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Actualités France

Harcèlement sexuel : quand on vous dit que c’est un problème… #MyHarveyWeinstein

Des victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles témoignent, en réaction à l’affaire Harvey Weinstein, comme à l’affaire Baupin en 2016. Quand on vous dit que c’est un problème, dont l’étendue et la gravité devraient TOU•TES nous préoccuper…

Publié initialement le 19 mai 2016

Le 15 octobre 2017 — Les accusations lancées contre Harvey Weinstein continuent de libérer la parole des victimes d’agressions sexuelles. Ces derniers jours, le hashtag #MyHarveyWeinstein est monté sur Twitter.

Des milliers de femmes l’utilisent pour partager leurs propres expériences de harcèlement sexuel au travail. 

Car comme le dénonçait Florence Darel, l’une des actrices françaises victimes du producteur américain, ce problème n’est pas propre à l’industrie du cinéma. (Je vous invite vraiment à regarder l’interview de Florence Darel par Yann Barthès, ci-dessous.)

#MyHarveyWeinstein et #balancetonporc pour témoigner

En France, le hashtag a été repris sous la traduction #balancetonporc, utilisé dès vendredi 13 octobre par la journaliste Sandra Muller.

À l’heure où je publie cette mise à jour, le hashtag est dans les «trending topics», c’est-à-dire les sujets les plus populaires sur Twitter.

L’affaire Harvey Weinstein a permis de libérer davantage la parole des victimes de ces agissements, que l’on dénonçait déjà au moment de l’affaire Baupin, en mai 2016.

C’est l’occasion de relire ces témoignages, reçus à cette époque, qui dénonçaient déjà la fréquence de ces pratiques, et l’omerta qui pèse sur ses victimes.

À lire aussi : Sandrine Rousseau : « Les hommes sont légitimes à parler des violences faites aux femmes »

Harcèlement sexuel : quand on vous dit que c’est un problème… — Témoignages

Le 19 mai 2016 — Depuis que l’affaire Baupin a éclaté, la parole se libère. Et on oppose à la parole des femmes qui témoignent toute une série d’objections, de « oui, mais », de commentaires, de critiques.

Ah. On a demandé à nos lectrices si elles avaient déjà été victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles dans leur vie professionnelle, associative, dans tous les aspects de leur vie privée ou publique. Laissons leurs témoignages répondre aux objecteurs avisés.

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Quand on vous dit qu’il y a un problème de culture

L’ironie, c’est qu’on s’y habitue.

J’étais déjà familière des remarques sexistes diverses

Je bosse dans l’informatique depuis quelques années. Comme vous le savez, c’est un milieu très masculin. J‘étais donc déjà hautement familière des remarques sexistes diverses : « les fâmes ont le gène pour jouer à la poupée », une équipe entière d’ingénieurs qui soutiennent que « les jeux vidéo, c’est pas pour les filles », « tes poils sous les bras pour une fille, c’est sale, t’es crade »…

J’en passe et des meilleures, mais je vais aujourd’hui vous raconter mon expérience la plus éloquente.

J’ai dernièrement bossé dans une entreprise qui figure depuis plusieurs années au panthéon des « Best Places to Work ». Une boîte française avec un turn over de folie, qui se prétend hyper relax et méga décoincé.

Tout d’abord, en terme d’ouverture d’esprit, il y avait une politique dans tout l’open space à laquelle aucun des collègues masculins ne dérogeait (surtout pas les chefs) : dès qu’un poste n’était pas verrouillé, on ouvrait plein d’onglets de films pornos dessus. La plupart du temps, des films pornos hard (vomi et scatophilie).

Évidemment, les circonstances favorables se produisant constamment, c’était quelque chose de quotidien, qui se produisait plusieurs fois par jour, complètement banalisé. Un collègue avait du mal à supporter ces images, il a d’ailleurs quitté la boîte avant moi.

Quand on vous dit qu’il y a un problème de langage…

En terme de commentaires sexistes et déplacés, voici une petite sélection : un premier collègue s’est adressé à moi lors de mon deuxième jour, pour nous demander de nous taire à une collègue et moi, car nos « voix de femmes [lui] donnaient mal à la tête ».

Sur le coup j’ai cru à une plaisanterie. Mais en fait non, il a insisté pour nous faire comprendre qu’il était très sérieux ; au bout du compte, pour rigoler et dédramatiser, je l’ai qualifié de « pécore » en m’adressant devant lui à un autre collègue qui nous demandait ce qu’il se passait. Ce premier collègue s’est finalement plaint à trois de nos supérieurs et je me suis fait remonter les bretelles (pas lui évidemment, même après avoir donné ma version des faits).

« Les p’tis dèj d’intégration, ça permet de mater la chair fraîche ! »

Un autre collègue, arrivé un peu après moi, m’a insultée de « connasse », « casse-couilles » et nous a adressé cette réflexion, à une collègue et moi :

« Olala, deux femmes qui font du bricolage ? On est pas sorti de l’auberge !! » ainsi que « vous devriez jouer au foot, c’est trop drôle, les filles qui jouent au foot ! »

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Une autre fois, ce même collègue : « J’adore les p’tis dèj d’intégration, ça permet de mater la chair fraîche… Bah oui, on est aussi là pour ça ! ».

Quand on vous dit que ça commence beaucoup trop tôt…

« Le prof de maths en riait ouvertement : parce que les blondasses ça va faire secrétariat ! »

C’est un mal qui nous poursuit dès les études secondaires : quand j’étais au lycée, j’étais la seule fille de ma classe en terminale S spécialité maths, avec 28 garçons. Les blagues ont commencé dès le premier jour : « une blonde en maths », « on te donnera des cours particuliers, tu pourras payer en nature ».

Le prof de maths en riait ouvertement, et prenait un malin plaisir à ne jamais m’interroger, et à me discréditer : « parce que les blondasses ça va faire secrétariat ». Quand il s’est avéré que j’avais d’excellentes notes, les commentaires sont passés de « de l’aide contre une pipe » à « bah tu couches nan ? », « une pipe une bonne note ! »

J’ai fini par avoir mon bac, avec la meilleure moyenne de ma classe, mais totalement dégoûtée par le monde scientifique, l’univers des maths que j’aimais pourtant beaucoup. Ils avaient réussi à me faire croire que je ne pouvais pas faire carrière parce que c’est un monde pour les vrais esprits, les hommes, les durs !

Ça commence beaucoup, beaucoup trop tôt.

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Quand on vous dit que non, ce ne sont pas « des faits isolés »

À la fac, en droit et science politique, c’est différent mais tout aussi insidieux : les filles sont majoritaires, mais il règne un véritable climat sexiste. Les maîtres de conférences se permettent des blagues sur la longueur de nos jupes en nous voyant arriver dans l’amphithéâtre, micro allumé devant 500 personnes.

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« Ah bah si ces dames ont compris messieurs, ce serait la honte que vous ayez encore des questions », et les éternels mains aux fesses dans les amphi par les étudiants masculins très sûrs d’eux : « oh, on est vraiment collés dans ces amphis, tu peux te rapprocher si tu vois mal ! »

En bref, j’ai l’impression qu’il nous faudra toujours composer avec le sexisme et le harcèlement sexuel, et que certains hommes nous considèrent encore comme des potiches, des poupées gonflables.

« Trois professeurs se sont permis des gestes déplacés »

J’aimerais témoigner par rapport au sexisme que j’ai pu expérimenter à l’université. Il y a trois professeurs (des enseignants-chercheurs) qui se sont permis à plusieurs reprises de faire preuve de mots et/ou de gestes déplacés.

Le premier donnait régulièrement des exemples avec une référence aux tâches ménagères en disant « bon les filles vous devriez comprendre cet exemple-là hein ? ».

Le deuxième parlait de ses doctorantes (donc des filles qui ont fait 5 ans d’études ou plus) comme de ses « assistantes ».

Enfin le dernier se permettait des commentaires déplacés sur la tenue des étudiantes, notamment celles en jupe, et a reçu un avertissement pour harcèlement sexuel sur une de ses doctorantes.

Quand on vous dit que oui, c’est très fréquent

C’est trop fréquent.

« Tous les jours, j’avais droit à remarques et commentaires sur ma tenue »

Lors de mon stage de 3 mois (4ème année d’école d’ingénieur en Génie Civil), j’avais 22 ans et j’étais la seule stagiaire fille du chantier. Il y avait aussi 2 autres femmes conductrices de travaux (pour 15-20 hommes conducteurs de travaux) et 4 autres stagiaires masculins.

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Tous les jours j’avais droit à mon lot de remarques et commentaires sur ma tenue et mon apparence :

  • « Mauvais choix de soutien-gorge » quand j’ai eu l’audace de mettre un haut légèrement transparent
  • « Jolies boucles d’oreilles » de la part d’un des chefs
  • « T’es jolie » accompagné de regards appuyés/plein de sous-entendus
  • « T’es gothique ? » quand j’ai eu mis du vernis vert foncé,
  • Observations pendant de longues minutes pour que deux personnes puissent déterminer si je ressemblais oui ou non à une femme d’une publicité…

J’ai également eu à subir de nombreuses blagues grivoises de tellement haut niveau que je ne m’en souviens que d’une seule :

« Ton chef le soir quand il pense à toi il recrépit son plafond. »

Des questions intimes aussi : « et il est comment au lit ton copain ? Tu le suces ? ». Ils ont même été jusqu’à faire des recherches pour voir sa photo (et j’ai eu droit à des remarques désobligeantes sur les hommes à barbe).

Après une soirée entre collègues, un autre stagiaire a dormi chez moi car il n’habitait pas sur place ; on m’a demandé le lendemain quelle était la longueur de son sexe (en déboutonnant sa braguette et faisant mine de le sortir sur mon bureau).

Quand on vous dit que ça n’est pas lié au niveau d’études

Les auteurs de toutes ces remarques n’étaient autres que mes collègues conducteurs de travaux, un en particulier, et un des responsables, tous ayant généralement un niveau bac+5.

Certains ouvriers sur le chantier faisaient également des remarques, mais de manière beaucoup plus naïve (compliments, offres de fleur en papier…) et moins récurrentes. Je m’étais d’ailleurs attendue à recevoir des remarques sexistes provenant des ouvriers plutôt que de mes collègues…

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Quand on vous dit que c’est dur de parler

C’est vrai, comme beaucoup de filles dans le même cas, je n’ai rien dit sur le moment. Au début ça semblait assez « inoffensif », puis quand ça a empiré, ça me choquait et ça me laissait sans voix sur le coup.

Mais « c’est juste pour rigoler » et ça fait rire tout le monde, « il faut pas le prendre mal, c’est de l’humour » et quand tu es juste la petite stagiaire qui essaie de s’intégrer au groupe, tu ne veux pas être la « fille coincée » qui va se plaindre dès qu’elle a une ou deux remarques.

Quand on vous dit pourquoi c’est vraiment dur de parler

J’ai réagi, j’ai voulu donner mon avis, j’ai perdu : j’ai fini par être virée pendant ma période d’essai (comprenez, râler contre le sexisme c’est mauvais pour l’ambiance hein… quand les chefs sont tous des hommes évidemment). […]

Ils m’ont assuré que ma production de travail n’était pas en cause mais que lors de mon absence prolongée [NDLR : arrêt maladie], ils s’étaient rendus compte que « l’ambiance était bien meilleure ».

Ils m’ont obligée à récupérer mes affaires sur le champ, j’ai été raccompagnée manu militari par mes supérieurs hiérarchiques, et la RH. Je n’ai même pas pu honorer mon déjeuner prévu avec une collègue ce jour-là. Il ne m’ont pas autorisée à effectuer mon mois de préavis.

« Être une femme, féministe, avec du bagou et de la niaque, ça dérange, c’est malvenu »

Plusieurs collègues ont quitté l’équipe depuis mon départ, dont ma voisine de bureau qui m’a écrit après mon licenciement qu’elle non plus, elle n’en pouvait plus.

Une autre collègue de l’open space envisage de partir depuis des mois, elle m’a d’ailleurs pas mal soutenue à l’époque dans ces nombreuses péripéties sexistes.

Quant à moi, eh bien… j’appréhende énormément ma prochaine boîte. Être une femme, féministe, avec du bagou et de la niaque, dans un milieu masculin… ça dérange, ça importune, c’est malvenu.

Quand on vous dit que vous faites partie du problème, jusqu’à ce que vous fassiez partie de la solution

L’ironie de cette histoire, c’est que cette entreprise essaie de promouvoir l’égalité hommes-femmes, en organisant notamment une journée pour les stagiaires « femmes » de la boîte (non mixte donc) et en nous soulignant l’importance de la mixité dans une grande entreprise. La présence des hommes n’était donc pas utile pour ça ?

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Quand on vous dit que ça va trop loin

Il y avait aussi pas mal de rumeurs, au sujet de certaines histoires de cul entre tel•le ou tel•le collègue au sein de l’entreprise. Une en particulier m’avait beaucoup choquée : une collègue arrivée récemment avait, pour pas mal de collègues, une réputation de « salope » ; comme quoi, elle se serait « tapé » au moins un de nos collègues (maqué en plus) pendant une soirée au boulot.

J’ai entendu cette rumeur, avec cette même fille désignée par plusieurs collègues d’équipes et de bureaux différents. J’ai trouvé ça immonde.

Un jour, l’occasion s’est présentée et nous avons déjeuné ensemble. Je ne voulais pas lui parler de tout ça, encore moins lui demander si c’était vrai. Par contre, je lui ai demandé comment ça se passait au boulot, pour elle.

Elle aussi m’a raconté qu’en arrivant, on lui avait vendu du rêve de bonne ambiance et d’ouverture d’esprit, mais que la réalité était toute autre. Elle rencontrait des difficultés avec son chef et un bizutage avait mal tourné, son ton était monté et ça avait été très mal perçu par le reste de son équipe. Elle déjeunait seule…

Quand on vous dit que ça va vraiment trop loin

Une fois, pour « rigoler », un collègue et un supérieur hiérarchique nous ont passé une vidéo d’une femme se faisant RÉELLEMENT… décapiter. Au couteau de cuisine… La vidéo durait 3 ou 5 min, les plus longues de ma vie, je n’ai pas pu regarder jusqu’à la fin, c’était insoutenable.

Ils trouvaient ça très drôle, ils en ont parlé dans tout l’open space pendant plus d’une demi-heure après, en essayant de reproduire le bruit des vertèbres tranchées… Je n’invente rien.

Quand on vous répète que ça arrive partout

Ça arrive partout, au travail, dans le privé, dans la vie militante, associative, sportive. En témoigne cette jeune femme, impliquée dans un club de rugby.

J’avais même peur de certains gars

Malgré les nombreuses discussions, les (encore plus) nombreuses blagues et propositions salaces, rumeurs lancées sur mes supposées relations avec tel ou tel joueur (« Non mais c’est pour le faire chier lui, pas toi, donc c’est pas à toi qu’on manque de respect ! » — désolée de trop en demander), deux membres de mon club ont fini par se dire qu’ils avaient envie de toucher quand même.

Ça faisait un moment que la situation s’était détériorée. Cette année-là, je faisais beaucoup de déplacements, parce que j’avais le temps, donc j’étais souvent seule avec eux. J’avais prévenu le bureau, les coach, expliquant que je commençais à me sentir vraiment mal à l’aise et que j’avais même peur de certains gars.

Quand on vous dit que si, elles font des efforts, mais c’est vraiment insupportable

Pourquoi je ne suis pas partie ? Parce que je m’étais engagée jusqu’à la fin de la saison. Parce que j’étais trop fière pour assumer publiquement cet échec. Parce qu’il ne s’était « rien passé » (être appelée une « raclure de port » n’est pas suffisant, apparemment).

Quand on vous dit que les agresseurs sont souvent connus de la victime

« Oh c’est bon, je te caresse juste les fesses »

Nous étions dans un bar connu pour être mal foutu, et on y est très serrés. Je n’ai donc pas réalisé tout de suite que ce n’étaient pas des frottements normaux que je sentais aux alentours de mon postérieur mais bien des gestes déplacés que je n’avais pas demandés (ils ne venaient clairement pas de mon interlocuteur anglais qui lui, avait les deux mains sur sa pinte de bière).

En me retournant, j’ai découvert que c’était mon collègue éducateur, avec lequel je bossais depuis trois ans et dont les copains m’encouragaient régulièrement à coucher avec lui « parce qu’il est sympa et célibataire » (le combo gagnant).

Après lui avoir demandé plusieurs fois d’arrêter, c’est le même interlocuteur (qui n’appartenait donc pas à mon club) qui a dû intervenir et lui faire comprendre de cesser ses activités illicites.

À cela, cette charmante personne a répondu : « Oh, c’est bon. Je te caresse juste les fesses ». Silence glacial au moment de traduire.

Quand on vous dit que ça va vraiment, VRAIMENT trop loin

J’avais relégué l’incident au fond de mon esprit, j’étais habituée aux remarques et je me suis dit que l’agresseur ayant disparu, je pouvais continuer à profiter de ma soirée.

Dans le troisième bar, les choses se sont vraiment gâtées. Un autre de mes collègues, arbitre au club, que je connais depuis ma plus tendre enfance (et qui faisait déjà des remarques salaces à mon propre père sur mon corps) a décidé de passer des paroles aux actes sans me demander mon avis (c’est moins drôle sinon). Il a donc essayé de me soulever par mon entrejambe (en plus, ça fait mal) tout en m’attirant vers lui.

« Je vais te violer moi, comme ça ce sera fait »

Quand je l’ai repoussé, il a carrément essayé de me prendre dans ses bras en me pelotant partout — vous n’avez jamais eu cette sensation, que quelqu’un a vingt paires de mains et qu’elles se baladent sur tout votre corps en même temps ? Là, c’était plus violent donc, même dans la brume alcoolisée ambiante, plusieurs Anglais cette fois (encore) ont fini par le tirer en arrière.

Il a tout de même réussi à éructer : « Je vais te violer moi, comme ça ce sera fait. »

Les mêmes Anglais m’ont prise à part, en me disant de rester à côté d’eux. Il n’a plus osé m’approcher après ça.

L’alcool avait exacerbé ce que je craignais depuis des mois, et leur avait donné « le courage » (y-a-t-il un autre mot ?) de passer outre et satisfaire leur frustration : j’étais célibataire, j’étais une femme, j’étais à leur disposition, je n’avais pas le droit de dire non.

Quand on vous dit que porter plainte, c’est « compliqué »…

Une semaine plus tard, je suis allée au commissariat. J’ai été dirigée dans un petit bureau où un policier a commencé à prendre ma déposition. Il m’a déconseillé de porter plainte parce que « les témoins valables étaient tous repartis en Angleterre » et que je devais d’abord vérifier si « mon bureau me soutenait » parce que sinon « ça pouvait se retourner contre moi et je pourrais payer des dommages et intérêts ».

Je me suis retrouvée avec une main-courante qui disait « Autres atteintes aux mœurs » alors qu’on est d’accord que la loi précise bien :

« Les agressions sexuelles (Article 222-27 à 222-30 du code pénal) autres que le viol sont des délits. Elles sont définies comme « un acte à caractère sexuel sans pénétration commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Il peut s’agir par exemple de caresses ou d’attouchements de nature sexuelle.

Depuis 2013, constitue également une agression sexuelle « le fait de contraindre une personne par la violence, la menace ou la surprise à se livrer à des activités sexuelles avec un tiers » (Article 222-22-2 du code pénal).

La peine encourue est de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Elle est augmentée jusqu’à 7 ou 10 ans lorsque l’agression est commise avec une ou plusieurs circonstances aggravantes mentionnées ci-dessus pour le viol. »

Avec menace de viol, en plus, je ne sais pas jusqu’où ça peut aller.

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Quand on vous dit que « parler à un responsable », ça ne marche pas non plus

L’après-midi même, je suis allée trouver mon vice-président. Mes nerfs avaient lâché, j’étais en pleurs, choquée, perdue. Il a appelé le président, afin qu’ils puissent m’écouter tous les deux. Par la suite, tout le bureau a été mis au courant.

Ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas étonnés, et qu’ils se doutaient que ça arriverait un jour (pourquoi n’ont-ils rien fait pour le prévenir dans ce cas ?) ; qu’ils feraient en sorte que je ne croise pas les concernés et qu’on organiserait une réunion pour en parler avec eux et leur expliquer en quoi leur attitude était répréhensible.

À ce jour, un an après, cette réunion a peut-être eu lieu, mais je n’étais pas présente et je n’ai pas été prévenue.

J’ai eu droit à des commentaires de membres du bureau, notamment de la trésorière, comme quoi j’étais trop sensible, que je devrais parler en privé avec les gars concernés et qu’après tout, ils étaient tellement bourrés, ils ne se souviendraient plus de rien.

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Pendant ce temps-là, j’avais quelques bons copains au courant de mes soucis qui m’ont servi de gardes du corps toute la soirée. Marrant : pour des gars qui ne se souvenaient de rien, ils m’ont bien évitée tout le week-end.

Un mois plus tard, lors de l’assemblée générale, j’ai réitéré mes questions à mon président, qui m’a expliqué que c’était difficile pour lui de leur parler parce qu’il les voyait dans des contextes festifs et qu’il se voyait mal aborder ce sujet-là avec eux (alors sinon, une convocation, ça existe).

Pour finir, on m’a fait comprendre que rien ne serait fait, que ça ne servait à rien de continuer à remuer tout ça et qu’il fallait que je passe au-dessus de ça et surtout, à autre chose. En d’autres termes : un diplôme d’arbitre et un diplôme d’éducateur valaient plus que mon bien-être, et il valait mieux que je la ferme parce que je serais toute seule sur ce coup-là.

J’avais bien fait d’écouter le conseil du policier, en fait.

Quand on vous dit que « attendre que ça passe », ça ne passe pas non plus

Je ne me sentais plus en sécurité. J’ai donc quitté le club. Et n’y ai pas remis les pieds jusqu’à ce week-end, un an après.

Une année pendant laquelle ma main-courante a été classée. Pendant laquelle on m’a conseillé d’écrire une lettre ouverte à la presse locale en citant bien tous les noms (je passe des concours de la fonction publique, c’est très bien vu dans ce milieu d’être l’emmerdeuse de service).

Une année pendant laquelle mon frère a croisé mon second agresseur six mois après les faits et qu’il lui a dit le plus simplement du monde : « Ta sœur, ça lui pendait au nez, et de toutes façons, elle n’attendait que ça. »

Pendant laquelle j’ai fini par l’avouer à ma mère qui a commenté : « Je t’avais prévenue, ce n’est pas un milieu pour une femme seule » (merci pour l’empathie). Pendant laquelle dès qu’un mec me touchait, c’était leurs mains que je sentais, leur odeur.

Pendant laquelle j’ai arrêté toutes mes activités au sein du club mais également au sein du Comité départemental où je m’occupais de la communication. Pendant laquelle j’ai arrêté toutes mes activités associatives, quelles qu’elles aient été.

Une année pendant laquelle l’omerta totale ou presque autour de cette histoire a fait que certains de mes copains ont mal pris que je parte, que je ne donne plus de nouvelles parce qu’ils ne savaient pas et que je n’arrivais plus à en parler.

Un an après, donc, je suis revenue. Et à la question : « Ah, tu reviens passer le week-end chez nous ? Ah bon, t’avais pas déménagé ? Mais pourquoi tu n’es jamais venue nous voir ? », cette fois-ci, je l’ai ouverte bien grande.

Les réactions ont été édifiantes. Ceux qui étaient déjà au courant n’ont rien dit de plus, j’ai même eu quelques soutiens inattendus. Mais pour la plupart, même les plus compréhensifs et les plus indignés, les yeux ont regardé ailleurs : « Je te crois, c’est honteux MAIS… j’ai du mal à le croire d’eux. »

Ou : « C’est dégueulasse MAIS… c’est quand même mon super pote hein ». Ou : « Oui MAIS… à l’époque, ils étaient célibataires, non ? ».

Et enfin : « Ah MAIS… c’est uniquement pour ça que tu es partie ? »

Quand on vous dit que trouver le courage de parler, c’est long et douloureux

Ça demande du temps, beaucoup de temps, ça exige une reconstruction préalable. Et c’est long. Très long.

« Je ne sais pas si après 9 ans de silence, je peux légalement faire quelque chose. »

Je n’ai pas été victime d’un harcèlement ou d’une agression au travail, mais j’ai été violée par mon copain lorsque j’avais 17 ans. Je ne m’en suis rendue compte que des années après parce qu’il n’y avais pas eu de coups, de cris ou quoi que ce soit (merci la sidération), que l’agresseur avait mon âge et que la pénétration forcée n’était « que » avec ses doigts.

Donc pour moi, ce qu’on m’avait appris, c’est que ça rentrait pas dans la case du viol… J’ai eu des séquelles dans mes relations de couple pendant des années, je commence juste à retrouver un équilibre depuis deux ans.

Aujourd’hui, presque 10 ans après, je sais que je peux légitimement appeler ça un viol.

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Mais je n’ai jamais porté plainte. Je n’ai jamais tenté quoi que ce soit pour même signaler à mon agresseur (avec qui je n’ai plus de contact) que j’avais compris ce qu’il avait fait… Je ne sais pas si après 9 ans de silence, je peux légalement faire quelque chose.

« J’ai menti sur la façon dont c’est arrivé et j’en ai terriblement honte »

La plupart de mes ami•es proches savent que j’ai été violée, mais j’ai toujours menti sur la façon dont c’est arrivé.

C’était un ex, que je continuais à voir parce que nous faisions partie d’une même petite bande de potes. Quelqu’un que je connaissais, avec qui j’avais eu une histoire d’amour forte, et qui me respectais (enfin c’est ce que je pensais).

Quand on vous explique que les victimes culpabilisent

Il m’a violée. Et je m’en veux. Si j’avais été plus véhémente dans mon refus, si je l’avais repoussé plus fermement, si même je m’étais relevée, ça ne serait pas arrivé. Je crois qu’il n’a même pas conscience que c’était un viol (moi-même j’ai mis un bon moment à mettre le bon mot sur ce qui s’était passé).

J’ai coupé les ponts, totalement. J’espère que quand il voit tous les témoignages qui sortent aujourd’hui, ces paroles qui se libèrent, il y pense un peu, et réalise ce qu’il a fait.

Quand on vous répète que les victimes culpabilisent

« J’ai la sensation d’être une complice de plus dans notre société qui protège les agresseurs. »

J’y pense, et je me dis que seul, mon témoignage ne changera rien. Mais si une autre fille est victime de lui, mon intervention pourrait appuyer son témoignage et avec un peu de chance il ne recommencera plus. J’y pense souvent mais je ne sais pas ce qui est possible pour moi, par rapport à la loi.

Avez-vous plus de renseignements ? Savez-vous comment je peux agir ?

Peut-être qu’il a changé, qu’il était juste un ado stupide et qu’il a aussi réalisé que ce qu’il a fait n’était pas normal. Mais peut-être pas, et dans ce cas, je n’aimerais pas qu’il puisse ne jamais se remettre en question, toujours avoir le même comportement face au non consentement.

Je ne veux pas me « venger » ni le détruire, je ne me laisse pas manger par la colère et la haine. Mais à ne rien faire, j’ai la sensation d’être une complice de plus dans notre société qui protège les agresseurs.

Quand on vous le répète une troisième fois, pour la peine

On reste muette parce qu’on a peur et puis c’est tout, peur d’avoir mal, peur de blesser nos proches, d’être humiliée, d’être à la fois victime et coupable aux yeux des autres. je j’ai pas voulu donner de suite à cette histoire… On ne porte pas plainte contre quelqu’un de sa famille…

Mais il me dégoûte encore, il va bientôt se marier et je prie très fort pour qu’il n’ait pas le culot de me choisir comme témoin… et la bouche me brûle encore lorsque mes parents me demandent pourquoi je ne prends pas de nouvelles de mon cousin : « il a toujours été là, lui, pour toi »…

J’écris ce message si jamais cela peut vous aider, mais encore maintenant j’ai peur que si mes mots sont publiés ma famille les lisent, que certains me reconnaissent… Et pourtant je n’ai rien fait, rien à me reprocher.

Quand on vous dit que les victimes se sentent impuissantes

C’est plus compliqué que « t’avais qu’à dire non ».

Ce n’était pas sur mon lieu de travail, c’était un cousin éloigné qui faisait du cirque avec moi. Les portées et différentes figures impliquaient que nos corps se touchent, se frôlent mais petit à petit c’était bien plus que ça et lorsqu’il voyait que ça me gênait.

Il me rappelait qu’il n’y avait pas de souci puisqu’on était cousins, il ne pouvait rien arriver. Jusqu’au jour où lors d’un rassemblement de famille, il a abusé de moi.

…impuissantes ET coupables

Il m’a fallu 4 ans pour comprendre, et pleurer sans me sentir coupable

Nous n’en avons jamais parlé. Il m’a fallu 4 ans pour pouvoir comprendre ce qui s’était passé, le conscientiser et pouvoir en pleurer sans me sentir coupable. Je suis allée voir une psychologue qui m’a appris que ne rien dire ce n’était pas dire oui, pourtant pour la plupart des hommes, qui ne dit mot consent. 

Mon copain me l’a déjà dit sous le coup de l’énervement quand je lui ai raconté. « Je comprends pas, tu avais qu’à dire non, c’est pas compliqué ». Ou « s’il n’y a pas vraiment eu de pénétration, ce n’est pas vraiment une agression ».

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Quand on vous dit que tout ce sexisme est un insupportable gâchis

« J’ai décidé de tester un autre secteur d’activité »

Au final, j’ai détesté mon stage. Je me suis sentie (et me sens encore) coupable de ne pas avoir su dire stop, de m’être laissée faire en souriant (plus ou moins selon les remarques) et j’en garde une trace amère. Suite à ce stage, j’ai décidé de tester un autre secteur d’activité de ma filière, qui est la recherche.

Je suis maintenant en thèse dans un laboratoire où je trouve que l’atmosphère est beaucoup moins sexiste que cette entreprise (si on omet par exemple une remarque lors d’une soutenance de la part de mon jury, bac+8 : ça fait du bien d’entendre « de la douceur féminine »). C’est pas gagné…

Ou encore :

Je ne suis certainement pas prête à me réengager dans une association, sportive ou non, et je préfère me concentrer sur mes projets personnels. Parce que la vie continue et que ces connards n’auront pas ma joie de vivre.

La seule personne à qui j’ai encore quelque chose à dire, c’est cette chère Christine. Tous les hommes ne sont pas des obsédés, Mme Boutin, et c’est bien pour ça que j’ai voulu partager mon expérience. Parce que sur 200 mecs dans ce club sportif, seuls quelques-uns ont été réellement insultants et deux, physiquement agresseurs.

Mais ceux-là ont suffi à rendre dangereux un environnement dans lequel j’avais grandi et qui pour moi était synonyme d’appartenance et de sécurité. Seulement quelques-uns.

À bon entendeur…

Quand on vous dit #LevonsLomerta

« C’est pas gagné ».

« À bon entendeur ».

C’est ça, la conclusion ? Et on doit se satisfaire de ça, en France, en 2016 ?

Quand on vous dit que c’est plus possible. Quand on vous dit qu’il faut que ça change. Quand on vous dit qu’on ne peut plus attendre. Quand on vous dit qu’on a besoin de vous pour que ça change.

big-silence-hommes-harcelement-sexuel

À lire aussi : Messieurs, l’égalité hommes-femmes ne se fera pas sans vous

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Les Commentaires

50
Avatar de Hana-Lys
25 novembre 2017 à 05h11
Hana-Lys
Je viens de lire cet article, et ça m'a fait réaliser que, même si je n'ai rien subi d'aussi grave que ces témoignages, j'ai quand-même été témoin de certains trucs:
- un (vieux) prof de fac qui faisait des remarques aux étudiantes en plein cours en amphi sur leur tenue, ouhh les jupes, les décolletés... phrase déjà entendue de ce charmant monsieur : "arrête de bavarder, toi! La personne de sexe indéterminé assis à côté de la blondasse!".
- aussi un "collègue" qui parle d'une initiative d'une de ses employées, qu'il juge mauvaise : "c'était vraiment une idée de femme!". Moi: "quoi???" Lui: "bah oui une idée de femme! Ça avait aucune chance de marcher !" Moi:
- mon copain qui me raconte que sa boite passe un entretien pour engager une secrétaire, me dit : "ya une candidate qui avait l'air bien mais elle a pas été prise car à 27 ans et avec un copain sérieux, elle allait surement tomber enceinte bientôt" --> WTF??? Il avait même pas réalisé l'incroyable sexisme de la chose, jusqu'à ce que je lui dise que si mon patron avait eu la même attitude que ça, je serai au chômage, étant EXACTEMENT dans la même situation... ça lui a fait réaliser que c'était loin d'être normal (et illégal aussi d'ailleurs, merci discrimination à l'embauche!)
Y'en a d'autres mais mon post est déjà trop long...
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