et des affaires sociales, chargée de la famille, a fait cette déclaration dans un entretien accordé au Monde :
« Je pense que ceux qui veulent faire avancer les choses doivent davantage se faire entendre. L’année dernière, pendant le débat sur le mariage pour tous, les opposants se sont fait davantage entendre.
Face à la mobilisation de la droite réactionnaire, je souhaite aujourd’hui un sursaut d’une France généreuse et ouverte. Cela ne veut pas forcément dire qu’il faut répondre aux manifestations par des contre-manifestations.
Mais il faut désormais une vraie mobilisation, sur les réseaux sociaux, par des tribunes dans la presse… Bref, il faut que l’opinion publique se mobilise. »
Vous plaisantez, non ? On a voté en 2012, non ? De mémoire, il y avait une liste d’engagements, 60 engagements, non ? Faudra-t-il faire trois mois de manifestations pour que chaque engagement soit respecté ?
Si vous voulez qu’on se fasse entendre, on va se faire entendre. Mais je vous préviens, comme nous sommes des démocrates profondément républicains, on a plutôt tendance à s’exprimer par les urnes que par des slogans ridicules sur fond rose et bleu.
Voilà comment ça va se passer : il y a des élections municipales en mars 2014, et des élections au parlement européen en mai 2014. On va s’y faire entendre. De la même manière que La Manif Pour Tous est en train d’adouber un certain nombre d’élus et de candidats allant dans leur sens (c’est à dire, à contresens), nous allons identifier NOS candidats.
On pourra déjà faire un premier tri, en éliminant ceux qui souscriront à la charte de La Manif Pour Tous :
« Abroger la Loi Mariage pour Tous ». Mais à part ça, pas d’homophobie.
Vous voulez nous entendre ? En mai et en juin 2012, vous ne nous avez pas entendus ? C’est pas grave, on va changer de ton.
En attendant les élections, à bon entendeur :
Le genre n’est pas une théorie, c’est une construction sociale. Étudier et comprendre l’influence du genre dans les constructions sociales permet de lutter contre toutes les discriminations sexistes profondément ancrées dans notre société : le harcèlement de rue, la culture du viol et le viol, le slut-shaming, la peur de la rue, les discriminations à l’embauche, les violences faites aux femmes (entre autres).
Les garçons aussi sont victimes des stéréotypes de genre. Leur influence néfaste sur la santé des adolescent•e•s a été récemment démontrée et analysée dans un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective.
Si vous reniez le genre, vous reniez le projet de société sur lequel vous avez été élus en 2012. Ne nous trahissez pas. Nous ne vous le pardonnerons pas.
Pour aller plus loin :
- Messieurs, l’égalité hommes-femmes ne se fera pas sans vous
- Réponse à la lettre ouverte à François Hollande de Clara G., 20 ans
- Les stéréotypes de genre sont dangereux pour la santé
- Le genre n’est pas une théorie – je veux comprendre
- La Manif Pour Tous défend les stéréotypes de genre
- Éducation des filles et des garçons : y a du boulot
- Le Pariteur : compare ton salaire à celui d’un homme
- Une adolescente sur cinq a déjà tenté de se suicider, Le Monde
- « Sois un homme ! » la dangereuse injonction sociale aux garçons
- Notre dossier Nique les complexes !
- Beauté : sommes-nous aliénés par notre rapport au corps ?
- L’IVG en débat : l’état de détresse des irréductibles opposants
- Le harcèlement de rue, cette épuisante banalité
- Je veux comprendre la culture du viol
- Je veux comprendre le slut-shaming
- Rumeurs à l’école sur « la théorie du genre » et la sexualité
- Je veux comprendre le discours de l’extrême droite en France
- Témoignage : j’ai été victime de violences conjugales
- Les « conseils aux femmes » de l’État face à mon impuissance responsable
- Moi, mes compétences et… mon utérus – témoignage