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Société

« NOULÉFILLES », cet agaçant syndrome de Stockholm

« NOULÉFILLES », « VOULÉFILLES », « NOULÉMECS », « VOULÉMECS »… les gens ont souvent tendance à se renvoyer à leur genre, à et ses clichés. Et Clémence Bodoc ne le vit pas très bien.

— Publié initialement le 10 décembre 2014

J’ai grandi avec deux frères et un cousin, j’ai joué aux mêmes jeux qu’eux, et je n’ai compris que vingt ans plus tard pourquoi ma grand-mère me grondait quand je jouais avec les LEGO de mes frangins. Pire, je me souviens de la crise qu’elle a piquée contre l’un d’eux le jour où elle nous a surpris en train de jouer ensemble avec mes Barbies.

Je n’ai pas compris. Il a fallu que je prenne la pilule rouge du féminisme pour que je réalise, avec le recul de mon âge et de mon expérience, que durant toute ma vie, j’avais été considérée comme « une fille », et que tous mes comportements, tous mes choix avaient été jugés sur l’échelle de la féminité.

Je suis une fille, me direz-vous, alors où est le problème ? Le problème est que je ne suis pas QUE ça ! En premier lieu, je suis une personne avant d’être quoi que ce soit d’autre. Ensuite, je suis Lorraine. Je suis catholique aussi, ou plutôt j’ai été élevée en catholique, et cette identité pèse davantage sur la construction de mes convictions que le fait d’être une fille.

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Ensuite, je suis une fille, parce que j’ai été élevée comme telle dans une société qui distingue l’éducation des filles et des garçons. Je réalise seulement maintenant à quel point mon éducation a été différente de celles de mes frères, et je frémis en réalisant à quel point ces différences étaient involontaires ! Ce qui signifie qu’avec la meilleure volonté du monde, mes parents n’avaient même pas conscience de m’élever différemment.

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« NOULÉFILLES », ce réflexe pavlovien

Il n’y a pas de coupable en particulier : la société dans son ensemble nous conditionne à appréhender le monde par le prisme de nos stéréotypes. C’est pourquoi les filles elles-mêmes y ont recours pour s’identifier, oubliant parfois que nous sommes toutes des personnes indépendantes ! Être une fille ne nous confère AUCUN point commun, autre que le fait de s’identifier au genre féminin !

Alors quand j’entends, ou que je lis sur des forums, des messages entre filles qui contiennent « le tic » de langage « NOULÉFILLES », mon sang ne fait qu’un tour.

Non. Il n’existe pas de groupe homogène sous l’étiquette « les filles ». « NOULÉFILLES », ça n’existe pas. Et pourtant, on peut lire ou entendre, bien trop souvent à mon goût, des idées reçues de type NOULÉFILLES, on a toutes des complexes sur notre physique. NOULÉFILLES on aime se pomponner pour plaire, NOULÉFILES on n’a pas l’habitude de faire le premier pas, NOULÉFILLES on râle parce qu’on doit s’épiler, mais on préfère les jambes lisses ! Et cætera jusqu’à l’infini.

Certaines de ces affirmations seront vraies pour certaines filles, et c’est très bien ainsi ! Il ne s’agit pas de juger celles qui s’identifient davantage à une certaine idée de la féminité que nous ; féminisme et féminité ne sont pas incompatibles, il faut le rappeler.

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D’ailleurs lorsqu’une fille me parle en NOULÉFILLES, il me suffit souvent de lui expliquer que je suis une personne à part entière, que j’ai des envies et des sentiments indépendants de ceux attribués par défaut au groupe féminin, et que je me désolidarise de son affirmation, sans pour autant la juger si elle, elle s’y reconnaît.

J’ai pas changé le monde, mais j’existe toujours sur sa surface, et ça me va bien comme ça. En revanche, lorsque c’est un homme qui utilise contre moi le VOULÉFILLES (la variante masculine du NOULÉFILLES, vous l’aurez deviné), ce n’est pas la même histoire.

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NOULÉFILLES, on aime les cocktails aux fruits !

« VOULÉFILLES », la négation de mon individualité

Lorsqu’un homme intervient dans une conversation pour placer un « VOULÉFILLES » suivi d’une généralité sur le groupe féminin, je ne suis pas simplement agacée : je le vis comme une véritable violence, une négation de mon individualité.

De toutes mes identités, la personne qui me parle choisit délibérément de s’arrêter à « fille », et refuse de voir l’individu derrière cette étiquette. Et j’ai beau argumenter à base de « toutes les filles ne sont pas comme ça », tout ce que je peux éventuellement réussir à faire, c’est obtenir de mon interlocuteur qu’il reconnaisse différents sous-groupes à l’intérieur du groupe féminin. « Ah ok, toi t’es une meuf cool, t’es pas du genre girly ! »… Vous parlez d’une victoire… Je reste avant tout une meuf, MAIS mieux qu’une meuf « girly » ! Je vais laisser le champagne au frais, si ça ne vous fait rien.

Je ne sais pas si les hommes qui me lisent réaliseront la violence de l’argument VOULÉFILLES dans une conversation, quelle qu’elle soit. Il me renvoie à l’une de mes identités, et me réduit à ça.

Lorsque, dans une discussion sur la politique d’immigration de l’Union Européenne avec mes collègues (si, si) l’un deux répond d’un « VOULÉFÂM, vous êtes trop sensibles », comment dois-je le prendre ? C’est un exemple parmi des centaines de renvois quotidien à mon identité « fille », comme un argument d’autorité, comme une clé de lecture infaillible de ma personnalité.

Les espaces de discussion et d’échanges non-mixtes sont extrêmements rares, et ce sont les seuls endroits où personne, jamais, ne me renvoie un VOULÉFILLES dans un débat.

Lorsque tous les membres d’un espace sont des femmes, ou que l’identité de genre n’est pas révélée par les membres, lorsque l’on présuppose que tout le monde a la même, c’est comme si l’étiquette « fille » n’existait pas. Quand on passe toute sa vie à la porter, toujours, partout, à lutter pour s’en détacher quand on nous enferme dedans, s’en séparer revient à se débarrasser d’un poids considérable.

C’est pourquoi les espaces de discussion non-mixtes sont pour moi des havres de paix, qui me permettent une liberté d’expression que je n’ai pas ailleurs.

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VOULÉFILLES vous êtes trop chelou lol

Et « VOULÉMECS », alors ?

Ce n’est pas parce que la société ne considèrent pas « les mecs » et « les filles » sur un pied d’égalité qu’on peut se permettre de renvoyer aux hommes un « VOULÉMECS » d’autorité. « VOULÉMECS vous êtes tous des obsédés ! »… Bah pas plus que « VOULÉFILLES vous êtes toutes des manipulatrices ! ».

Arrêtons collectivement de se renvoyer à notre genre, respectons nos individualités, et on s’en portera tous et toutes mieux, vous ne pensez pas ?

Au passage, on évitera aussi de s’exprimer « en tant que mec » ou « en tant que meuf », une posture qui ne correspond à rien du tout. Qu’est-ce que le point de vue d’un mec/d’une meuf ? Vous avez 4 heures.

En tant que chef·fe d’entreprise, en tant que sportif·ve, en tant que commerçant·e, en tant qu’étudiant·e, toutes ces étiquettes participent à légitimer un point de vue. Mais « en tant que mec » n’est pas une identité pertinente pour légitimer un avis, certainement pas au sein d’un espace de discussion féminin, ou non genré. Et vice versa !

Notre genre ne nous définit pas. Il est UN élément constitutif de notre identité, mais il est loin d’être le seul, d’être déterminant. Et surtout, je refuse d’être réduite à mon genre. C’est mon choix. Comme le disait si justement Dumbledore, « ce sont nos choix qui montrent ce que nous sommes, davantage que nos aptitudes », y compris celle d’accoucher ou non, si vous me permettez de compléter l’expression.

À lire aussi : Mon genre et moi, une histoire pas si simple

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Hiccup et Astrid, deux personnages badass et têtus comme une mule

Pourquoi en vient-on à se considérer soi-même NOULÉFILLES / NOULÉMECS ?

Parce que la mixité est un concept très récent ! Il n’y a pas si longtemps, en France, on avait encore des écoles de filles et des écoles de garçons séparées. On considérait qu’il fallait leur donner une éducation spécifique à leurs besoins respectifs.

Aujourd’hui, l’école est mixte, mais les filles et les garçons continuent d’être traités différemment, et bien souvent de façon totalement inconsciente. On SAIT pourtant que nous ne sommes pas défini·es par notre sexe, en tant que personnes. Le fait d’avoir un vagin ou un pénis ne conditionne pas notre personnalité, ce fait ne conditionne même pas systématiquement notre identification au genre masculin ou au genre féminin : les personnes transgenres, par exemple, en sont la preuve vivante.

À lire aussi : 13% des jeunes en France ne sont « ni homme ni femme » : la non-binarité, c’est quoi ?

Le rose et le bleu…

Et pourtant, nous continuons d’être rangé•e•s systématiquement dans les cases « fille » ou « garçon », et traité•e•s selon les stéréotypes attachés à chaque genre. Rose et poupées pour les filles, bleu et camions pour les garçons. Littérature et philosophie pour les filles, maths, sciences et techniques pour les garçons. Compliments sur l’apparence et la douceur de caractère pour les filles, compliments sur les capacités physiques et la force de caractère pour les garçons.

À lire aussi : Une petite fille s’indigne devant le marketing genré

Toute cette éducation genrée commence dès notre plus jeune âge, et se perpétue tout au long de notre jeunesse, de notre parcours scolaire, de notre adolescence. C’est toute la thèse de Simone de Beauvoir, «on ne naît pas femme, on le devient», qui est également vraie pour les garçons, dont on commence d’ailleurs à se préoccuper. Relisez à ce propos l’excellente tribune de deux chercheurs sur Libération, En finir avec la fabrique des garçons.

À lire aussi : Les hommes et la masculinité : on ne naît pas homme, on le devient

…affectent l’estime et la confiance

Mais les représentations stéréotypées des filles et des garçons sont encore tenaces dans la société. En plus de nos conditionnements inconscients, certain•e•s se battent carrément pour que ces stéréotypes soient observés, et perpétués ! La Manif Pour Tous s’oppose ainsi frontalement aux programmes d’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons initiés par l’Éducation Nationale, qui visent précisément à déconstruire les représentations genrées du monde.

À lire aussi : L’ABCD de l’égalité aux oubliettes ? De la gêne au malaise [MÀJ]

Il ne s’agit pourtant pas de faire perdre leurs repères aux enfants, mais simplement de leur permettre d’envisager toutes les carrières et de nourrir toutes les ambitions qu’ils et elles souhaitent, sans se laisser décourager au motif que « ce n’est pas pour eux ».

Ce n’est pas qu’une question d’épanouissement personnel, c’est une préoccupation de santé publique ! Ces stéréotypes amènent les enfants, puis les adolescent·es, à adopter des comportements conformes à ce qu’on attend d’une femme, ou d’un homme, selon les représentations de la féminité, et de la virilité.

Poussées à l’extrême, ces logiques ont un impact direct sur la santé des adolescent·es : les filles souffrent davantage de troubles dépressifs et de l’alimentation, liés à une faible estime d’elles-mêmes, et les garçons refoulent leurs sentiments et négligent leurs problèmes de santé, dans un souci de paraître viril.

Quand VOULÉFILLES, VOULÉMECS servent à maintenir l’ordre établi…

Le problème avec NOULÉFILLES/ VOULÉFILLES/ VOULÉMECS, c’est qu’ils sont souvent invoqués pour renvoyer les filles et les garçons à leur place attribuée dans la société, un ordre hiérarchisé selon le genre.

La discrimination à l’embauche concerne essentiellement les femmes, et notamment parce qu’elles risquent de prendre un congé maternité, étant entendu que VOULÉFILLS vous avez l’horloge biologique qui vous démange passé 25 ans…

À lire aussi : Discrimination à l’embauche : expériences et mécanismes

Le harcèlement de la rue et dans les espaces publics concerne essentiellement les femmes, et notamment les femmes seules, étant entendu que VOULÉFILLES vous cherchez à attirer l’attention des mecs, c’est pour ça que vous vous habillez court et que vous vous maquillez.

À lire aussi : Harcèlement de rue, cette épuisante banalité

VOULÉMECS, vous pouvez aussi être victimes des stéréotypes qui pèsent sur vous, comme vous pouvez aussi être discriminés, harcelés, violés. Votre genre ne vous immunise contre rien du tout, et ne vous confère aucun super-pouvoir (désolée).

C’est pourquoi on considère que le sexisme anti-hommes n’existe pas, bien que des hommes puissent également être victimes du sexisme (le même que celui qui touche les femmes, pas une forme d’oppression spécifique aux hommes !).

Mais si on considère « le groupe mecs », il faut reconnaître qu’il jouit d’une position avantageuse dans la société par rapport « au groupe filles ».

Ce qui fait que je n’ai pas vraiment intérêt à m’exprimer « en tant que fille » dans une conversation, car j’encours le risque que mon interlocuteur m’assimile « au groupe filles », et me considère inconsciemment dans une position de faiblesse.

Alors qu’une personne qui s’exprime « en tant que mec » sera plutôt perçue comme étant soit dans une position neutre (car le masculin est neutre en français, n’est-ce pas !), soit dans une position dominante.

Vous en avez assez de ce système qui vous enferme dans des clichés dévalorisants, qui nient votre individualité ? Alors aidez-nous à nous en débarrasser !

Devenez un allié du féminisme, pour l’égalité !


Découvrez le BookClub, l’émission de Madmoizelle qui questionne la société à travers les livres, en compagnie de ceux et celles qui les font.

Les Commentaires

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Avatar de Shurto
12 septembre 2016 à 19h09
Shurto
Loooooooooooooooooongtemps après tout le monde ! Je viens de découvrir l'article et de lire les commentaires (oui, oui, tous). Merci pour tout ça : l'article et les interventions même si j'avoue que j'ai été un peu dépassée par la "polémique"

De mon côté, le Nouléfilles, je l'ai découvert dans la bouche de deux amies de longue date, toutes les deux mamans de 2 filles, et qui disent ou plutôt promulguent que "les filles, c'est chiant"... WHAT ????? Incapable de réagir sur le moment, si ce n'est pour dire que je ne me sentais pas concernée vu que même si je sais que je peux être chiante, j'estime que ça n'a rien à voir avec mon sexe / genre. Surtout j'ai été choquée par cette injonction faite à leurs propres filles, elles seront ch... c'est normal, bonjour l'étiquette. Bien sûr il y a dans les 2 cas un 3e enfant qui est un ptigars (of course) et curieusement, les ptigars c'est plus facile, moins ch... Non mais sérieux ??? A l'une d'elle j'ai écrit par mail, qu'en gros je la croirai quand elle aurait pondu un nombre statistiquement signifiant d'enfants pour pouvoir édicter de telles règles Entre temps j'ai eu une fille (et c'est ce que je voulais !) qui n'est pas ch... (enfin ça dépend de mon degré de fatigue ), qui n'est pas un modèle de calme, qui est fan de Kung Fu Panda et de la Reine des Neiges (hmmpfff), bref qui est parfaite ! Mes amies sont toujours mes amies mais j'avoue avoir soigneusement évité le sujet car je sais qu'il y a des risques que je me mette un peu en colère (explosion atomique, vous êtes prévenus !) mais pour des femmes de ma générations, éduquées, autonomes et ayant eu des expériences de discrimination et de sexisme... bah grosse déception

Plus récemment, lors d'une conversation avec une jeune maman, j'ai sorti que j'étais féministe (possiblement pour l'encourager à ruer dans les brancards, j'avoue). Petit silence, regard vers mon chéri et puis "mais et toi C, tu as dû t'y mettre aussi ?". Stupeur de notre part à tous les deux vu que je suis avec un amour qui était féministe bien avant de me rencontrer, peut-être même avant moi

Donc ma mission maintenant va passer par l'éducation de ma fille et lui ouvrir ou lui donner les clés pour ouvrir elle même toutes les portes qu'elle veut passer, na !!!

Et sinon, je profite de ce sujet pour remercier Madmoizelle, j'avoue je lis surtout les sujets féministes et un peu le cinéma quand il y en a. J'ai apprécié le(s ?) sujet(s) sur le soin des cheveux, première fois que je vois traité les alternatives bio et écolo avec autant de sérieux et autant de références !! Bref, un super mag ! Continuez longtemps pleaaaaaase
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