À l’approche du second tour, les médias ne parlent presque plus que de politique. Et les repas de famille peuvent être le lieu de sacrés échauffements. Et au milieu de tout ça, des enfants un peu perdus, qui voient les adultes s’énerver dans des discussions sans fin, qui leur paraissent finalement assez abstraites.
Faut-il aborder le fait politique à tout âge ? Comment expliquer le fonctionnement des institutions et les enjeux de tout ce cirque ?
On vous répond avec l’aide d’expertes, Delphine Saulière, directrice pour les magazines pour les moins de 12 ans du groupe Bayard, et Caroline Goldman, psychologue pour enfants et adolescents, docteur en psychopathologie clinique, auteure de File dans ta chambre ! Offrez des limites éducatives à vos enfants.
En parler, c’est bien !
Si l’on se pose la question, s’il est bien ou non de parler politique avec ces enfants, la réponse est assez claire : oui, si ça n’est pas perçu comme une corvée ! Il est utile de leur parler du fonctionnement de la vie politique, comme nous l’explique Delphine Saulière :
« Oui ! Si on entend par politique la vie citoyenne, comprendre ce qu’est la représentation des gens, via des députés, des maires… via un président, car oui, c’est extrêmement important d’initier ses enfants à la vie politique.
C’est ce qui régit notre vivre-ensemble. »
Elle ajoute qu’il n’y a pas forcément d’âge pour commencer à en parler. Les enfants sont de toute manière, assez tôt, confrontés à l’école et à une structure avec pas mal de règles.
« Ils comprennent très vite et très tôt.
Ils côtoient un monde très organisé, qui est le monde de l’école. On ne fait pas ce qu’on veut, il y a un sens de circulation. Il y a un certain nombre de règles. C’est exactement le même système qu’on extrapole à un quartier, une ville, un pays.
On peut leur expliquer que c’est un système organisé, en faisant une analogie avec l’école. »
Bien sûr, il s’agit de sujets complexes mais les enfants sont intelligents (si, si, je vous assure) et à l’école aussi, on les initie au fonctionnement des institutions, par exemple. À chaque âge, ses problématiques, comme nous le dit Delphine Saulière :
« Se dire que l’enfant est trop petit à 5 ans pour qu’on aborde la question politique, je trouve que c’est un peu dommage.
Il faut faire confiance à l’intelligence des enfants, surtout à partir de l’école primaire, où on les initie beaucoup à l’éducation civique, où on les fait par exemple voter aux élections des délégués. Il y aussi des conseils municipaux d’enfants, dans beaucoup de villes. Cela les responsabilise de leur montrer que le choix est important. »
Comme pour beaucoup de domaines (l’éducation à la sexualité par exemple), il est intéressant de partir de leurs interogations et de rebondir :
« C’est aussi important de partir de leurs questions ou alors de leur demander ce qui les intéresse, ce que disent leurs copains à la récré, par exemple.
Déjà, dès qu’on donne la parole à un enfant, ça le valorise. »
Nous avons donc tranché, leur parler de politique est une bonne idée, si l’on en a envie. Mais voyons maintenant ce que l’on peut leur dire concrètement.
Leur expliquer les institutions et sensibiliser aux enjeux des élections
Sans être trop plombants, nous pouvons aborder le sujet des institutions de la République, du fonctionnement de notre démocratie. Avec des mots simples, bien entendu. Delphine Saulière nous en parle :
« C’est important que les parents donnent la valeur des institutions. Ça permet de construire le bien-vivre ensemble, de se respecter, d’éviter la guerre, et de soutenir les plus faibles.
Ça permet de planter des petites graines de conscience citoyenne. C’est intéressant de comprendre les institutions, et aussi parfois de les interroger. »
Delphine Saulière nous explique la façon dont cela est abordé dans ses magazines et notamment, celui pour les plus jeunes :
« Dans le magazine Youpi, pour les 5-8 ans, on a fait une approche par les lieux, avec une grande visite du palais de l’Élysée. »
Il est aussi possible en tant que parent de montrer les gestes civiques, comme les emmener voter. Dans un sondage Ifop commandé par Bayard, on apprend que « 47% des parents français se font accompagner par leurs enfants au bureau de vote et, bien que la loi l’interdise, 32% d’entre eux les emmènent même jusque dans l’isoloir ! »
Delphine Saulière nous éclaire également à ce sujet :
« Par exemple, à la maternelle, on peut emmener ses enfants voter. Beaucoup de parents emmènent leurs enfants dans l’isoloir. »
De plus, ça peut être une petite sortie sympa. Les institutions, le fonctionnement démocratique, le civisme… c’est important, mais les idées et les opinions politiques, est-ce une bonne idée de leur en parler ?
Parler or not parler de ses opinions politiques
Parler politique au sens de débats d’idées, chacun fait comme il le sent. Il faut agir en fonction de ses opinions, de ce qu’on a envie de transmettre.
Le sondage de l’Ipof et de Bayard confirme ce qu’il est possible de pressentir : plus les parents s’intéressent à la politique, plus ils en parlent avec leurs enfants :
« Parmi les parents “très intéressés“ par la politique, 91% déclarent en parler avec leurs enfants. »
Caroline Goldman plussoie, en expliquant qu’il n’y a pas d’obligations et que cela dépend des centres d’intérêts :
« Cela dépend du désir des uns et des autres. Des gens adorent parler de politique, on ne va pas inhiber leur élan spontané de partage parce que c’est formateur. »
Pour Delphine Saulière, il faut éveiller les enfants sans exposer un avis trop tranché, trop critique, qui les couperait de toute envie de s’y intéresser :
« Dire à ses enfants “tous pourris“, c’est un peu dommage. Ça ne va pas éveiller leur curiosité. Que soi-même, on ait besoin de remettre en cause un certain nombre de choses, des institutions, des personnes, c’est normal, mais il faut dire pourquoi.
Il faut mieux que les enfants découvrent la citoyenneté à l’école, de façon froide et objective. »
Des changements se sont opérés au sujet de la transmission des opinions politiques. Elle est de moins en moins évidente, selon Delphine Saulière :
« Avant on appartenait à une famille politique comme ses parents, de même qu’on avait une région d’origine, qui était liée à notre ancrage familial.
Aujourd’hui, c’est plus flou et plus complexe. Un certain nombre de frontières ont été balayées. »
Elle poursuit en nous expliquant que cela dépend aussi des opinions :
« Les parents engagés, ce sont souvent ceux qui ont une fibre écologique importante.
Leurs enfants manifestent aussi pour le climat. C’est déjà un acte d’engagement politique. »
C’est bien d’initier les enfants jeunes aux enjeux environnementaux. Mais les parents qui emmenaient leurs gosses à La Manif pour tous, là clairement on ne cautionne pas. Rappelons que l’homophobie n’est pas une opinion, mais bien un délit.
Les enfants, particulièrement les plus jeunes, peuvent avoir une grande confiance en la parole des adultes et ont tendance à croire un peu tout ce qu’ils entendent. Il faut être d’autant plus vigilants, en tant que parents, à ce qui arrivent à leurs oreilles, comme nous le dit Delphine Saulière :
« On peut les protéger des fake news, auxquels ils ont facilement accès. Les parents peuvent être face à des enfants qui ont des idées construites par des youtubeurs, et ça peut être du grand n’importe quoi. Les théories complotistes, les enfants foncent droit dedans. »
Prudence donc, et discussions sont de mise !
Que faire en cas d’échauffements dans le cadre familial ?
À l’approche du second tour des élections présidentielles, les discussions politiques s’invitent aux rassemblements familiaux (mais aussi dans les discussions du quotidien).
Tata Monique et tonton Guislain ne sont pas d’accord et ça en vient aux cris. Déjà, pourquoi les esprits s’échauffent autant lorsque l’on parle politique ? Et comment l’expliquer aux enfants ? Pour Caroline Goldman :
« On peut expliquer aux enfants pourquoi les adultes peuvent s’énerver lors de débats politiques. En fait, le candidat qu’on choisit pour nous représenter, c’est un déplacement d’une figure parentale en qui on a confiance et qu’on estime. C’est une idole, dans un sens.
Quand on était petit, on ne supportait pas que nos parents soient attaqués parce que ça rejaillissait sur notre estime de nous-mêmes. L’enfant peut le penser mais ce sera moins violent que si ça vient de l’extérieur. »
Selon Delphine Saulière :
« On peut leur expliquer pourquoi on s’échauffe, pourquoi c’est important pour nous, pourquoi on y met dans de cœur.
C’est une façon plus intelligente que le bourrage de crâne pour faire passer ses valeurs. »
Effectivement, le but n’est pas d’endoctriner les enfants dès le plus jeune âge…
Pas d’endoctrinement néanmoins
Les enfants n’ont pas forcément beaucoup de recul sur les informations qu’ils entendent, donc l’important est aussi d’exposer la diversité des idées et de créer le débat. Pour Delphine Saulière :
« La compréhension de ces propres idées passe par le respect de celle des autres. Se mettre à la place de l’autre, c’est fondamental dans la vie. »
Pour Caroline Goldman, c’est aussi le respect qui importe :
« Ne pas être trop partisan, même si nos idées transpirent, et qu’on prend les enfants pour une continuité de nous-mêmes. Pour qu’ils ne soient pas dans la ségrégation des idées et n’affichent pas de mépris pour ceux qui ne votent pas comme leurs parents.
Ne pas mépriser les autres, c’est surtout ça qui est important.
Leur dire qu’il y a des candidats avec lesquels on se sent proche au niveau des valeurs mais les autres candidats, à partir du moment où des gens votent pour eux, c’est qu’ils ont des raison. Et notre travail, c’est d’aller chercher ces raisons, plutôt que de leur en vouloir. »
Pour résumé, pas d’invectives ni d’injonctions à parler de politique à tout prix avec sa progéniture, mais si vous en avez envie, cela peut être très intéressant pour eux et formateur. Et cela leur permettra de comprendre le fonctionnement de la société mais aussi pourquoi tonton Denis, qui votait Marine Le Pen, a été écarté des repas de famille…
Rendez-vous dans l’isoloir dimanche prochain, pourquoi pas avec vos marmots dans les pattes !
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Les Commentaires
Tu as raison, j'ai réagi un peu à chaud et c'était pas assez nuancé. Je pense que c'est parce que je ne suis pas d'accord avec le sens donné à l'expression "être trop partisan".
Bon, en soi cette expression n'a pas de définition claire, mais l'intitulé du paragraphe nous oriente sur la manière de le lire "Pas d'endoctrinement néanmoins".
L'endoctrinement, c'est le fait d'imposer ses opinions politiques. Donc, suivant cette logique un partisan trop partisan serait quelqu'un qui veut imposer ses opinions politiques ? C'est là que ça me gêne, parce que pour moi être trop partisan, c'est être "trop" convaincu, être très militant voire lourdingue sur ce sujet en parlant sans arrêt de cela, mais pas forcément renier le droit de chacun à avoir un point de vue et être irrespectueux des autres. D'ailleurs, on peut être absolument pas actif pour une cause et être très fermé à la discussion voire agressif vis à vis des personnes n'ayant pas le même point de vue. Mais il est vrai que c'est ma définition de cette expression. Même si ça m'a fait réagir, je peux comprendre qu'on ait une autre lecture du terme "trop partisan".
Le second truc qui me chagrine dans ce paragraphe, c'est que quelque part, il semble nier le fait que la pensée politique se construit en grande partie dans le cadre familial. En disant qu'il ne faut pas "endoctriner" les enfants, je crains que ce soit une nouvelle manière de culpabiliser les parents qui veulent bien faire et de les empêcher d'être sincères avec leurs enfants par crainte de leur "imposer" leurs idéaux politiques. Parce que, soyons honnête, les parents qui veulent endoctriner leurs enfants, je ne suis pas sûre que cet article ait une chance de les faire se remettre en question. Et d'un autre côté, les parents qui essayent de faire les choses de la meilleure manière possible pour leur enfants, à la lecture de cet article, que se disent-ils ? Qu'ils ne doivent pas influencer les opinions politiques de leurs enfants, que c'est pas bien pour eux. Sauf que c'est idiot parce que dans les faits, ils vont les influencer. La transmission de valeurs, d'idéaux pour notre société, c'est peut-être ce qui est le plus unniversellement transmis par des parents à leurs enfants. A titre personnel, je crois que c'est ce qu'on a de plus précieux à transmettre aux générations futures avec les connaissances.