Quand mon conjoint et moi avons appris qu’un confinement était annoncé, nous n’avons pas pu faire grand chose d’autre que de nous adapter à la situation. De son côté, aucun aménagement professionnel n’était possible : le télétravail, aux horaires habituels, était obligatoire. Du mien, on m’a proposé de passer en chômage partiel durant la période, ce qui m’a permis d’arrêter de travailler sans perte de revenu.
Du moins de travailler… pour mon employeur, puisque le quotidien avec trois enfants en bas âge, un fils de 4 ans et deux jumelles de 18 mois enfermés dans un appartement à gérer s’est immédiatement révélé être un travail à temps plein ! Au point que j’en ai été dépassée, épuisée, et qu’aujourd’hui ma relation avec mes enfants en est encore abîmée.
Un déficit de sommeil et un confinement
Pendant que mon partenaire essayait de télétravailler, installé sur une table à repasser dépliée pour l’occasion, je m’occupais donc des trois enfants toute la journée.
On se doutait bien que les choses n’allaient pas être simples, entre l’école à la maison pour l’aîné de 4 ans et ses deux petites sœurs d’un an à peine, mais nous étions loin d’imaginer la difficulté que cela représenterait au quotidien.
Tout l’appartement était réquisitionné : les chambres, le salon, la cuisine, les enfants avaient besoin de tout l’espace. Moi, je me mettais beaucoup de pression pour éviter que la maison soit trop bruyante, que mon conjoint puisse travailler relativement tranquillement. Lui, il se mettait la pression pour finir vite et venir prendre le relai avec les enfants au maximum. Nous n’étions pas sereins du tout.
Sans pouvoir sortir ou recevoir de l’aide, il n’y avait aucun moyen que cet enfermement contraint soit un bon moment. D’autant plus que nous étions déjà très fatigués et sollicités avant même l’annonce du confinement !
Déficit de sommeil, déficit de patience : me voilà 24h/24 face à des enfants qui débordaient d’énergie, d’envie d’activités et de sollicitations. Très vite, je me suis retrouvée débordée.
Abandonner l’idée des journées parfaites
Il fallait que je fasse l’école à la maison pour mon fils en moyenne section. L’enjeu scolaire n’est pas immense, mais la maîtresse envoyait des devoirs toute les semaines, et on se devait de lui répondre.
Sauf qu’il refusait purement et simplement de travailler avec nous, et nous rappelait régulièrement que de toutes façons, nous n’étions « pas sa maîtresse. »
Pendant ce temps-là, il fallait aussi que je surveille ses deux sœurs, qui se mettaient parfois dans des situations dangereuses. Il fallait que j’aie des yeux partout, tout le temps, mais en vain. C’était un enfer : quand je m’occupais des petites, le grand venait se mettre au milieu, donc ils finissaient par batailler — et inversement.
Au final, je ne pouvais être disponible pour aucun de mes enfants à la fois, et c’était très frustrant. Malgré mes efforts, je ne pouvais satisfaire pleinement aucun de leurs besoins.
« Pourquoi je n’y arrive pas ? »
Pendant cette période, on a vu circuler des tas de tutos, d’activités à faire pour occuper les enfants, des exemples de jolies choses à fabriquer… Moi, il était tout simplement inimaginable que je puisse faire un atelier manuel avec mon fils et mes filles en même temps. Ce n’est pas faute d’essayer, mais ça ne fonctionnait pas.
Je passais mon temps à m’abreuver de ces tutos très culpabilisants. J’aurais rêvé pouvoir faire tout ça, mais c’était impossible : malgré mes heures de recherche, rien ne pouvait fonctionner dans notre configuration. Je sais bien que les situations étaient différentes pour tout le monde, mais je l’ai vécu comme un échec personnel.
J’essayais de ne pas me comparer aux autres, mais à force de voir tous ces contenus tout le temps, on finit par se demander :
« Pourquoi moi, en tant que mère, je n’y arrive pas ? Ce serait tellement mieux si j’y arrivais. »
Mon conjoint voyait bien que j’étais débordée, et il essayait autant que possible de m’aider à respirer un peu. Quand il entendait les cris dégénérer, ou que je n’arrivais pas à calmer les enfants, il prenait dix ou quinze minutes de pause dans sa journée pour prendre le relai, faisait manger les enfants… Mais cela ne pouvait pas suffire.
Par ailleurs, la charge domestique a mécaniquement augmenté : nous étions tous à la maison, tout le temps, et il fallait ranger et faire en sorte que cet environnement reste vivable. Le pire, c’était les repas pour cinq, midi et soir non-stop, à passer du temps en cuisine en s’occupant des enfants en même temps.
Des journées longues et chaotiques
Les journées commençaient par le réveil de mon fils, autour de 6 heures 30. Mes filles dormaient une heure de plus, grand maximum, pendant laquelle j’arrivais à passer un petit moment avec mon fils après le petit déjeuner. Nous pouvions faire un petit jeu, un peu de révisions…
Ensuite, mes filles se levaient, mangeaient, s’habillaient, et le n’importe quoi commençait. Qu’est-ce que nous allons bien pouvoir faire aujourd’hui ? Comment éviter que tout le monde ne se tape dessus tout le temps ? J’essayais de mettre tout le monde à une activité trouvée la veille, disons, la pâte à modeler.
Dans la réalité, la pâte à modeler durait quinze minutes. Ensuite, je finissais par ranger toute seule tout ce qui avait fini par terre, et il fallait trouver autre chose. C’est ça : je passais mon temps à essayer de trouver des choses à faire.
Bien sûr, il ne faut pas exagérer : ils trouvaient aussi de quoi s’occuper entre eux, les déguisements ou la dinette par exemple. Mais mon quotidien, c’était surtout de gérer les catastrophes les unes après les autres. Les conflits, les cris parce que quelqu’un a arraché quelque chose des mains de quelqu’un d’autre, l’a fait tomber, l’a poussé…
Se sentir dépassée, et démunie
Sur le moment, tout dégénérait en cris, en bagarre ou en pleurs. Je n’ai jamais pu passer un moment convivial, un jeu de société par exemple, avec mes trois enfants autour de la table.
Parfois, j’essayais de les mettre au dessin, tous ensemble, mais la réussite durait trois secondes. Ensuite, tout le monde voulait le même feutre, tout roulait par terre, la table et le mur se faisaient repeindre — bref, le chaos recommençait.
Après le repas de midi, on essayait de faire la sieste, de jouer un peu, et le goûter faisait office de pause assez calme. Le pire moment, c’était entre le goûter et la fin de journée de travail de mon conjoint : là, je n’avais plus aucune idée de ce que je pouvais leur faire faire. J’étais épuisée, eux étaient en pleine forme après la sieste...
Ensuite, le dîner et le coucher, autour de 20 heures 30. Là, mon partenaire essayions de décompresser un peu tous les deux — autant qu’il ait été possible de le faire en cette période de pandémie, avec les infos anxiogènes.
On se racontait nos journées avant de se coucher : il me parlait du boulot, et moi, je lui disais que c’était horrible. Que les enfants n’avaient fait que crier, que je n’avais pas su faire… Il se rendait bien compte que ça m’affectait de plus en plus, et faisait de son mieux tout en culpabilisant, parce que lui, il travaillait et que j’avais peur que le bruit le dérange.
En parallèle de la dégradation de la situation familiale, il fallait qu’il continue à assurer son boulot, ses réunions et sa productivité.
J’ai senti ma santé mentale se dégrader
Au réveil, plus le temps passait, et plus je me décomposais. J’ouvrais les yeux, et je me disais « ça va encore mal se passer, je ne peux pas y aller ». Quand chaque jour se passe comme ça, on devient démissionnaire.
À force, j’ai fini par laisser mes enfants faire ce qu’ils voulaient dans l’appartement, et à n’être présente que pour régler les disputes, attraper ce qu’il fallait, leur éviter les dangers. J’ai arrêté d’être force de proposition : je suis devenue un arbitre.
J’ai beaucoup pleuré, devant eux parfois, quand je n’arrivais pas à calmer une situation. Arrivée à la fin de ce confinement, je ne maîtrisais plus du tout mes émotions ; j’avais l’impression que mes journées étaient des échecs. Et ces échecs me donnaient l’impression que je n’étais pas capable de m’occuper de mes enfants, de passer des bons moments avec eux.
A posteriori, je relativise, mais sur le coup, c’était une situation extrêmement difficile où je me disais « Tu as trois enfants, et tu ne sais pas profiter d’eux. »
Et puis, tout le monde autour me donnait des conseils dans tous les sens. « T’as essayé ceci, cela ? » Dans la pratique, soit j’avais déjà essayé, soit je n’avais même pas la force de tenter. J’ai commencé à assez mal vivre les opinions extérieures, en me demandant « Mais ils croient quoi ? Que je n’ai pas tout tenté ? »
J’étais bloquée dans un schéma où tout se passait mal.
À la sortie du confinement, l’angoisse reste
Nous sommes sortis du confinement, j’ai repris le travail, les grandes vacances sont arrivées et nous avons à nouveau passé tout notre temps avec les enfants, puis la rentrée… Et je n’ai jamais eu l’impression de respirer à nouveau. Je n’ai pas réussi à passer à autre chose, à oublier ce qui c’était passé pendant ce confinement.
Chaque week-end devenait une angoisse, et je le vivais comme un mini confinement. Comment les occuper ? Que faire ? En parallèle, nos enfants ne faisaient toujours pas de nuit sans interruption, et la fatigue s’accumulait.
C’est arrivé à un point où j’en voulais même à mes enfants de m’avoir mis dans cet état. Je le dis en toute transparence, et je sais bien que ce n’est pas comme ça qu’il faut raisonner. Mais j’en étais rendue là, à avoir l’impression que c’était de leur faute.
Je ne supportais plus les petites colères d’enfant normalement acceptables, je prenais tout trop à cœur, je devenais irritable : je ne tolérais plus rien. Aussi difficile à admettre que ce soit, je crois que je ne supportais plus mes enfants. Quand tout se passait bien, je me disais « C’est louche, ça ne peut pas durer. » Quand tout se passait mal, je me disais « C’est normal. »
Ne plus réussir à passer de bons moments avec mes enfants me rendait extrêmement malheureuse, et je culpabilisais énormément, en étant persuadée que si les choses se passaient mal, c’était ma faute.
Le confinement n’est pas une phase à laquelle on met un point final
Il n’y a pas eu d’avant/après confinement, seulement une manière de voir nos moments ensemble qui s’est doucement installée. Il m’a fallu beaucoup de temps pour que je me rende compte que ce que j’avais vécu était un traumatisme, qui a profondément et durablement abîmé ma relation avec mes enfants.
En janvier 2021, j’étais épuisée et je pleurais sans cesse. Pourtant, au travail, tout se passait très bien : c’est à la maison que les choses se compliquaient. C’est là que j’ai fini par me faire arrêter pendant un mois pour burn-out.
Sans être entièrement remise, j’ai repris le travail après ces quatre semaines, et c’est une soupape de décompression. Pendant que je travaille je n’ai pas le devoir de m’occuper des enfants.
Le temps est passé, doucement, et j’ai essayé de voir les choses de manière plus positive. Cela a fonctionné quelques mois, avant d’être rattrapée par le quotidien, par les gestions d’école et de classes fermées, d’imprévus à gérer avec les enfants à aller chercher à tout moment…
L’incertitude est épuisante, et je sens bien que ma vie professionnelle pâtit de cette situation.
Deux ans après, je lutte pour apaiser ma vie de famille
Deux ans plus tard, les choses sont encore compliquées. Parfois, ma relation avec mes enfants s’arrange et j’arrive à être heureuse de chaque moment que je passe avec eux, à en avoir envie. Parfois, je recommence à angoisser les week-end, à ne rien voir d’agréable dans la gestion des moments en commun… Et je n’arrive plus à apprécier la vie de famille.
Je ne me leurre pas : avant le Covid, la sitution était déjà souvent tendue. Mais ce premier confinement a cristallisé ma fatigue dans une forme de ras-le-bol. Et surtout, il a créé ce ressentiment envers mes enfants, ce sentiment tellement difficile à constater, à vivre, et cette culpabilité qui l’accompagne. C’est ce sentiment qui a laissé des traces, et qui en laisse encore aujourd’hui.
C’est très dangereux, d’en vouloir à ses enfants juste parce que ce sont des enfants, turbulents, enfermés, certes, mais des enfants. Je m’en rends bien compte, et depuis mon arrêt maladie, j’ai commencé une psychothérapie. Je vois une psy une fois par semaine, et cela m’aide beaucoup, à relativiser, à me poser beaucoup de questions… J’arrive un peu plus à remettre les choses dans le contexte : nous vivons une période difficile, et trois enfants dont des jumeaux, ce n’est pas une configuration familiale facile non plus.
La situation se débloque doucement, et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que les choses s’arrangent. La culpabilité est toujours présente, et plus je mets des choses en œuvre pour que ma relation avec mes enfants s’apaise, plus je culpabilise de ne pas y arriver. Mais je continue à essayer, et j’ai l’espoir de pouvoir remonter cette pente.
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Les Commentaires
Ici le premier confinement m'a mené à changer de job tellement ça a été dur, j'étais dégoutée du monde du travail, en colère aussi. Je suis passée free-lance et j'ai retrouvé un emploi salarié par hasard, un de mes clients m'a embauché, je voulais rester indépendante mais j'ai finalement accepté car le taf me plaisait énormément et le contexte est carrément différent. Je peux aller chercher ma fille ou mon fils quand je veux, si les enfants sont à la maison j'avertis mon management et voilà, au final tant que le taf est fait d'une façon ou d'une autre ça va et je n'ai pas d'objectifs ou de chiffres donc ça change tout. Mon mari lui a aussi changé de métier et peut travailler de la maison. Il doit être présent mais ses boss savent qu'il a les petits à la maison, il fait des pauses. Cela dit je n'ai pas travaillé à fond depuis des mois car il y en a toujours un à la maison. Et je me dis souvent heureusement que j'ai pu changer de situation pro et perso pendant la crise COVID je serais devenue cinglé et ma famille en aurait pris un coup.