L’affaire du collège Montaigne
— Article initialement publié le 17 mai 2015
Cinq élèves de sixième scolarisés dans le collège Montaigne, un établissement du VIème arrondissement parisien, ont été sanctionnés pour avoir pratiqué des attouchements sexuels sur leurs camarades de classe.
Je ne sais pas si c’est la paresse ou le déni qui a conduit de trop nombreux médias à focaliser cette affaire sur un détail (l’utilisation des smartphones), plutôt que sur son problème de fond (c’est à dire la prégnance de la culture du viol dans notre société)… Toujours est-il que nous avons tenu à recentrer le problème, sur l’éducation des garçons dans ce cas, et plus globalement, sur la nécessité de revoir complètement l’éducation des enfants au respect de l’autre.
À lire aussi : Collège Montaigne : faut-il interdire les portables ou (enfin) éduquer les garçons ?
Loin de susciter des rectificatifs ou d’inciter à revoir le traitement de ce sujet, notre article est passé relativement inaperçu. Après tout, qu’est-ce qu’un « blog de filles » (c’est comme ça que certains de nos détracteurs considèrent madmoiZelle, pour nous discréditer) aurait de pertinent à apporter ?
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« Tout va bien madame la Marquise », semble répondre en choeur un théâtre médiatique enlisé dans la médiocrité. Vous trouvez que ces mots sont durs ? Attendez de lire ceux que les lectrices ont partagé avec nous sur notre forum (rejoignez-nous !). Les témoignages continuent d’affluer dans les réactions à nos deux articles.
On leur a proposé une tribune.
Avant l’ère du téléphone…
Selon François Bayrou et iTélé (entre autres), les causes à l’origine de cette regrettable histoire, sont un accès à de l’information inadéquate (le porno), via un support controversé dans un établissement scolaire (le smartphone). Mais les attouchements de ce genre ont commencé bien avant que les téléphones portables n’envahissent les cours de récré, ainsi qu’en témoignent « les vieilles »…
« Je suis une vieille ! Quand j’étais à l’école, on ne savait même pas ce que c’était qu’Internet, et les téléphones portables commençaient tout juste à sortir de la science-fiction. Le porno, on ne savait même pas vraiment ce que c’était, même si certains prononçaient le mot en rigolant. La moitié des enfants croyaient que « faire l’amour », ça voulait dire « rouler une pelle ».
Eh bien dans mon école, le grand jeu des garçons, c’était de soulever les jupes des filles pour voir ce qu’il y avait en-dessous. Les filles criaient, elles essayaient de leur donner des claques, mais globalement, elles avaient bien assimilé que personne n’allait empêcher les garçons de soulever leur jupe, alors elles finissaient par se faire à l’idée que c’était normal.
Celles que ça dérangeait vraiment (comme moi), ne mettaient pas de jupe. C’est tout. Le peu de prévention qu’on a eu, c’était de la prévention de la pédophilie. On nous a expliqué que les adultes pouvaient faire du mal aux enfants, mais personne ne s’est soucié d’expliquer aux garçons que regarder sous les jupes, ça ne se fait pas. C’était normal.
Quand j’étais petite, je haïssais la chanson de Souchon, « Sous les jupes des filles ». Parce que pour moi, ce n’était pas une blague. Tout le monde se moquait de moi quand j’allais éteindre la radio à chaque fois qu’elle passait. Parce que c’était normal.
Quand les garçons de mon école atteignaient les 10-11 ans, âge auquel un certain nombre de filles commencent à avoir une toute petite poitrine, ils passaient à l’étape supérieure, le jeu de « Camion / Pouêt pouêt ! » (ce jeu HILARANT où on fait comme si les seins d’une fille, c’était le klaxon d’un camion. — sans lui demander son avis bien sûr).
On pouvait crier ou leur faire les gros yeux, ça les faisait rire. Évidemment, aucun adulte n’allait leur expliquer que c’étaient de sales habitudes à prendre. Tout ça, c’était 2-3 ans avant l’arrivée d’Internet, une quinzaine d’années avant les smartphones.
À la même époque, quand les élèves de sixième de ma mère apprenaient qu’un gamin de 10 ans avait violé une camarade, ça les faisait rire. À la limite, ça les excitait vachement de savoir qu’à leur âge, on peut (pouvait ?) violer quelqu’un. Ils n’avaient jamais entendu parler de YouPorn bien sûr, mais ça les éclatait beaucoup, et bien entendu, ils n’avaient pas la moindre empathie pour la victime.
Le porno en ligne ? Les portables à l’école ? Messieurs les politiciens, vous vous foutez de nos gueules. »
Y., 31 ans, 8 à 11 ans au moment des faits.
« J’ai presque 36 ans. Ado, j’ai subi des centaines d’attouchements et d’insultes à caractère pornographiques dans la cour du collège.
Personne n’avait de portable, ni internet, c’était un collège privé très bourgeois, blanc à 99%. Je portais des pulls et des t-shirts trop grands. Si je n’en parlais pas à l’époque, c’était parce que j’avais honte, et qu’on me culpabilisait.
Ce qui s’est passé n’est pas la faute des portables, c’est juste à cause de la façon dont on fait croire aux garçons qu’une paire de seins, c’est un jouet pour mecs (parce que c’était précisément ce qu’ils avaient dans la tête). Il faut que ça cesse et pour ça, on doit éduquer ! »
Lafeemandarine, 36 ans, 12 à 14 ans au moment des faits.
…mais quand même, les téléphones, parlons-en !
Vendredi 15 mai, Laurent Delahousse a abordé l’affaire du collège Montaigne au journal de 20h, sur France 2.
« À partir de quel âge un enfant peut-il disposer d’un smartphone ? » — Laurent Delahousse.
Ils font une vraie fixette sur les téléphones, c’est pas possible… Mais puisqu’on vous dit que des attouchements similaires à ceux déplorés au collège Montaigne ont existé bien avant l’âge de la technologie pour tou•te•s !
« CP, une petite ville de province perdue, un garçon me harcelait, il me courait après, me coinçait dans un coin, m’embrassait de force et soulevait mes jupes.
Aucune réaction, de personne. Je me souviens de ma trouille quand on nous a mis ensemble pour un cours de judo, il m’avait tenue par terre et m’embrassait encore de force. Là encore, ça a duré un moment sans aucune réaction des adultes malgré mes pleurs.
Il a fini par arrêter de lui-même, et personne n’a jamais prévenu ni mes parents, ni les siens à ma connaissance. C’était en 1991-1992.
En sixième, le grand jeu de tous les garçons de mon collège était de toucher les fesses des filles, tout le temps. Malgré nos plaintes, il a fallu des mois avant que les profs principaux haussent enfin le ton pour leur demander d’arrêter, mais aucune sanction n’a été prise. Je me souviens que pour nous toutes, c’était oppressant, parce qu’outre les attouchements, il y avait aussi les remarques continuelles, à voix haute, sur ce qu’on portait en-dessous de nos vêtements, si on avait nos règles ou pas, ce genre de choses bien glauques, surtout quand on a 11-12 ans.
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Dans un cas comme dans l’autre, il n’y avait aucun portable. Ça me fout en rogne ces réponses toutes faites qu’on balance au peuple comme s’il n’était composé que de parfait abrutis. Les attouchements ? Le téléphone. Le viol ? Les pornos. La violence ? Les jeux vidéo… »
Emilie, 29 ans, 6 puis 11 ans au moment des faits.
« Durant quasiment toutes mes années de collège (très peu de portables, et pas d’Internet sur ces téléphones), les garçons aimaient beaucoup tirer le « string, culotte, boxer… » des filles, souvent « pour voir » ce qu’elles portaient.
Et on pouvait se prendre des réflexions si le sous-vêtement était ridicule. Je ne disais rien, car personne ne disait rien. C’était normal. Sauf que non, ça ne l’était pas, et je ne supportais pas ça. De plus, certains, plus bruts que d’autres, tiraient au point de faire mal.
J’ai eu le « malheur » d’avoir une poitrine bien développée dès le collège. J’ai eu le droit à des regards plus que déplacés, des garçons qui me touchaient les seins ou me disaient des choses du genre « dis-donc, t’as des sacrés seins, pratique pour la branlette espagnole… ». J’avais beau m’énerver, leur dire d’arrêter, tout le monde rigolait grassement (garçons et filles) et il ne me restait plus qu’à ravaler ma honte.
Pour la suite de l’histoire, j’ai fini par m’habiller avec les t-shirts de mon père, mettre des baggy et des grosses baskets… Ça n’a pas franchement stoppé le phénomène. »
Makana, 24 ans et entre 12 et 15 ans au moment des faits.
Ce n’est que du « touche-pipi », voyons !
Les médias ne semblent pas être les seuls à prendre cette affaire à la légère. Une dépêche publiée sur le site MSN cite « une source proche du dossier », et les propos rapportés n’augurent pas une prise en charge sérieuse et responsable de ces actes.
« Ce n’est qu’une partie de touche-pipi, comme il y en a dans tous les établissements », selon « une source proche du dossier ».
Effectivement, à en croire nos lectrices (et on les croit, pour qu’il n’y ait aucun doute), c’est exactement ça : « il y en a dans tous les établissements ».
« Je pense souvent à un truc arrivé à la maternelle : nous avions dans la classe une petite fille handicapée mentale, et un jour un garçon un peu excité (il a essayé de m’étrangler une fois car je n’avais pas voulu être sa reine pour la galette, ça fait peur à 5 ans) l’a mise dans un coin de la cour, loin de la vue des adultes.
Il l’a déshabillée et lui touchait la vulve avec une brindille, si ce n’est pire. Un attroupement s’est formé ; l’un de nous a dû se dire que c’était mal, pas normal, et les adultes sont intervenus. »
PieMaker, 25 ans, 5 ans au moment des faits.
On est loin de la mignonnitude des « jeux d’enfants ».
« On était tous les deux en CP.
Pendant un moment d’inattention des surveillantes, M. m’a demandé de le rejoindre aux toilettes. Je ne sais pas pourquoi, j’ai obéi.
Il a baissé son pantalon, a pris mes cheveux de telle sorte qu’il m’a forcé•e à lui faire une fellation. J’avais envie de vomir et tout ce qui le préoccupait, c’est qu’il ne jouissait pas comme papa quand maman lui faisait (je suppose que M. avait dû surprendre ses parents).
Puis il a commencé à me caresser le clitoris « pour me récompenser » et à tenter de me mettre un doigt dans le vagin, sauf que j’étais ultra serré•e et du coup, j’ai eu très mal et j’ai commencé à pleurer.
C’est là qu’il a commencé à comprendre que quelque chose n’allait pas, et qu’il a arrêté, car jusqu’à ce moment, je ne pouvais pas parler : la sidération, sans doute. J’ai mis beaucoup de temps avant de mettre le terme « viol » sur mon vécu car pour moi, ce n’était pas possible, puisqu’on m’avait dit ou laissé penser que seuls les adultes violaient et qu’on n’en parle jamais. »
Lamia, 22 ans, 6 ans au moment des faits.
Quand on vous dit qu’il y a un problème de sexisme
Ces (nombreux) témoignages mettent en évidence plusieurs problèmes :
- Certaines filles ne réalisaient pas qu’elles avaient le droit de dire « non », d’être laissées tranquilles.
- Certaines filles, malgré leur très jeune âge, avaient tout de même conscience que ce qu’elles subissaient n’était pas normal.
Ces deux premiers constats appellent déjà une première mesure : parents et acteurs éducatifs mettent copieusement en garde les enfants contre les risques d’attouchement, d’agression voire d’enlèvement par des pédophiles ; on leur apprend à faire respecter l’intégrité de leur corps face à un adulte qui aurait des gestes déplacés.
Mais face aux gestes déplacés d’un autre enfant ? Combien de temps allons-nous encore considérer que ce ne sont « que des jeux » ?
« Quand j’avais 9-10 ans, j’ai été agressée par mon demi-frère et son meilleur ami. Ils ont un an de plus que moi. Ils m’ont attrapée dans ma chambre et m’ont plaquée sur le lit de force. Ils se sont mis sur moi pour m’empêcher de bouger et ont mis leurs mains dans mon pantalon, dans ma culotte. J’ai essayé de leur faire mal, de crier. Ça a duré deux, peut-être cinq minutes. Ils se sont relevés, hilares, et ils sont partis.
Je suis allée voir les adultes, c’était pendant un repas entre amis, le soir. Personne ne m’a écoutée, on m’a dit de retourner devant la télé.
Quand j’étais au collège, un soir, je dormais chez ma meilleure amie. Son frère est venu pendant la nuit et m’a touché les seins pendant que je dormais. Je me suis réveillée en croyant avoir rêvé, mal à l’aise, et j’ai vu le reflet de ses lunettes. Qu’est ce que je pouvais faire en pleine nuit ? J’ai appris plus tard qu’il avait violé sa soeur.
Et on parle d’interdire des téléphones ? Mais bordel, qu’est ce qui ne tourne pas rond chez vous ? »
LunaaaD, 20 ans, 9 à 10 ans au moment des faits.
« Devinez qui a été puni ? Pas lui. Moi. Pour m’être défendue. »
Parfois, les adultes interviennent. Parents, surveillants, éducateurs, professeurs, lorsqu’ils sont alertés ou lorsqu’ils sont témoins de tensions entre enfants, mettent effectivement fin à la situation de conflit. Mais ils se trompent encore trop souvent de coupable…
« Quand j’étais en CE2, ma mère avait enfin réussi à me faire enfiler une jupe (j’étais ce qu’on appelle un « garçon manqué » : jean, t-shirt, rugby et bande de copains) pour aller à l’école. Je n’étais pas spécialement à l’aise dedans, mais bon, j’ai pas trop rechigné.
Un garçon de CM2, avec qui j’avais déjà eu des problèmes, a trouvé ça absolument hilarant de se moquer de moi toute la journée. « Tu t’es déguisée en fille », « même comme ça, t’es vilaine »… Ça ne me touchait pas plus que ça, je n’ai pas réagi.
Et puis, un peu avant la fin de la journée, il m’a coincée dans un coin de la cour, et a soulevé ma jupe, en me pinçant très fort l’intérieur des cuisses. J’ai riposté comme j’en avais l’habitude : je lui ai sauté dessus et lui ai collé mon poing dans la figure.
On a été séparés par une surveillante, puis la directrice nous a demandé des comptes. Devinez qui a été engueulée et punie ? Pas le garçon. Moi, pour l’avoir frappé, pour m’être défendue.
C’était l’époque où à la récré, on jouait au loup et aux billes, on n’avait pas de portable, et Internet, jamais entendu parler (coucou la campagne). Le sexe, le viol, je ne savais pas ce que c’était, je ne sais même pas si ce garçon savait exactement ce que ses actes signifiaient.
À mon avis, il voulait seulement me faire du mal, m’humilier, et c’est tout ce qu’il a trouvé. Je n’en ai pas parlé à mes parents ; ils savaient que je m’étais battue (encore), mais ils n’ont jamais su pourquoi. »
Noé, 23 ans, 10 ans au moment des faits.
« Je m’en rappelle très bien. J’étais en maternelle, un garçon voulait voir ce qu’il y avait sous ma jupe. Il avait fait en sorte de me coincer pour regarder. J’ai eu le réflexe que mes parents m’ont appris : je lui ai mis un grand coup dans l’entrejambe.
Devinez qui a été convoqué ? Mes parents. Pas les siens.
« Votre fille n’a pas à donner de coup de pied dans les couilles d’un petit garçon parce qu’il a soulevé sa jupe ». Et malheureusement, ça n’avait été que la première agression de ce genre.
J’ai entendu maintes fois dans ma scolarité que les victimes n’avaient pas à être violentes si on les agressait. La victime n’avait pas à répondre brutalement à son agresseur, même s’il avait été violent dans son acte.
Plus tard, au primaire, j’ai vu beaucoup de jeux de ce genre, plus du côté des garçons que des filles. Au lycée, il y avait le jeu du chat-bite/chat-vulve-seins (comme le chat perché mais vous touchez les parties génitales de la personne, souvent brutalement et surtout sans prévenir) ; nous avions entre 16 et 18 ans. Et aucun adulte n’a puni ces jeux.
Côté téléphone, il y avait cette manie de faire circuler les numéros de téléphone des élèves détestés ou au contraire objets de fantasmes pour leur envoyer des photos à caractère pornographique, souvent accompagnées de messages comme « tu ne connaîtras jamais ça », « vivement que je te le fasse », « regarde comment on est quand on pense à toi »…
Je n’ai eu un portable qui acceptait les photos que vers ma troisième, donc 15 ans, mais je pense que ce genre de messages et de harcèlements existait avant pour ceux qui en avaient déjà un. »
Fofie, 23 ans, 4-5 ans puis 16-18 ans au moment des faits.
« Laisse-le faire, après il te laissera tranquille »
« J’ai vécu exactement la même chose, mais sur plusieurs semaines, une fois en CE1, un garçon de ma classe, puis en CE2, un garçon de la classe inférieure.
Je passais mes récréations enfermée dans les toilettes des filles, ou à courir pour ne pas me faire attraper, parfois serrer les lèvres après m’être faite coller contre un mur… Je n’ai pas osé en parler tout de suite car, lorsque je me faisais poursuivre dans la cour, je trouvais ça drôle. Jusqu’à ce que le garçon me coince quelque part (parfois avec l’aide de ses petits camarades), et que là, malgré mes rejets, il refuse d’entendre mes « non ».
J’avais donc une espèce de culpabilité de m’être amusée qui m’empêchait d’en parler aux adultes, notamment à mes parents. Puis, on arrive à la partie formidable (non) de l’histoire : en CE2, j’ai fini par en parler à la maîtresse. Qui m’a répondu : « laisse-le faire, après il te laissera tranquille ». Ahahah !
Ce n’est pas le corps enseignant qui j’accuse, mais la vision de ces « jeux d’enfants » qu’a la société toute entière. Heureusement, ces épisodes ne m’ont pas traumatisée, car, en tout cas dans mon souvenir, j’ai réussi à toujours refuser de céder. Dans une certaine mesure, j’ai réussi à garder mes droits sur mon corps.
Je pense également que le problème portait uniquement sur le consentement, et non sur une quelconque « découverte de la sexualité », car en CE2, j’avais déjà une poitrine naissante, mais jamais il ne m’a touchée. Seules mes lèvres, ma reddition plutôt, l’intéressaient. »
Louise, 19 ans, 7 et 8 ans au moment des faits.
« Quand j’étais au collège (il n’y avait pas de téléphones portables ou très peu, et pas d’accès à Internet dessus en tout cas !), en cours de sport, le grand jeu des garçons était de se frotter les mains avec de la craie (dont on se servait pour la gym) et de laisser des traces de mains sur les seins et les fesses des filles, sans leur consentement bien sûr.
C’était une sorte de concours… Et la prof de sport ne disait rien dans mes souvenirs, ce n’est pas comme si ce n’était pas voyant puisque que pendant toute la séance, nous étions toutes recouvertes de traces de mains aux endroits stratégiques…
Le harcèlement sexuel à l’école n’a vraiment rien à voir avec l’apparition des nouvelles technologies, ça a malheureusement toujours existé. Soulever les jupes des filles et compagnie, ça commence à la maternelle ! Et ça me rend furieuse que ce sujet soit traité de cette façon dans les médias ! »
Mathilde, 25 ans, 12 à 14 ans au moment des faits.
« En sixième, j’étais vraiment ignorante des choses du sexe. Un mec de la classe qui m’avait prise pour cible, m’a coincée contre des murs, glissé sa main sous ma jupe pour caresser mes fesses et souvent ma vulve aussi (je ne me rappelle plus si c’était à travers ma culotte). Vu qu’il n’était pas très bon élève, contrairement à moi, la prof d’anglais nous avait assis côte à côte pour que je l’aide, et il en profitait pour me caresser les cuisses.
En y repensant, ses gestes étaient précis, et je suis sûre, avec le recul, que même si on n’avait pas Internet (même pas en bas débit) il avait vu/appris des trucs de ses aînés. Il le faisait aux autres filles, mais personne n’osait en parler. Faut dire qu’on était dans un collège catho où le principe était de tendre l’autre joue… »
LovelyLexy, 29 ans, 10 à 12 ans au moment des faits.
« Personne n’a besoin de savoir », « ce n’est pas si grave »
Nos lectrices enseignantes témoignent des difficultés qu’elles rencontrent sur ces sujets. Elles sont informées, elles ont l’envie de réagir, et suivent les procédures mises à leur disposition par l’Éducation nationale.
Mais une fois encore, elles se trouvent bien démunies face à la réalité du sexisme, de la culture du viol, et de la profondeur de ses racines : les parents des élèves concernés semblent incapable de prendre la mesure du problème.
Ce n’est pas faute d’essayer…
« Pour moi, le problème vient d’abord des parents : récemment, ma mère, institutrice en classe de CM2, a dû faire face à une affaire de ce genre. Certes, il ne s’agissait pas d’attouchements, mais de harcèlement sur Skype (en messagerie texte) de jeunes filles par deux garçons de la classe.
Loin des stéréotypes, il ne s’agissait pas de mauvais élèves. Au contraire, ces garçons intelligents avaient même développé une sorte de pression sur toutes ces filles qui faisait qu’elles avaient peur de parler. Ils ne viennent pas de foyers en difficultés, ou autre statistique que nous sortent à tout bout de champ les journaux télévisés.
Bref, ces deux garçons « sans histoires » ont allègrement persécuté leurs camarades avec des propos issus de la culture du viol : « pute », « ta mère fait le trottoir », « t’es qu’une pute, on s’en fout de toi », « on t’encule » et surtout le magnifique « on va te violer ». L’une des petites en faisait même pipi au lit.
Comme le recommande le ministère, ma mère a donc d’abord cherché à mesurer l’étendue du problème dans la classe, parlé aux familles des victimes, fait un signalement à l’inspection, puis averti les parents de ces charmants jeunes garçons.
Au début, les réactions ont été exemplaires : les parents fondaient en larmes, se confondaient en excuses… Jusqu’à ce qu’ils reçoivent une convocation de l’inspectrice (dans le cadre de la lutte contre le cyber harcèlement). Là, ces gens soi-disant « comme il faut » sont venus à quatre voir ma mère, sans rendez-vous, pour… l’engueuler, il n’y a pas d’autres mots.
Selon eux, cette affaire pouvait rester « entre nous », « personne n’avait besoin de savoir », « ce n’est pas si grave », « ce ne sont que des mots », etc. Ma mère avait été extrêmement choquée de tout cela, ses collègues, sa hiérarchie aussi. Nous aussi à la maison. Et tout ce qu’elle récoltait, c’était d’être méprisée, engueulée, « remise à sa place ».
En plus de révéler un certain malaise à l’école, cette histoire témoigne surtout de la culture du viol. Peu importe que ces enfants aient vu ou non du porno (ils l’ont sûrement fait, ça fait quelques années que ma mère a ce problème de porno visionné dès 9 ou 10 ans), mais leurs propos, horriblement insultants, parfois à l’égard de toute une famille, révélaient tristement la façon dont ils sont éduqués.
Ma mère a été très choquée par ces types, leurs pères, qui présentent des dehors « d’hommes éduqués », cultivent une image de réussite sociale, et viennent rouler des mécaniques devant elle, minimiser la portée des insultes de leurs fils, faisant comme si elle était une pauvre femme qui s’est affolée pour rien.
Bref, la culture du viol, on la voit tout le temps, partout, c’est usant. Mais quand elle m’a raconté tout ça, j’ai pris un beau coup au moral, et je le prends encore avec cette actualité : même les enfants ne sont pas épargnés. C’est pour moi un symptôme très très inquiétant des dysfonctionnements de cette société. »
Anne, 23 ans (les enfants de cette histoire ont tous de 10 à 11 ans et sont en CM2).
À lire aussi : « Tu es un garçon. Ne frappe jamais une femme »
« Le silence, garant de l’équilibre »
« Dans ma première classe (des 4èmes), j’avais un élève petit et physiquement très « gamin », donc pour ses parents, c’était juste un petit garçon innocent : pas de contrôle parental. Du coup, il passait ses soirées dans sa chambre, depuis des années, devant YouPorn, au point de m’écrire dans ses rédactions des trucs salaces et souvent dégradants pour les femmes.
D’où ma réflexion par rapport à toute la problématique de l’éducation sexuelle : il y a encore des parents pour nier que leurs enfants grandissent et ont des désirs, et pour penser que l’éducation à la sexualité va leur donner de « mauvaises idées ». Pour les parents de ce garçon, il était juste un tout-petit, pas un adulte en formation qui ignorait totalement la notion de consentement. »
LovelyLexy, 29 ans.
« Je travaille depuis cinq ans dans et avec des collèges parisiens « difficiles », et cette histoire fait malheureusement écho à mon expérience. La réaction des journalistes (« les portables, Internet, c’est le mal ») a été également celle des établissements qui ont dû faire face à ce genre de comportements.
Les relations filles/garçons et l’éveil à la sexualité (et par là, à l’autre) sont considérées à la fois comme problématiques et comme mineures : oui, des choses graves se passent, mais il n’y a pas de temps à consacrer à cette éducation-là. Plutôt que de mettre en place une réflexion et un plan d’action, c’est la réaction en urgence qui prime.
Et le silence est considéré comme un garant de l’équilibre. Au secours… »
Laure, 28 ans.
Le déni se porte bien, lui aussi
Incroyables, ces témoignages, tout de même. Tellement incroyables que je vois d’ici les commentateurs avisés réécrire leur propre version des faits. Alors pour éviter de devoir lire ces propos ailleurs, je vais leur couper l’herbe sous le pied. On parie ?
- « Une bien belle bande de pleurnicheuses, ces gonzesses. »
- « Oh là là là là, mais c’est bientôt fini le bureau des pleurs ? Des histoires de gamines, vieilles de dix, quinze, vingt ans ! Mais c’est du passé tout ça, et puis elles n’en sont pas mortes. »
- « Oui enfin bon, les séquelles, tout ça, c’est très subjectif. Elles se montent un peu le bourrichon entre elles, aussi, hein. (Ah, les gonzesses !) »
- « Et au fond, qui nous dit qu’elles ne l’avaient pas un peu cherché, hmm ? Mettre des jupes à l’école, porter des vêtements sombres et moulants en cours de sport, qui nous dit que c’était pas fait exprès pour attirer l’attention des garçons ? Flatter leur égo ? »
- « Se plaindre juste parce qu’elles n’ont pas eu le type d’attention qu’elles voulaient obtenir, c’est gonflé… Faut savoir être beau joueur, hein… »
C’est ça. Restons bien au chaud dans nos certitudes, rembourrées de déni. Ce ne sont que « des jeux d’enfants ». Ce n’est « pas grave ». « Il faut bien que jeunesse se passe ».
« Boys will be boys ».
« Sexe, collège et vidéos », titre le 19:45, qui consacre ce sujet… aux smartphones
« Internet, via les smartphones, a changé la donne »
Sur M6, c’est également sous l’angle du porno et des smartphones que le 19:45 a abordé le sujet : « les nouvelles technologies ont changé la donne ».
On va enfin pouvoir tomber d’accord. Vous avez bien raison, les gars. Internet a complètement changé la donne. Ce qu’il se passait avant dans les cours de récré, sous les yeux des adultes indifférents ou à l’abri des regards, les paroles ignorées, dénigrées, tout ceci se retrouve maintenant « sur Internet », à la vue de tou•te•s.
Pas étonnant qu’on parle plutôt de « confisquer les téléphones » que de s’attaquer aux racines du problèmes. La racine du problème médiatique et politique, c’est bien qu’il devient de plus en plus difficile d’ignorer l’évidence qu’on met tant de soin à enfouir sous le déni de nos responsabilités…
Changez rien : « tout va bien, madame la marquise. »
Vous pouvez continuer de partager vos témoignages dans les commentaires ; il s’agit du même sujet de réactions que pour notre article sur l’affaire du collège Montaigne. Merci à toutes pour vos contributions.
À lire aussi : Najat Vallaud-Belkacem s’attaque à la « culture du viol décomplexée »
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Les Commentaires
Bref, je lui fais remarquer en toute délicatesse que s’il recommence il prendrait un pain dans la gueule et je retourne à mon casier. C’est là qu’il en profite pour recommencer en me plaquant contre le mur de casiers. Ni une ni deux, je me retourne, lui colle un coup de genoux dans les boules et un coup de poing sur la bouche. Et là je vois son prof débarquer en courant, il devait probablement assister à la scène depuis le début, puis il m’engueule « nan mais ça va pas, on ne fait pas ça! » « Ah et parce que me mettre la main au cul ça se fait peut-être? » Que je gueule encore plus fort, histoire d’ameuter les gens pour avoir des témoins. « Oh c’est bon c’est rien, c’est pour jouer! » Finalement tout le monde s’est retrouvé chez le CPE et j’ai eu gain de cause. Le prof s’est fait engueuler, l’élève a pris 3 jours d’exclusion, et plus personne n’a jamais essayé de me toucher à l'école.