Qui dit questions d’éducation dit ? Conflit de générations ! Ce qui était permis hier est aujourd’hui interdit, proscrit, banni — « Non, non, on ne peut pas faire ça, vous n’y pensez pas… »
Ce sont donc toutes ces questions clivantes auxquelles s’intéresse notre rubrique Débats de Parc.
Hier encore, nos parents (enfin, beaucoup de nos parents, ne généralisons pas non plus), nous laissaient seuls à la maison pour un oui ou pour un non — « Écoute, faut que j’aille faire des courses, tu restes ici tranquille, je reviens dans quelques heures ! » Des amis de mes parents partaient même au restaurant ou au cinéma une fois leurs jeunes enfants couchés…
Aujourd’hui, ce n’est plus du tout la même chose. On aurait pourtant bien envie parfois de s’absenter. Mais alors, qu’est-ce qui a changé ?
Laisser les enfants seuls : comment et à quel âge ?
Légalement, il n’y a pas de règle sur le fait de laisser son enfant sans surveillance. On doit donc faire en fonction du bon sens… même si souvent on en manque cruellement quand il s’agit d’éducation : ce n’est pas toujours instinctif, comme on essaie de nous le fait croire.
Dedans, dehors… ce n’est pas tout à fait la même chose. Les dangers diffèrent !
Laisser un enfant seul à la maison
Le Conseil canadien de la sécurité recommande de ne pas laisser un enfant de moins de 10 ans seul — ni un enfant de moins de 12 ans en surveiller un autre. Cela part du principe de précaution.
De quoi a-t-on peur finalement ? Le risque en laissant l’enfant à l’intérieur sans surveillance est l’accident domestique. Chute, feu, noyade… que de réjouissances possibles !
Pour les plus petits, il est même dangereux de les laisser dans une pièce sans surveillance. Ils peuvent avaler quelque chose, se cogner contre un coin de table, escalader un meuble et tomber… Mes bébés de 15 mois n’ont qu’un centre d’intérêts en ce moment, c’est de manger des croquettes pour chats ou des grains de litière. Alors, certes ce n’est pas forcément mortel mais s’ils peuvent éviter c’est mieux.
Marie Chetrit, docteure en sciences qui vient de publier Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante, nous indique qu’il y a plusieurs degrés de danger :
« En dehors des gros dangers, comme la fausse route ou l’éclectrocution, l’enfant se fait aussi son expérience. »
Marie Chetrit a deux enfants de 6 et 8 ans ; elle ne les laisse pas seuls plus de 20 minutes — quand elle va faire des courses par exemple — et toujours ensemble.
« Ça dépend aussi beaucoup du caractère de l’enfant. Si on sent qu’ils ne vont pas faire de choses déraisonnables.
On connaît nos enfants, on sait de quoi ils sont capables. Celui de 6 ans, je ne le laisserai pas tout seul. Il est imprévisible, il est capable d’aller chercher des choses dans des placards. Il va avoir l’idée de prendre un couteau pour couper quelque chose, je me méfie… »
Cela dépend donc du caractère de l’enfant (casse-cou ou petit rat de bibliothèque, même si ça ne s’exclut pas) mais c’est bien souvent vers 7-8 ans que l’enfant prend du plomb dans la tête, acquière la conscience du danger.
« Vers 7 ans, on parle de l’âge de raison, c’est assez vrai. C’est aussi lié à la conscience du côté irréversible de la mort.
Les tout-petits pensent que l’on meurt et que l’on revient à la vie après, ils sont encore beaucoup dans cette pensée magique. Quand ils prennent conscience que c’est un état définitif, ils ont plus conscience du danger. »
Il faut y aller progressivement. Marie Chetrit nous le dit :
« On ne s’absente pas deux heures d’un coup. On peut d’abord aller à la boîte aux lettres, puis chercher le pain et revenir. »
Cela peut aussi être positif, car c’est un chemin vers plus d’autonomie :
« C’est aussi une marque de confiance. Il le faut pour l’apprentissage à l’autonomie. Parfois, les élèves de sixième par exemple doivent prendre le bus. On est obligé de lâcher la bride et de faire confiance. »
Bien sûr, il faut que l’enfant soit d’accord, se sente suffisamment en sécurité. Pour le parent, ce n’est pas forcément facile non plus, il faut attendre d’être prêt, se sentir en confiance également.
Laisser un enfant seul à l’extérieur
Les choses ont bien changé depuis les années 1980. On est nourris de faits divers dramatiques, d’Estelle Mouzin au petit Gregory. Ils sont de plus en plus médiatisés. Les alertes enlèvements, bien que très utiles, sont aussi anxiogènes. Rien que le bruit de sirène me donne des frissons !
Quand j’étais enfant, je partais souvent en vélo sur les petits chemins de campagne, au bord de la rivière. Julie, 33 ans, confie également à Madmoizelle :
« Vers 8-10 ans, j’allais avec mes cousines dans des maisons abandonnées pendant des après-midis entiers pendant les vacances. »
Marie Chetrit nous le dit également :
« Quand j’étais petite, vers 8-10 ans, j’allais me balader toute seule dans les vignes ou dans les bois.
Je partais une heure ou une heure et demie et mes parents n’étaient pas inquiets. Je ne permettrai jamais à mes enfants de faire ça. »
On ne blâme clairement pas nos parents, c’était une autre époque ! Avec des colliers ras du cou, des bracelets d’amitié et des parents très permissifs…
Marie Chetrit nous parle de la première fois où elle a laissé sortir seuls ses grands enfants :
« La première fois qu’on les a autorisés à sortir seuls, ils avaient 8 et 9 ans. C’était pour aller chercher le pain, à 5 minutes à pied. On a attendu leur retour avec impatience. En zone urbaine, on est très inquiets car il y a la circulation. »
Les us et coutumes ont donc légèrement changé depuis les années 1990 et c’est pour le mieux. Mais cela est aussi un indicateur d’un changement de paradigme dans l’éducation, de « on fait ce qu’on peut » à « il faut tout donner »…
De plus en plus de pressions sur la parentalité
Soyons claires, c’était pas mieux avant ! Si on ne laisse plus nos enfants seuls longtemps à la maison ou se balader dehors à leur guise, c’est pour les protéger. Mais ça rentre dans une tendance plus vaste : les parents se mettent plus de pression sur le soin et l’éducation des enfants.
Dans Libérées, Titiou Lecoq le dit avec humour :
« […] on est devenu fous avec nos gamins, moi comprise. Complètement dingo. Les enfants ont pris une importance exorbitante. Pourquoi ? Malgré l’évidence de l’amour que nous avons pour eux, notre rapport à nos enfants et la perception de ce que nous leur devons sont profondément historicisés. »
Et ce sont les femmes, en majorité, encore et toujours, qui s’occupent des enfants. Cela ne peut être décorrellé de l’histoire : à partir du moment où l’on a pu choisir ou non d’avoir un enfant et le moment où on les faisait, la pression sur la maternité s’est faite plus forte. Titiou Lecoq l’explique :
« […] quand le projet d’enfant devient un choix mûrement réfléchi, les responsabilités afférentes sont beaucoup plus lourdes. La maternité n’étant plus subie mais voulue, la femme doit accepter tout ce qui va avec.
La société tolère que les femmes mènent leur vie à peu près comme elles l’entendent, mais dès lors qu’elles choisissent de devenir mères, on considère qu’elles se doivent entièrement à leurs enfants. »
Pour résumer, on laisse moins les enfants seuls qu’avant grâce à la médiatisation des faits divers (merci Faites entrer l’accusé !) et à une pression sur les parents plus forte. Surtout sur les mères…
En ce qui concerne les préconisations actuelles, on ne laisse pas un enfant seul à la maison, avant 8-10 ans. Il faut prendre en compte sa personnalité, sa propension à faire des conneries, la durée de l’absence et le cadre mis en œuvre et expliqué.
Parents de jeunes enfants, ce n’est pas demain que vous pourrez aller boire des Spritz en terrasse en laissant vos bambins solo à la maison. Mais bientôt, bientôt !
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Image en une : (© Unsplash/zhenzhong liu)
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Les Commentaires
On ne pourrait plus le faire , en effet, quelqu'un a parlé de pression sociale : les gens qui envoient des regards noirs car le petit n'est plus à portée de bras ( à croire que pour eux, il faudrait le tenir en laisse, avec un harnais comme certains Américains ) . J'ai laissé mon petit 5 minutes seul, à 5 ans pour aller cherche du pain au coin de la rue, je lui avais appris à m'appeler si besoin : le numéro était sur son tableau blanc, et il avait le combiné à portée. Maintenant, celui lui arrive de rester seul plus longtemps. Mais on est pas tranquilles.